06 juillet, 2015

Digressions oiseuses et hommage posthume !


Vendredi j'étais aux obsèques du patron de la petite brasserie où je déjeune tous les vendredis. Quarante-quatre ans c'est jeune pour mourir. Disons que c'est le prix que payent ceux qui bossent et vivent à cent à l'heure et ne se préoccupent pas de leur santé. On vous fait observer que vous avez une petite mine ? Et alors, c'est le boulot qui veut ça. Des palpitations ? On s'en fout ! Des étourdissements ? On n'y fait même pas attention. Une fatigue persistante que le sommeil ne parvient plus à vaincre ? Qu'à cela ne tienne, dans une semaine ce sont les vacances, on aura le temps de se reposer ! 

Et c'est l'infarctus massif. Les pompiers dépêchés sur place ne parviennent pas à relancer le palpitant et même le défibrillateur qui fait dans de miracles dans les séries américaines s'avère inopérant. On meurt. On meurt d'avoir trop bossé. On pourrait penser que c'est un peu idiot de mourir si jeune pour si peu de chose. On aurait tort de penser que le travail a la même valeur pour tous. Pour lui, c'était le pilier de sa vie, sa source de profit grâce à laquelle sa famille ne manquait de rien mais aussi le centre de son univers où tel un petit dieu bienveillant trônant derrière son comptoir ou sa caisse, il régentait son monde.

Et du monde, Dieu sait s'il y en avait dans sa brasserie. Et comme dans toute affaire fonctionnant bien, il était capable d'orchestrer la rencontre entre des gens qui n'auraient jamais du se fréquenter. C'était l'endroit où en entrant, je pouvais dire bonjour à un ancien champion de boxe de Tunisie, un ou deux médecins, boire un café avec un serrurier malien avant de déjeuner avec un ancien CRS et un polytechnicien retraité du CEA tandis qu'à la table d'à côté le président du Conseil général préparait sa campagne électorale. C'était exactement ce que des sociologues appellent aujourd’hui un lieu de sociabilité. Parce que le café demeure le seul vestige de mixité sociale, un des derniers endroits où se côtoient encore des personnes appartenant à des catégories socioculturelles différentes.

C'était exactement l'endroit où l'on pouvait parler politique et finir d'accord avec son interlocuteur, indépendamment de ses idées, convaincu que de toute manière, riches ou pauvres, prolos ou intellos, c'est le politicien qui finit par nous enculer.  C'était aussi l'endroit des rencontres impromptues, des échanges de bons tuyaux parce que vous cherchiez un bon plombier ou un généraliste pas trop pourri. Dans un café qui tourne, avec un vrai patron à l'ancienne, tout se sait et tout le monde finit par connaitre tout le monde.

Ses obsèques ont été à la hauteur de sa vie professionnelle. Entre la famille venue nombreuse et la clientèle venue encore plus nombreuse, l'église était pleine à craquer et il y avait un tel monde que même le parvis était envahi. Français de souches, portugais, maghrébins, noirs africains ou antillais, tout le monde était présent pour lui rendre un dernier hommage. Il y avait même un chilien réfugié politique de l'époque de Pinochet, c'est dire si ça brassait large question clientèle.

Les socialos qui savent tout sur tout l'auraient pourtant traité de facho tandis que les droitards l'auraient jugé avec un mépris condescendant. Et pourtant, il en connaissait du monde et pouvait se montrer aussi à l'aise avec un balayeur qu'avec un centralien. Et je suppose que ses revenus auraient fait pâlir de jalousie bien des diplômés de sup' de co ! De plus c'était typiquement l'endroit qu'il aurait fallu recommander aux Nice guy pour qu'ils se revirilisent. Une ambiance de mâles, un milieu d'hommes aux antipodes de ces cafés branchés dont Paris a désormais la primeur. Et finalement, un endroit où les femmes se sentaient à l'aise parce que quoiqu'on en dise même si les plaisanteries n'étaient pas toujours d'une grande finesse, le respect était de mise. 

Je ne supporterai jamais ceux qui ne sont pas à l'aise dans un café et n'en connaissent pas un où on les salue par leur prénom. Enfin, je ne pardonnerai jamais à Sarkozy d'y avoir banni la cigarette.

Repose en paix D.

01 juillet, 2015

Code vestimentaire et angoisse passagère !


Lundi un de mes patients, ingénieur en informatique, me parlait de sa recherche de travail. Parmi les offres qui s'offraient à lui, figuraient certaines émanant de banques. Et là, le pauvre était paniqué, non par la tâche qui l'attendait et dont il saurait triompher, mais par l'éventualité d'un dress code qui, horreur, l'obligerait à porter un costume et une cravate. Pour preuve, il m'a donné le code vestimentaire en vigueur chez UBS qui, semble-t-il, semble exercer sur les informaticiens une répulsion au moins égale à celle d'un crucifix sur un vampire. Il s'imaginait déjà engoncé dans un costume croisé gris anthracite, le cou serré par une cravate Hermès et chaussé de richelieus de chez Berluti.

Je l'ai bien sur rassuré, lui expliquant qu'à ma connaissance, l'informaticien étant logé à fond de cale, on n'exigeait de lui aucune tenue particulière si ce n'est qu'il ne sente pas mauvais. Pour le reste, barbe, cheveux longs, t-shirts de geeks, tout semble formellement autorisé pourvu que le code Java soit bon et les serveurs en état de fonctionner. Pour preuve, j'en ai même un diplômé d'une très grande école, et travaillant pour une entreprise prestigieuse de la mode, que je n'ai jamais vu avec des lacets noués ni une cravate. De toute manière, vu la réputation d'autiste dont jouissent les informaticiens, il me semble illusoire qu'une société exige d'eux plus que ce qu'une mère exigerait d'un enfant de quatre ans. 

Certes, pour de rares entretiens, le costume peut être exigé. C'est ainsi qu'il reste de bon ton pour un entretien de recrutement de revêtir un costume et de porter une cravate. Pour autant, que l'ingénieur se rassure, à de très rares exceptions près, il lui sera pardonné toutes les fautes de gout. Et même si le jour de l'entretien, il ressemble à un premier communiant empêtré dans son costume tout neuf, cela lui sera pardonné. A la limite, un informaticien trop élégant ferait figure d'escroc et on mettrait ses compétences en doute.

Je ne connais qu'un informaticien élégant, c'est mon ami Olivier, celui qui est riche et a réussi et roule en Ferrari. Toujours sapé comme un milord le père Olive. Par contre en termes de compétences informatiques, je crois qu'il a bloqué à Windows 3.1 et qu'il n'a jamais remis ses connaissances à jour. Mais comme il me dit toujours :"moi je vends et il ne faut jamais effrayer le client avec des trucs techniques. Pour cela il y a les techos (prononcer tekos)". D'ailleurs Olivier parle un peu des techniciens comme un officier de cavalerie portant bottes cirées et un stick sous le bras parlerait du dernier des biffins.

Je crois n'avoir jamais vu d'informaticien en costume dans mon cabinet. Pourtant Dieu sait si j'en ai dans ma clientèle. Parfois je me dis que je pourrais ouvrir une SSII et concurrencer CGI. A deux exceptions près ceci dit. D'une part un jeune ingénieur des mines qui porterait plutôt bien la toilette si ce n'est qu'il semble s'appliquer avec un soin maniaque à avoir l'air totalement négligé même en costume comme si en le revêtant chaque matin il avait adopté une stratégie revenant à dire à son employeur qu'il l'emmerde. Cela s'appelle respecter les règles en les rejetant, ça a un côté délicieusement passif-agressif !

Et puis, j'ai aussi vu Chaton en costume. Lui, c'est spécial. Tandis qu'en jean et T-shirt, comme à son habitude, puisqu'il est en T-shirt même en plein hiver, Chaton le centralien ressemble à un sympathique ingénieur de la Valley, un petit gars diplômé de Cal Tech, en costume c'est différent. Dans ce cas, sa largeur d'épaules et sa musculature obtenue en salle de sport le font ressembler à un videur de boîte de nuit ou à un racketteur de la mafia ! La dernière fois que je l'ai vu en costume, j'ai même trouvé qu'il avait un petit air de Joe Viterelli en plus jeune et sans traces d'acné bien sur. Il ne manquait que le plat de pasta et la nappe à carreaux dans l'arrière salle d'une petite trattoria et l'illusion était parfaite. Le costume lui va bien mais quand il en met un il fait un peu peur.

Certes, je ne me prétends aucunement spécialiste de l'informatique mais à moins d'avoir choisi la voie du conseil IT dans un grand cabinet américain, en vous tuant à la tâche quinze heures par jour en espérant un jour vous aussi devenir partner pour exploiter les autres comme vous l'avez été, je ne pense pas qu'il existe un seul employeur sain d'esprit pour exiger d'un informaticien, fut-il ingénieur de grande école, qu'il porte un costume et une cravate.

N'angoissez pas pour rien, dormez tranquille ! Dites vous chers informaticiens, que personne ne veut vous de mal au point d'exiger que vous portiez un costume ! Un patron peut parfois être cruel et exploiteur mais pas si bête !