Les collectionneurs !
Bon, tout à l'heure, n'ayant rien d'autre à faire, comme je vous le disais j'ai écrit au responsable d'un forum dédié aux Jaguars anciennes. Je lui ai bien expliqué que loin de moi l'idée d'être un vilain rat profiteur, ne sachant que quémander des conseils (3 en un an pas plus ceci dit) j'aurais bien aimé moi aussi proposer mes compétences en échange. Toutefois, n'en ayant aucune en matière de mécanique, je lui proposais avec humour de lui offrir les cinq premières séances de thérapie pour lui ou un membre de sa famille dépressif ou anxieux. Avouez-que c'est sympa non ?
Il n'est pas obligatoire d'être un expert pour participer au forum.
A chaque fois que vous faites un dépannage sur votre véhicule ou une intervention il est intéressant d'en faire un retour d'expérience afin de tracer et qu'ensuite cela puisse servir à un autre membre qui aurait un problème similaire. C'est simple comme démarche non c'est ce qu'on appelle un échange.
Donc un petit effort de votre part et les relations sur le forum n'en seront que plus amicale.
Que veut-il que je lui raconte ? Que cherche-t-il de ma part comme retour d'expérience ? La dernière fois que j'ai fait le plein d'essence ? La fois ou muni d'un seau et d'une éponge, je l'ai lavée avant de passer la peau de chamois pour l'essuyer ? Ne sachant rien faire de technique, mes retours seront minces. Alors qu'il limite l'accès de son forum à ceux qui savent et le ferment aux béotiens comme moi qui n'avaient pas d'autres buts que de rouler dans une jolie voiture en ne devinant pas que celle-ci serait sans cesse victime de micro pannes ennuyeuses.
J'ai ainsi eu une panne électrique et c'est un ami polytechnicien, un retraité, qui me l'a réparée. Muni de son voltmètre, sérieux comme un pape, il a passé deux heures pour la diagnostiquer et l'a trouvée. Cela m'a couté un restaurant où je lui ai offert une côte de bœuf. Est-ce cela qu'il souhaite comme retour d'expérience, que je pratique la côte de bœuf contre l'expertise ? Ou alors, comme j'ai de l'imagination, je pourrais aussi lui en inventer des expériences. Ainsi, je pourrais avec un sérieux à toute épreuve lui expliquer comment au bord de l'autoroute, j'ai changé un moteur muni pour tout viatique de deux silex et d'un tournevis rouillé.
De toute manière, ce type est un contrôlant absolument dénué de tout humour qui a pris ma prose au pied de la lettre. C'est ce que l'on nomme un collectionneur. Et qu'ils amassent des timbres, des pièces ou des voitures, les collectionneurs sont des gens étranges et souvent peu amusants. Ils peuvent au début sembler farfelus tant leur collection les anime mais que l'on ne s'y trompe pas, leur manie, car c'en est une, n'est qu'une sorte de "folie" contrôlée qui les empêche de sombrer dans la dépression.
Le collectionneur d'automobiles anciennes, est loin d'être un rigolo. C'est un type qui ne vit que pour sa passion, admirant le moindre boulon et la moindre vis. Il collectionne et amasse tout ce qui concerne sa passion, des prospectus publicitaires au moindre article paru dans la presse.
Le collectionneur se distingue donc de l'honnête homme par sa propension à amasser et à trier, classer inlassablement. Sous des dehors parfois sympathiques, c'est un inquiet obsédé du contrôle. C'est un enfant malheureux à qui l'on n'a pas assez prodigué de soins et qui s'accroche aux objets pour assouvir sa soif de sécurité affective. C'est un inquiet, une jeune enfant qui n'avait sans doute pas beaucoup d'amis et qui aura toujours besoin de la médiation d'un objet pour s'en faire, et encore pourvu que l'objet de l'autre soit le même que le soin.
C'est finalement un miroir qu'il recherche. Incapable de nouer un lien avec ce qui le dépasse et le différencie des autres, le collectionneur, fétichiste un peu honteux qui savoure sa passion en secret, ne se dévoile que face au même que lui, pour qui il ne sera pas un sujet de moquerie ni de honte. Il n'y a qu'à voir une sorte de club d'automobiles anciennes pour constater la tristesse qui y règne.
Certes je ne m'appuie que sur une sortie pour l'analyser. Mais quel ennui que de voir ces adultes, ces grands enfants à peine sevrés affectivement, rouler à la queue leu leu, pour garer leurs jolies voitures en rang d'oignon à un endroit d'où ils repartiront pour aller se regarer ailleurs. Et lors des pauses, ce ne sont que sourires crispés, fausse joie, liesse factice entre eux parce que sitôt qu'ils cessent d'admirer un boulon d'origine, une peinture lustrée dont le ton est strictement conforme au catalogue constructeur, ils perdent toute facilité à échanger comme de gosses mal aimés qui traineraient seuls dans une cour de récréation tandis que leurs petits camarades s'amusent.
La collection représente l'expression de leur valeur sociale et l'unicité farouche de leur passion leur permet de se comparer de manière simpliste aux autres. Ayant peu d'habiletés sociales, le collectionneur a du mal à éprouver de l'empathie. Non qu'il soit sociopathe mais que la valeur intrinsèque d'un individu ne puisse lui apparaître de manière simple. Je t'aime bien pour ce que tu es devient, je t'aime bien parce que tu as aussi une belle voiture comme moi. Si toutefois ta voiture était bien moins bien que la mienne, je t'aimerais bien aussi mais sans doute un peu moins.
Le plus amusant est que ma description puisse donner à penser qu'il s'agirait presque d'autistes d'Asperger. Même pas et surtout pas. Chez ces collectionneurs, j'ai vu des ingénieurs de haut niveaux, des médecins spécialistes et généralement beaucoup de personnes ayant des professions en vue. Ainsi, je me souviens d'un médecin me racontant qu'il avait passé dix ans à trouver le cerclage en zamac de la lunette arrière de sa capote. Qu'il l'ait cherché pour avoir une voiture en état ne me choquait pas. En revanche qu'il me présente cela comme la quête du Graal et l'affaire de sa vie m'a un peu alerté sur son niveau de maturité psycho-affective.
Collectionner est une entreprise solitaire où l'on ne lie que de brefs rapports ayant peu d'intensité émotionnelle avec d'autres moi-mêmes. C'est une activité masturbatoire un peu triste. C'est le degré zéro du fétichisme, un peu comme celui auquel s'adonnerait un collectionneur d'escarpins qui se masturberait en caressant un talon haut au lieu de les voir porter par sa copine. C'est l'écologiste qui rêve d'une nature intacte sans l'homme à la différence du type soucieux de l'environnement pour mieux y vivre.
Le collectionneur parce qu'il est dépressif et a été sans doute mal aimé est difficilement capable d'aimer autrui. Bloqué affectivement, il donne à sa passion ce qu'il n'ose donner à d'autres de peur d'être déçu. C'est d'ailleurs ce que me reproche le responsable du forum : prendre sans donner en échange. Comme si j'étais une sorte de mère toute puissante incapable de lui prodiguer les soins qu'il réclame en retour des bisous qu'il me fait. Le forum devient bien plus qu'un lieu d'échange, un lieu où l'on devrait régler ses manques affectifs. J'ai d'ailleurs noté que certains, parmi les fondateurs, y passaient des heures et des heures. C'est un comportement addictif qui ne dit pas son nom mais se teinte de la bienveillance que l'on octroie forcément à une occupation banale et bon enfant.
Toute décision, toute action nécessite que l'on puisse en déterminer les buts. Et là, le collectionneur sèche souvent. Il achète, amasse et montrer à ceux capables de le comprendre mais rien de plus. Le sentiment de manque qu'il éprouve sera comblé lors de chaque achat d'un nouvelle pièce à rajouter à sa collection. Mais sitôt la pièce en sa possession, le manque revient qu'il faudra combler. A cela, il faut rajouter l'aspect sacré d'une collection. Ayant ainsi eu la liberté d'exprimer la réserve quant à la fiabilité et la qualité de fabrication des Jaguars, j'ai été vertement remis à ma place. Sans doute qu'en acceptant l'imperfection du véhicule, j'admettais les miennes alors que le collectionneur ne cherche qu'à se dissimuler derrière la perfection de la restauration du sien.
On ne critique pas la déesse alors même que le fondateur de la marque, William Lyons avait toujours eu pour ambition de proposer des voitures sportives et luxueuses abordables. On pardonne à la voiture ses défauts parce qu'on lui porte une admiration totale. Certains m'expliquent que les Jaguars sont des maitresses exigeantes mais superbes, comme s'il se fut agi d'une femme. A vrai dire, on croirait parfois entendre le discours d'un quinquagénaire bedonnant pris dans les filets d'une jeune aventurière sans scrupules. Sans doute que certains qui se sont ruinés pour des courtisanes ont eu le même discours. Il les avait dans la peau. N’avoir déjà qu'un seul regard de leur maitresse suffisait sans doute à combler leur béance narcissique.
Bref, les collectionneurs, même si je les comprends, leur pardonne et plus encore, leur octroie la liberté de vivre la vie qu'ils désirent, m'ennuient profondément. Je suis tellement différent d'eux que je n'ai rien à faire avec eux. Je sais que nos vies peuvent se croiser à quelques moments parce que mes lubies successives m'auront porté vers une de leur passion, mais nous sommes trop différents pour nous comprendre. J'aime le lien social, parler et échanger et ils ne recherchent qu'à birser de temps à autre leur isolement au travers d'une communion au travers des objets.
Sans doute n'étais je pas si loin de cela quand par humour je lui ai proposé des séances gratuites de thérapie en échange de conseils technique. Peut-être qu'il aurait pu me raconter que sa maman ne l'aimait pas ou qu'il n'avait pas d'amis étant petit. Il se serait libéré !
Addendum :
A l'heure où j'écris le chef du forum n'ayant pas gouté semble-t-il ma prose un tantinet humoristique avec laquelle je lui réponds, mélange de fausse admiration et de vraie moquerie, m'avertit qu'encore un mot de moi et il me vire du forum. Alors là, je suis partagé. Tandis que le capricorne que je suis, est capable de présenter de fausses excuses parce qu'on ne sait jamais si je n'aurais pas besoin d'eux, mon ascendant bélier a envie de charger sabre au clair et de lui dire d'aller se branler dans sa voiture ! Ma vie n'est pas toujours simple !