22 octobre, 2018
C'était coment à ton époque ?
Voici quelques temps, un de mes jeunes patients m'avait demandé : dis-moi, qu'est ce qui a le plus changé entre ton "poque et maintenant ?
Quand j'ai entendu ça; j'ai eu l;'impression d'être un grand-père à qui sont petit fils demanderait "comment c'était avant papy ?" J'ai bien sur eu envie de le traiter de petit con pour lui apprendre à être poli puis je me suis ravisé. Après tout, il est né en 1989 et moi en 1967, soit vingt-deux ans après moi. Bref, j'ai l'âge d'être son père ou presque.
Je n'ai pas vu le temps passer. Ces vingt dernières années ont filé à la vitesse de l'éclair même si je n'ai rien fait de spécial vu que je fais à peu près toujours la même chose aux mêmes endroits. Mais c'est ainsi. Jusqu'à trente ans, vous grimpez en haut du toboggan. Puis de trente à quarante vous descendez doucement et après quarante, ca s'accélère. Vous vous retrouvez passé les cinquante balais, vous vous retournez sur votre vie et vous vous dites que ça a drôlement été vite.
Dire que petit, j'attendais Noël ou les vacances qui tardaient toujours à venir et qu'aujourd'hui, je vois le compteur tourner si vite que je me dis qu'il me reste peut-être dix belles années avant d'être un vieillard cacochyme. Bon ce qui me rassure, c'est qu'étant né vieux, l'âge n'a pas vraiment de prise sur moi. Certains regretteront les performances de leurs vingt ans. Moi, même à vingt ans, le mec qui m'avait vu faire du sport commençait à calculer ses points de retraites.
Mais revenons à nos moutons. Qu'est ce qui a changé entre moi né sous De Gaulle et mon jeune patient, né sous le second septennat de Mitterrand ?
Et bien, je vais vous le dire : l'argent ! Quand j'étais jeune, ceux qui étaient allés aux USA, et ils étaient rares, se gargarisaient du fait que là-bas, l'argent n'était pas tabou parce que les gens y auraient été dénués de jalousie. Tandis qu'en France, c'était le contraire. On parlait peu d'argent, on ne se jetait pas son salaire au visage lors d'une conversation parce qu'on était de gros hypocrites.
Moi, j'avais une autre explication. Je trouvais simplement qu'on était mieux éduqués et rien de plus. Et que jeter à la face de quelqu'un ce quon gagnait ou possédait était essentiellement l'apanage des parvenus. Ici; cela ne se faisait pas.
J'ai par exemple le souvenir d'un café pris en compagnie de ma tante qui sortait de chez Hermès où elle s'était acheté un joli carré de soie. Assis face à elle, j'avais eu la surprise de la voir sortir un minuscule nécessaire à couture d'où elle avait extrait une paire de ciseaux. Et d'une main alerte, elle avait coupé l'étiquette du carré Hermès. Surpris par la manœuvre, j'avais alors demandé :
- Mais que faites-vous donc ma tante ? (Elle et moi, capricornes tous deux, adorions nous vouvoyer)
- Mon cher neveux, je coupe l'étiquette car ceux qui ne savent pas n'ont pas besoin de savoir et ceux qui savent n'ont pas besoin de l'étiquette.
J'avais trouvé la manipulation amusante et intéressante. On se faisait plaisir sans pour autant afficher ostentatoirement la marque de ce que l'on avait acquis. Certains diraient que c'était bien hyporcite et je ne trouve pas. On vivait selon ses moyens sans pour autant écraser ceux qui en avaient moins. C'et du moins ce que j'ai ressenti de cette époque.
De la même manière, en 1979, j'étais parti successivement aux USA, à Boston dans une famille pour un séjour linguistique, puis en aout au Mexique avec mes parents. Aujourd'hui, de telles pérégrinations sont devenues bien plus accessibles. A cette époque, elles ne l'étaient pas. C'était un privilège dont je jouissais et j'en avais conscience. Mon père nous avait sermonné, mon frère et moi afin que nous ne disions rien de tout cela. Selon lui, il ne servait à rien d'étaler, cela ne se faisait pas. Il était inutile de provoquer l'envie et la jalousie.
J'ai alors rajouté à mon jeune patient qu'il en allait de même pour les voitures. Elles étaient plus discrètes. On achetait plus cher pour acheter mieux. Objectivement une Mercedes était mieux qu'une Peugeot. Je ne suis pas sur qu'il en soit de même aujourd'hui.. A cette époque, le SUV n'auraient pas eu la cote : trop voyants, trop ostentatoires. Tous les Audi Q7, Mercedes GLE et autre BMW X6 auraient été jugés du pire mauvais goût. Je ne suis pas sur qu'on aurait osé assumer le fait de s'asseoir dans ces monstres inutiles auxquels ne anquent que le prix d'acquisition pour être de parfaits outils de parvenus. A cette époque, on aurait appelé cela des voitures de B.O.F. (pour Beurre, Oeufs, Fromage), du surnom des crémiers qui avaient fait fortune dans le marché noir durant la guerre comme les Poissonard (photo illustrant l'article) dans le roman de Jean Dutourd.
C'est finalement ce qui a le plus changé en vingt et quelques années : le rôle de l'argent. Je ne me baignerai pas dans les eaux lénifiantes du "c'était mieux avant" en disant que l'argent n'avait pas son importance. Du moins, on faisait attention à n'en pas faire la mesure de toute chose. De cela je suis sûr.
Et si l'on désirait quelque chose, c'était pour obtenir quelque chose de mieux et non pour calquer son désir sur celui des autres. Aujourd'hui, me semble-t-il, on désire essentiellement ce que les autres désirent. Un peu comme ces crétins qui vont au Costa-Rica et reviennent enchantés en vous expliquant que le pays est couvert de réserves naturelles et qu'ils ont assisté à la ponte des tortues marines. Ces mêmes qui en Europe seraient bien incapables de distinguer une tortue grecque d'une tortue d'Hermann ! Et voilà que pourvu qu'ils soient à dix mille kilomètres de la mère patrie, ils sont pris d'une folle envie de tout connaitre des chéloniens !
Bien sur ma réflexion vaut pour n'importe quel voyage stupide que les gens font. Le tourisme consiste de toute manière à envoyer des gens qui n'ont rien à y faire dans des endroits divers, l'idée étant que plus c'est loin mieux c'est. Le comble de la crétinerie étant atteint par ceux qui trouvent génial d'aller boire des bières sur une plage australienne en faisant un barbecue. De toute manière, mes lecteurs le savent : je déteste les voyages.
Le désir mimétique est devenu roi. Girard avait peut-être raison. Les professionnels du marketing l'ont bien compris. Qu'une personne connue possède quelque chose et voilà que cette chose acquiert un statut particulier qui fera que les autres la voudront. Il n'y a plus de gens de qualité, juste des gens de quantité.
Voici deux ou trois mon filleul Lapinou, ravi de gagner sa vie s'était offert une Rolex. Sans doute que ivre des quelques milliers d'euros qu'il gagnait par mois, il en était venu à confondre son statut de salarié avec celui d'associé de son cabinet. Et aussitôt dit, aussitôt fait, le voici qu'il avait acquis une montre "de riche", une vraie montre "de patron, de possédant". Comme il la portait et qu'il considérait la bien modeste Casio que je portais au poignet (30 € chez Amazon), il m'avait demandé pourquoi je ne portais jamais ma Rolex. Je lui avais alors répondu que la Casio donnait tout aussi bien l'heure et que considérant qu'il venait d'en acquérir une, cela me donnait une bonne raison de ne plus la porter.
Bref, lorsqu'il a affirmé que l'homme diffère des autres animaux en ce qu'il est le plus apte à l'imitation, Aristote ne s'est pas planté. Je n'ai jamais été de gauche et je n'ai rien contre l'argent. Mais quand on en fait la valeur de tout, le monde devient vraiment pourri. Il y a des choses qui ne s'achètent pas.
Un double express avec un Perrier autour d'une table en terrasse entouré de beaux esprits restera sans doute l'activité la plus salutaire et la plus agréable qui soit pour moi.