Lubie !
En plus d'avoir subi la pression de cette personne qui me tanne pour que j'écrive un livre, j'ai aussi été l'objet d'une attaque lubique hors du commun. Il se trouve que tard le soir, je regarde souvent la télévision d'un oeil tandis que je surfe en même temps sur ma tablette.
En surfant, je regarde tout et n'importe quoi, allant des sites politiques jusqu'à ceux de petites annonces. Parfois, sans savoir pourquoi, j'ai brusquement envie de quelque chose. C'est ainsi que l'idée stupide de posséder une Mercedes CLK naquit dans mon esprit malade.
Alors que je roule très peu et que je suis la plupart du temps sur ma vieille Honda ou dans le RER comme un prolétaire, il m'a semblé important de devenir propriétaire d'un de ces gros coupés Mercedes qui ne m'aurait servi à rien.
C'est ainsi que des soirs durant, enfin soyons juste, plutôt des heures durant, je regardais fiévreusement les site pour lire toutes les annonces ! Bientôt je sus tout de ce type de Mercedes. Encore quelques temps et je serais devenu vendeur dans un concession. Je ne sais pas pourquoi, j'ai eu envie de ce modèle précisément. Les lubies sont ainsi, elles frappent sans prévenir.
Sans doute que lassé de me trainer la bite dans des engins improbables, j'aie eu envie d'acquérir un bel objet me permettant de tenir mon rang ? Sans doute aussi que lassé de rentrer au volant de ma Visa chez moi tandis que mes voisins se pavanaient au volant de leurs BMW, Mercedes ou autre Porsche, j'aie eu moi aussi l'envie de leur clamer que je n'étais pas un pauvre type, que j'étais presque comme eux !
La pression sociale intense est terrible à endurer. On a beau se croire libéré de tout cela, de ces contingences petite-bourgeoises, on n'en est pas mon homme et à la fin, le moindre sourire de commisération devient une agression intolérable. On voudrait passer pour celui qui s'en fout et on n'est que celui qui ne peut pas posséder ! C'en était trop pour moi ! Je me sentait devenir d'humeur mélenchonnesque ! L'injustice sociale me dégoutait et les mânes de tous les grands socialistes hurlaient en moi que cela n'était plus tenable et que moi aussi j'avais le droit au luxe !!! Encore un peu et j'allais finir avec les Conti !
J'avais donc le choix entre prendre ma carte Front de gauche, le fait de mettre un autocollant "j'ai aussi une Rolls" au cul de ma Visa ou bien m'offrir un véhicule digne de mon rang sans pour autant sombrer dans l'ostentation vulgaire ! Il me fallait donc un objet digne et dans mes moyens, que je pourrais garder des années durant sans que l'on se dise que c'est parce que je n'ai pas les moyens d'en changer mais simplement parce que je l'apprécie tellement que je ne condescends pas à m'en séparer. C'est vraiment très dur d'être pauvre dans un environnement riche, ça nécessite d'élaborer des stratégies terribles ! Je comprends maintenant tous ceux qui le mois d'août venu s'enferment dans leur cave avec des provisions pour faire croire qu'ils sont partis tout le mois en vacances !
Je repérai bien vite l'objet de ma convoitise avec très peu de kilomètres et un prix entrant dans mes possibilités. Las, je me dis bien vite que tout cela ne servait à rien et je redevins le stoïcien que j'affecte d'être. La belle Mercedes bleu marine, à force de tergiverser me passa sous le nez. Le jour où je me décidai enfin à l'acquérir, un autre l'avait déjà choisie.Je ne serai jamais assis à son volant, vautré dans le cuir gris de ses sièges électriques et chauffants. Parfois la vie est cruelle !
Qu'à cela ne tienne, je jetai mon dévolu sur d'autres véhicules n'hésitant pas à laisser ouverts des onglets dans lesquels je pouvais contempler un modèle en noir, un autre en gris et le troisième en bleu ! J'hésitai entre les trois sans parvenir à me décider.
C'est alors que déjà soumis à une attaque lubique important, je fis une sorte de surinfection étonnante, puisqu'une autre lubie supplanta ma lubie ! Un soir donc alors que j'étais plongé dans les petites annonces, une idée germa dans mon cerveau malade : et pourquoi pas une Jaguar ?
Ben oui, pourquoi pas une de ces dignes ladies fabriquées à Coventry et dont la réputation en termes de fiabilité douteuse n'est plus à faire. N'étant pas une bêtise près, je m'inscrivis immédiatement sur un forum Jaguar, même deux pour le dire franchement. En une semaine, je devins aussi spécialiste des XJ que je l'étais des CLK. Je pris un intense plaisir à discuter avec tous ces gens me vantant la fiabilité de leurs voitures tout en étalant les pannes à répétition dont elles étaient victimes.
Mais terrassé par la ronce de noyer, le cuir Connolly et le bruit du 6 en ligne, je me mis bientôt en recherche d'une belle XJ. Tant et si bien que quatre jours après que cette lubie ait fait de moi son jouet, j'étais l'heureux possesseur d'une belle XJ6 Sovereign bleu marine de cinq mètres de long avec un intérieur en cuir beige et un très faible kilométrage dont je ne saurai que faire très bientôt.
Tout ceci explique aussi pourquoi je n'ai pas beaucoup écrit ces derniers temps sur mon blog !