17 octobre, 2006

Une soirée dans un service de soins palliatifs.

Un de mes ex-patients est décédé voici une dizaine de jours. C'était quelqu'un avec qui je m'entendais fort bien au-delà de la relation thérapeuthique que nous avions eue.

Il faut dire qu'en Thérapie Comportementale et Cognitive, nous ne nous préoccuppons pas du transfert et du contre-transfert. Donc, nul besoin de jouer le psy impénétrable, je peux rester moi-même. J'ai un métier, certaines fonctions, des choses à faire et ne pas faire, des choses à dire et ne pas dire, mais c'est tout. Pas besoin de me bricoler un personnage muni d'une barbe et d'une pipe ! Je peux prendre un café ou même parfosi déjeuner avec un patient(e) sans que cela ne change rien.

C'st un patient que j'appréciais qui m'aura donné du fil à retordre. Je le surnommais le jésuite car il était prompt à faire de la casuistique à propos de tout et n'importe quoi. Pas du tout le genre de patient à qui l'on vend sa soupe et qui l'avale les yeux fermés. Avec lui, il fallait se battre pied à pied. Sans doute qu'il avait une fort mauvaise opinion de ma profession, nous imagineant soit comme des curés laïcs prêchant la bonne parole, soit comme des inégnieurs en santé mentale prompts à lui expliquer ce qu'il fallait faire et comment il aurait fallu vivre. Mais fortement encouragé par son amie, il était venu, pour voir, et était finalement revenu.

Nous ne nous sommes vus que quelques fois, sept ou huit fois je crois, mais cela avait suffit à créer un lien évident entre nous. Sans doute que son côté dandy m'amusait. La légerèté empreinte de gravité avec laquelle il prenait la vie m'amusait. Sans le savoir, il y avait en lui un côté stoïcien mâtiné de d'épicurisme assez attachant, bien qu'il fut toujours si froid d'apparence. Sa devise aurait pu être :

"Tout finit par s'arranger même mal"

Pour le définir et m'en souvenir, je ne trouve que ce que dit Baudelaire ds Dandys :

Le dandysme est le dernier éclat d'héroïsme dans les décadences; (...) . Le dandysme est un soleil couchant; comme l'astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie.

Vous l'aurez compris, être un dandy c'est avant tout avoir une attitude face à la vie et non pas être un porte-manteau. Les guignols couverts de sapes griffées se baladant rive droite, ne sont pas des dandys. Un dandy cela se passe avant tout dans la tête. Baudelaire mais avant lui Barbey d'Aurevilly écrivirent de somptueuses pages sur cette manière d'être.


Jusqu'à la fin, il fut un dandy. Il buvait et fumait et naturellement ou disons d'une manière assez probable compte-tenu de son mode de vie et des ses faiblesses génétiques, il mourut d'un cancer des poumons.

La dernière fois que je le vis, c'est au service de soins palliaifs d'un hôpital parisien, où il passa ses derniers jours. En y allant j'avais terriblement peur. Enfin non, disons que je ne savais pas comment réagir face à quelqu'un qui allait mourir dans quelques jours.

Certains de mes collègues semblent adorer ce genre de service mais moi je n'en rafole pas. Non, que j'aie particulièrement peur de la mort mais, que dire et que faire ? Sans doute que dans la pratique professionelle, je suis un teigneux qui aime se battre pour démontrer que demain sera mieux qu'ajourd'hui. Mais là, que dire, que faire, quels mots employer ? Compter jusqu'à dix et déclarer la personne KO par son destin ?

Ou plutôt ne rien dire et ne rien faire et s'adapter en fonction de la personne. Cela serait le moment d emettre à profit mes lectures stoïciennes. Mais bon, au delà de tout cela, comment parler de ce dernier moment terrifiant à un type bourré de métastase et sous morphine, alors que l'on va rester soi-même bien vivant à profiter du beau soleil automnal ? Il ya comme une escroquerie là-dedans. Tant pis m'étais-je dit, j'aviserai, une chose étant sûre ce'st que cela me faisait plaisir de discuter une dernière fois avec lui.

Bien que terriblement diminué physiquement, il me fit un accueil charmant comme si de rien n'était. Le psychologue de l'établissement parla de comportements pseudo-hystériques (la belle indifférence) mais aussi de déni (notion psychanalytique). Je crois qu'il n'en était rien, il savait qu'il allait mourir et garda l'élégance de recevoir et de converser avec grâce. Il n'eut aucune envie, au soir de sa vie de s'en remettre à quiconque, qu'il s'agisse de médecins ou de psychologues. Nul ne sait ce qui se passa dans les tréfonds de son être mais il n'en laissa rien paraître.

Ce soir là, nous bûmes quelques bières et fûmames des cigarettes assis sur le rebord de de la fenêtre de sa chambre. Tout ceci avait un côté assez surréaliste et ce ne fut pas pour me déplaire. Il se montra charmant et réservé. La soirée fut douce et élégante, pleine de retenue alors que nous avions abordé bien des sujets difficiles ou complexes.


Comme à son habitude, alors que c'est lui qui avait manifesté le désir que je vienne, il ne se montra pas plus affectueux que d'habitude. Réservé et distant, il le resta jusqu'à la fin. Une semaine plus tard, il décédait.


Ce post n'a pas pour ambition de m'épancher sur la mort. Nous finirons tous par mourir et il est vrai que "philosopher, c'est apprendre à mourir" (Cicéron). Non, au travers de ce post, je voudrais parler du biais d'inférence positif que possède chaque être vivant. De ce petit quelque chose, qui nous fait sortir chaque matin, alors même que sortir nous expose à des risques terribles car vivre normalement c'est prendre le risque de mourir à chaque moment. Ce petit quelque chose, qui fausse toute notre représentation des risques statistiques de mortailité (conduire, boire, fumer, prendre l'avion, manger, etc.) liés à l'expérience humaine. C'est le grain de sable dans l'engrenage bien huilé que devrait être notre vie pour les médecins et la sécurité sociale. Nous ne sommes pas toujours des êtres rationnels !

Voici quelques années, une jeune interne en médecine générale se montra courroucée par le fait que je fume. Jeune et inexpérimentée, elle prit son rôle très au sérieux et m'expliqua, qu'elle avait passé six mois dans un service d'oncologie et que cela lui paraissait fou de fumer!. Je la rassurai en lui expliquant que je n'ignorais pas qu'il état mal de fumer. Je lui expliquais aussi que dans mon métier, on fait des choix philosophiques et que pas un instant il ne me viendrait à l'idée de dire à mes patients la manière dont ils doivent vivre. J'ai reçu bon nombre de toxicomanes et d'alcooliques, jamais je ne leurs ai fait le moindre reproche me contentant de dire que s'ils avaient choisi cette voie, c'est qu'il s'agissait sans doute d'une stratégie destinée à mettre un filtre entre eux et un réel peut-être trop angoissant. Je lui rappelais aussi que notre esprit, dans son merveilleux fonctionnement, a prévu de marcher avec ce fameux biais d'inférence positif. Tant et si bien, que tant que l'on est en bonne santé, on prend des risques, on fume, on boit, en ne se doutant jamais que cela pourrait nous tuer.

Finalement, à l'opposé de la dépression, peut-être que vivre pleienment heureux, c'est vivre comme si l'on allait jamais mourir ? Non pas verser dans tous les excès mais simplement profiter des bonnes choses de la vie.

La petite interne, n'a pas semblé saisir sur le moment ce que je tentais de lui expliquer sans doute parce qu'elle était totalement dévouée à sauver les corps. Si elle n'a toujours pas compris la complexité de l'être humain et son aspect irrationnel, alors je lui souhaite de devenir médecin légiste, le corps nu et froid sur la table d'autopsie interroge sans doute moins que le vivant.

Etrangement, nous n'avons jamais vécu une époque ausi bourrée de principes, d'éthique et de professions de foi. La morale commune en Occident, est celle des droits de l'homme, une sorte de Kantisme appliqué. Nous vivons dans une société pleine de morale, mais vide de sens, de sagesse et de salut. On ne manque pas d'éthique mais de spiritualité. La morale ne résoud pas les problèmes existentiels. : à quoi sert de vieillir, comment éduquer ses enfants, comment vivre le deuil, comment accepter de mourir, etc.


Une consoeur qui connaissait aussi mon ex-patient se livra à des tentatives de diagnostic, aucun ne me sembla satisfaisant. Il est des êtres que même la psychopathologie ne fera qu'effleurer sans jamais les enfermer. Paris X et Paris V, eurent beau s'allier, nous nous heurtâmes à l'incompréhensible. La psychologie n'est pas une panacée, et c'est bien rassurant.

Décéder à l'âge de 46 ans, c'est sans doute un peu tôt mais c'est finalement peut-êre suffisant quand on a bien profité de la vie.

Je me garderai pour ma part de juger, préférant laisser le mot de la fin à ce cher Sénèque, philosophe stoïcien de l'époque impériale :



"Il faut vivre ce que l'on doit et non ce que l'on peut"

4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Très très touchant et plein de sensibilité retenue. J'aia doré ce texte et votre blog est magnifique. Bravo vous êtes formidable !

continuez!!!

18/11/06 5:56 AM  
Blogger El Gringo said...

Pour une fois je n'ai pas ri.
Très beau, vraiment.

31/3/07 1:47 AM  
Blogger Caroline said...

C'est en fouinant sur un autre blog que je suis tombé sur le votre. Son titre "psychotérapeute" était beaucoup trop tentant moi qui nourrit une certaine idée de ces disciplines et de leur praticien. (Pas à l'image des délires ou non d'une journaliste de Elle. Mais plutot à l'image du vendeur de potion magique avec son stand fait dans une roulotte et qui va de ville en ville.)

Mais votre blog, (à moins qu'il ne s'agisse que de votre façon d'être, "savoir-être"), tord le coup à quelques unes de mes idées reçues !!!

Mais bravo. Et davantage pour cet article dont je partage à 100% les idées.

9/7/10 4:46 PM  
Blogger Hermann said...

L'ennuyeux étant que l'on ne fera son devoir que si on le peut - si ce "devoir" est chargé d'émotions par un modèle ou un anti-modèle, par exemple.

24/9/10 9:39 PM  

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