30 juin, 2015

Des nouvelles de Jésus !


Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu a dit Jésus, le vrai pas mon patient bien sur. Et moi je lui obéis au vrai Jésus. Quant à l'autre Jésus, celui qui me consulte, justement je lui ai rappelé cette phrase en lui expliquant que mon métier avait un début et une fin, un alpha et un oméga et que même si j'étais le gars ouvert d'esprit, je ne pouvais décemment pas verser dans le mysticisme débridé.

C'est vrai que lorsque l'on connait aussi bien le cas que moi, on a beau dire, on a beau faire, on ne trouve rien pour expliquer ses troubles au père Jésus. Ce qu'il vit ne ressemble à rien de connu et pour le moment, quatre psychiatres et un neurologue s'y sont cassé les dents. Ils y sont tous allés de leur petit diagnostic, histoire de dire quelque chose mais franchement c'était du bout des lèvres, un peu péteux qu'ils étaient de voir un cas résistant à leur science. Certains auraient juste prescrit des neuroleptiques capables de défoncer un éléphant mais rien de plus.

Alors comme un neurologue me fait l'honneur de me lire et qu'il m'a dit un jour qu'il aimait bien les cas difficiles, les "moutons à cinq pattes", je me suis dit : pourquoi ne pas lui adresser Jésus. Pour le coup, ce neurologue a été sympa puisqu'il l'a reçu un dimanche de manière à lui consacrer tout son temps. Et du temps il en a passé. Mais de diagnostic que dalle, rien du tout, pas plus d'explication franche que de compétences économiques dans la tête d'un énarque ! C'est dire.

Bon, du bout des lèvres lui aussi, il a avancé une possible maladie de Wilson. Cette maladie se distingue par une accumulation de cuivre dans l'organisme. J'y avais pensé aussi. Il suffit de regarder Dr House pour connaitre toutes ces pathologies curieuses. Mais c'était impossible puisque les yeux de Jésus sont d'un bleu impeccable et ne comportent pas d'anneaux de Kayser-Fleischer. Alors il a imaginé aussi un possible trouble dissociatif de la personnalité.

Ça c'est la maladie américaine par excellence, ils en ont plein comme des fantômes. Nous en France, on est rationnels alors on a peu de fantômes et pas de troubles dissociatifs de la personnalité. C'est le truc préféré des avocats véreux qui feront un intervenir un psychiatre escroc payé à prix d'or pour expliquer à la barre qu'en fait ce n'est pas leur client Joe qui a violé et tué la petite Cindy mais bien Bob la seconde personnalité de leur client que ce dernier ne contrôle pas. Voilà dans la tête de Joe vit aussi Bob le méchant d'où le trouble dissociatif de personnalité ! 

Franchement Jésus que je connais bien, c'est plutôt le gars qui est tout seul dans sa tête. Il ne manque pas de caractère et je ne vois pas quel espace il pourrait allouer à une seconde personnalité ! Le connaissant bien, je n'ai rien repéré de curieux en lui si ce n'est qu'il vit des trucs extraordinaires ! Je n'ai pas constaté que c'était Bob qui déconnait en lui. D'ailleurs lui même est formel, il est tout seul dans sa tête. Donc exit ce truc aussi !

Comme c'est un neurologue consciencieux et vraiment sympa qui ne veut pas forcément s'avouer vaincu, il a demandé des examens, un IRM et une analyse de sang. Jésus va les faire pour être en paix et se dire qu'il aura exploré tout ce que la science lui offre. Il n'y croit pas mais il est décidé à agir en ce sens. Moi aussi cela me rassurera parce que j'ai beau croire à tout, ça m'arrangerait bien qu'il ait un truc physiologique. Même si tout au fond de moi je veux bien croire à la possession, je vous avoue que ce serait rassurant de trouver un truc physiologique expliquant les symptomes, un bon vieux diagnostic.

Parce que même si cela me fout les boules de me l'avouer, c'est tout de même plus facile de croire en Dieu qu'à l'existence du diable. Dieu c'est cool et clean tandis que le diable ça a des relents archaïques et moyenâgeux. Et pourtant faute de mieux, je vous que j'en perds mon latin et que j'ai assisté à des manifestations plus que troublantes. Des gars bizarres j'en ai souvent vus et je n'ai jamais eu peur, mais un type qui grogne en me regardant méchamment, là sincèrement ça fout vraiment les boules, comme si on vous entr'ouvrait la porte des enfers.

Tenez la semaine passée, Jésus qui trouve qu'aucun des curés qu'il a vus pour des exorcismes officiels n'a assez de pouvoir pour le délivrer de son démon a rédigé tout seul comme un grand sa propre prière d'exorcisme. Il me l'a amenée et comme je suis un bon gars, j'ai commencé à la lire. Et là, au bout de deux phrases, dès que j'ai prononcé Jésus-christ, il s'est mis à grogner méchamment. Bon, j'y suis un peu habitué et je n'ai plus peur mais j'avoue que c'est tout de même un peu flippant. La fois prochaine je le filmerai avec son accord pour les gens qui doutent.

D'ailleurs, Jésus et moi on a pu constater que pas mal de prêtre indépendamment de la foi qu'ils peuvent avoir, ont toutes les peines du monde à croire au diable. Ils accueillent la demande avec gentillesse un peu comme il accepteraient de satisfaire le caprice d'un gosse. Mais finalement, ils sont un peu comme moi, il préféreraient un bon vieux diagnostic psychiatrique de derrière les fagots, un truc propre qui emmène directement le type dans un établissement de l'APHP plutôt que dans une séance d'exorcisme.

Enfin, même s'il se plaint, comme tous les jeunes de son époque, moi je trouve qu'il y a tout de même du mieux. Certes, il souffre encore mais son état s'est amélioré. Il prend soin de lui et a recommencé à faire des conneries. Chez lui c'est un signe de bonne santé quand il fait des conneries en bon hyperactif qu'il est. D'ailleurs, s'il se tape une garde à vue, vu que c'est un peu sa spécialité, il pourra toujours grogner dans sa cellule. Je suis sur qu'avec un peu de chance, s'il tombe sur un flic moyennement courageux, vous savez le mec qui verbalise mais détourne la tête face à un truc grave, il le foutra dehors sans avertir le procureur ! Si en plus des poivrots qui cuvent et gerbent dans les cellules, les commissariats se mettent à accueillir des mecs possédés qui grognent, où va-t-on !

Car si Jésus peut nous délivrer du mal, peut-être que le démon peut nous délivrer d'une garde à vue. Il n'y a pas que des points négatifs ! C'est le secret du bonheur : savoir positiver et trouver dans toute situation matière à se réjouir.

Sinon, si vous avez des idées ou connaissez un prêtre exorciste vraiment balèze, du genre massif portant la robe de bure et pas du genre à se laisser impressionner, je suis preneur.

29 juin, 2015

Tenir la barre et couler avec le navire !


Voici quelques temps, j'avais un jeune homme brillant qui me posait des questions sur son état mais surtout sur son avenir. Se définissant lui-même comme surdoué, ce qui n'était pas faux, il ressentait quelques difficultés d'adaptation. Je crois que j'aurais pu grandement lui être utile. Toutefois, comme je lui expliquais, il m'était impossible d'intervenir tant qu'il continuerait à autant travailler. Non qu'une thérapie réclame un temps considérable mais qu'il ne faille bien un peu pour songer à soi et à son avenir. Il était en effet à deux doigts du burn-out. 

Je lui avais expliqué que réclamer mon aide, c'était un peu comme si l'on avait demandé à un chirurgien d'opérer un patient souffrant d'une grave infection ! D'abord on traite l'infection puis on pratique l'intervention. Mais rien n'y faisait. Quoique je puisse dire, son travail et l'assiduité qu'il y mettait était l'horizon de sa vie. Je crois qu'il n'avait même pas conscience que beaucoup des symptômes qu'il me demandait de traiter, n'étaient pas dus à sa personnalité mais simplement à la menace du burn-out dont les symptômes physiques et cognitifs se faisaient sentir.

Je l'avais même mis en garde en lui disant que cet état pouvait conduire au suicide. Que vouliez-vous que je fasse d'autre ? Le faire interner ? Cela n'aurait servi à rien. Un burn-out cela se vit jusqu'au bout si l'on veut en retirer quelque chose. Sinon autant dire à un héroïnomane de modérer ses appétences pour la came. Il n'y a pas de modération chez les gens excessifs, il n'y a que des limites à franchir nous rappelant à l'ordre. Et c'est vrai que ce fin juriste travaillait trop. Il avait calculé son salaire horaire et noté qu'il était payé moins de dix euros de l'heure.

Ce qui devait arriver arriva. Un soir, je ne saurais dire pourquoi, tout se lézarda et se fissura. Lancé à pleine vitesse sans se soucier des limites que lui imposait sa condition humaine, il parvint à son terme et implosa. Si l'histoire finit bien et s'il est encore en vie, c'est parce qu'étant âgé de moins de trente ans, il possédait encore des liens forts avec ses parents et qu'il eut la présence d'esprit de les appeler pour les avertir du désastre imminent. 

Interné dans une maison de repos, comme on dit chez les gens bien, il passa trois semaines à faire de la peinture sur soie, du macramé et à se présenter à des séances de thérapie au cours desquelles une consœur rigide voulut à tout prix lui faire parler de sa mère alors que la pauvre femme n'avait vraiment rien à faire dans ce naufrage ! Puis, enfin conscient des limites qu'il avait allègrement franchies au péril de sa vie il revint me voir et donna sa démission de la société qui l'employait. Le reste est sans importance si ce n'est que l'on a pu enfin démarrer un "travail" qui lui sera profitable.

Encore plus récemment, c'est un cadre sup' d'une multinationale qui présente le même risque. Un type au CV impressionnant dont le "patron" est ravi car il a pu constater qu'il se connectait à l'intranet de l'entreprise dès six heures du matin et parfois à vingt-et-une heures le soir. Autant vous dire que c'est un bon soldat, une sorte de Lieutenant Onoda, un type qui poursuit la guerre alors même que ses supérieurs se sont déjà tous rendus depuis longtempset sirotent des cocktails au bord de la piscine.

Là encore, rien à dire. Tout ce que je peux émettre comme argument n'est pas entendu et se fracasse contre une psuedo logique constituée de "il faut" et je dois" formant une sorte de code de conduite rigide qui empêche mon cadre sup' de se rendre compte du ridicule de la situation. Semblant investi d'une mission, rien ne l'arrêtera et il tiendra son poste coûte que coûte.

Le coût parlons en parce que j'ai déjà évoqué les risques qu'il encourt. Outre les différents symptômes qu'il ressent déjà, s'apparentant à une sorte de dépression anxieuse, c'est surtout sa vie qui est en jeu. A moins, que la nature étant bien faite, il pète un jour un plomb et fasse un voyage pathologique. Il n'est en effet pas rare qu'un cadre sup' soudain saisi par l'inanité et la vacuité de sa vie ne monte dans sa BMW dans un état second pour échouer dans un hôtel impersonnel au fin fond d'une quelconque ZI pour y faire le bilan de sa vie en éclusant un mauvais whisky acheté au LIDL le plus proche.

Ca ce serait rattrapable. Le pire ce serait le raptus anxieux, ce moment terrible ou l'anxiété étant à son comble, on préfère se jeter par la fenêtre plutôt que de souffrir. Et là, je ne peux rien. La seule chose qu'il ait accepté, c'est de prendre des anti-dépresseurs et donc d'admettre qu'il n'allait pas si bien que cela. Mais il prend pour le moment des anti-dépresseurs non pour tenter de trouver une solution à un problème qu'il n'entrevoit pas mais pour tenir encore mieux dans cette situation inextricable dans laquelle il se fait totalement exploiter. En l'espèce, il s'agit de violence au travail et non plus de management. 

Comme je n'aime pas parler pour ne rien dire et que manifestement il ne m'écoute pas, je durcis le ton. Récemment, je lui ai encore dit, au cas où il ne l'aurait pas entendu, qu'il finirait sans doute par se suicider. J'ai rajouté que je n'en supporterai pas la responsabilité ayant rempli mon obligation de moyens. Je ui ai dit que le pire c'est qu'étant seul dans la vie et ayant perdu tout soutien social, il n'y aurait personne pour se soucier de lui. Cette fois-ci cela a eu l'air de le marquer. Sans doute que l'image de lui-même mort sur le plancher de son appartement parisien, vilain cadavre en putréfaction dont seule l'odeur de décomposition alerterait les voisins a été assez choquante pour le décider à agir. On a conclu un contrat par lequel il s'engageait à faire quatre choses pour tenter de s'en sortir. Il a tenu sa parole. J'espère que cela suffira pour dévier sa route funeste.

Parce que dans les deux cas, c'est bien d'une route funeste dont il s'agit. Qu'il s'agisse du jeune ou du moins jeune, je les ai toujours imaginé sous les traits de commandants les mains sur barre dans la passerelle d'un paquebot lancé dans l’Atlantique nord vers un iceberg. Peu importe qu'ils saisissent que leur sort sera celui du Titanic, pour eux l'important n'est pas l'impact imminent mais le chemin qu'il leur faut parcourir jusque là, comme si le moindre retard sur le trajet avait plus d'importance que le sort funeste qui les attend. Effectivement tous ceux qui sont promis à un beau burn-out perdent la tête au point de ne plus se concentrer que sur des détails en oubliant l'essentiel. On leur a confié l'entretien d'une machine infernale qui ne peut que leur sauter à la figure. Ils le savent mais peu importe, ils rempliront leur mission.

J'ai dans tous les cas que j'ai eus de burn-out retrouvé deux facteurs. D'une part, ce sont des gens qui ont un véritable investissement social. Ils préféreront se sacrifier plutôt que d'imaginer que la moindre personne ait à souffrir de leur renoncement. Enfin, si l'on creuse leurs histoires personnelles, on constate souvent un père absent ou du moins assez froid. Ce qui les a souvent amené à réparer leur famille, qu'il sagisse de consoler "maman" ou encore de s'occuper de la fratrie. Programmés pour être des sauveteurs, ils le seront coûte que coûte même dans le monde de l'entreprise.

Tenant fermement la barre qui les conduit droit au désastre, ils n'ont pas conscience du danger qui menace. Et moi, arc bouté sur cette même barre, je tente de les faire changer de cap. Et je n'y parviens pas toujours. Parfois la collision est inévitable. Mais s'ils s'en sortent, au moins comprennent ils qu'un burn out n'est pas une invention de psy mais une vraie pathologie du travail !


22 juin, 2015

Annoncer une mauvaise nouvelle !


C'est un grand classique chez les hommes généralement. Du moins chez ceux qui veulent plaquer la femme avec qui ils sont. Comme l'idée d'avoir à endurer une crise de larmes ne leur plait pas démesurément, ils se demandent souvent comment faire pour que la nouvelle passe mieux. Un peu comme on ferait passer une pilule au bout amer en la mélangeant avec un truc sucré. Et c'est donc une question que l'on me pose souvent : comment annoncer une mauvaise nouvelle de la meilleure manière qui soit.

Je réponds toujours qu'il n'y a pas de bonne manière d’annoncer une mauvaise nouvelle. Quel que soit le ton employé, doux, affable, sec ou dur, de toute manière vous serez l’oiseau de mauvais augure même si vous n'êtes pas responsable ! Dans ces cas là, on confond le messager et le message.


On voit cela dans tous les polars américains quand un flic annonce à une famille qu'un des membres vient de se faire assassiner sauvagement. Selon l'humeur des scénaristes, on a soit le flic empathique qui annonce doucereusement "soyez courageux" ou encore "hélas j'ai une très mauvaise nouvelle" ou bien le flic bourrin qui ne prend aucun gant pour annoncer les choses. Dans tous les cas, la réaction émotionnelle est intense.

Comme le disait Le Touffier qui parlait de cela, quand il doit annoncer à une mère que son enfant est mort, il n'y a pas de bonne manière de le faire : il faut juste le faire. Il rentre dans la chambre et dit les choses et adorerait pouvoir se mettre les mains sur les oreilles pour ne pas entendre les hurlements. Comme il le rappelait avec sa sagesse toute paysanne : je sais qu'en lui annonçant la nouvelle, c'est comme si je lui mettais un coup de batte de base-ball dans la face, alors qu'elle soit verte ou rose, on s'en fout un peu !".

S'agissant d'une rupture c'est un peu la même chose. Attendez vous à une crise qui selon les femmes ira soit de la pure colère avec claques et jet d'objets dans votre face soit à une cataracte de larmes impossible à endiguer entrecoupée d'annonce d'un suicide imminent ! C'est le prix à payer.

Bon, quand c'est l'inverse, elles ne prennent pas de gant. Vous êtes éjecté manu militari et invité à récupérer vos affaires. Parce que c'est vrai qu'un homme c'est solide et que ça ne pleure pas. Et puis une de perdue et dix de retrouvées parait-il !

Ceci dit soyons juste, du moins si j'en crois mon expérience de psy, je dois admettre qu'avant de jeter leur bonhomme, la plupart des femmes ont longtemps enduré. Comme quoi il fallait prendre au sérieux leur avertissement et ne pas croire qu'elles pardonnent toujours. Parfois, non !