De profundis !
Ceux qui me lisent depuis des années connaissaient Sean. Sean avait bien rigolé de la caricature que j'avais faite de lui. Sans doute que cela avait du le flatter.
Le lendemain, elle était encore sous le choc de la violence de l'insulte. Tant et si bien, que Sean s'en était aperçu. Elle avait alors craqué et lui avait avoué la manière odieuse dont elle avait été traitée. Sean lui avait alors dit de se calmer une heure ou deux, de sortir prendre l'air et qu'à son retour, il règlerait le problème. Elle était alors sortie lire en terrasse, le temps de s'apaiser.
A son retour, Sean l'avait convoquée dans son bureau pour régler le différend l'opposant à ce malotru. Il avait alors appelé cette personne et d'une voix suave et aimable lui avait dit qu'il était au courant que sa gestionnaire ne faisait pas l'affaire. L'autre, ne se méfiant de rien, n'avait pas mâché ses mots disant pis que pendre de la petite Solange. D'une voix toujours aussi suave, Sean avait alors proposé à cet homme de le rencontrer dans les plus brefs délais ; sans doute qu'en tant que Directeur général de la société, il saurait proposer une solution valable.
Le président du conseil syndical, flatté que le Directeur général d'une société aussi importante l'appelle en personne avait alors proposé à Sean de le voir le soir même après dix-huit heure. Sean avait accepté et expliqué à Solange qu'ils iraient ensemble et qu'il règlerait le problème. A l'heure dite, Solange montait dans la voiture en compagnie de Sean pour rencontrer le malotru.
Une fois chez lui, Sean s'était présenté de manière sympathique puis, d'un seul coup, comme me le raconta Solange, il s'était approché très près de l'homme, jusqu'à le toucher et lui avait demandé : et moi, est-ce que je suis une petite salope ?
L'homme interloqué n'avait pas su quoi répondre alors Sean avait réitéré sa question en le tutoyant, toujours aussi menaçant : il parait que Solange est une petite salope alors je voudrais savoir si moi aussi, j'en suis une.
Le type assez mal à l'aise avait tenté de le calmer en arguant d'un malentendu, en expliquant qu'il s'était laissé entrainer par sa colère. Sean, le regardant toujours aussi fixement avait encore demandé si lui, aussi était une petite salope. L'autre de plus en plus mal à l'aise lui avait demandé de se calmer. Mais une fois qu'un slave est lancé, rien ne l'arrête. Sean, ne cessait pas de le harceler, jusqu'à ce que l'autre ait vraiment peur. Solange m'avait expliqué, que Sean était était devenu tellement menaçant, et semblait tellement proche de le frapper que le malotru en avait uriné dans son pantalon en tremblant.
Sean l'avait alors saisi par l'oreille en lui intimant l'ordre de se mettre à genoux et l'autre lui avait obéi. Puis, une fois à genoux il lui avait demandé de présenter ses excuses à la jeune Solange, ce que l'autre avait fait en bafouillant. Solange était aussi terrorisée que lui.
Puis, le tenant toujours par l'oreille, il l'avait aidé à se relever et lui avait explique que tout cela resterait entre eux trois. En revanche s'ils s'avisait d'insulter de nouveau Solange ou de remettre le mandat qui liait la copropriété à la société de Sean en cause, alors il reviendrait avec une batte de base-ball pour le tabasser à mort et mettre le feu à son appartement.
Dans les réunions de copropriété, les gens très agressifs sont rarement des gens qui ont connu la violence mais la mime face à des salariés qu'ils imaginent pieds et poings liés. Ce sont souvent, à Paris, des gens issus de CSP+ habitués à la soumission des cadres du tertiaire. Le pouvoir et l'argent qu'ils détiennent les rend souvent odieux plus que véritablement dangereux.
C'est ce qui s'était passé. Face à une gamine de vingt-six, ans le malotru s'était laissé aller aux insultes, mais face à Sean et à son physique de cosaque habitué depuis tout petit à la vraie violence, il avait cédé. Il faut dire qu'ayant vu à une ou deux reprises, Sean très en colère, il était vraiment très impressionnant. Son visage dans ces moments était celui du dingue qui s'en fout de finir ses jours en tôle. Mais il était aussi redoutablement intelligent et il en jouait car il avait compris que dans une bagarre, ce n'est pas forcément le plus fort qui gagne mais celui qui a l'air le plus dingue. Pour un type comme Sean, mettre à l'amende un président de conseil syndical d'une copropriété du XVIIe arrondissement, c'était comme tancer un gamin pénible.
Une autre fois, alors que je faisais une formation pour le compte de son cabinet, j'avais du m'associer avec un type pas très sympathique, un ingénieur centralien. Sean ne l'aimait pas trop non plus. J'avais alors préparé le contrat et l'avait amené à Sean. Sean m'avait alors demandé si tout était correct et je lui avais répondu que de mon point de vue, ça l'était. J'avais rajouté que mon associé du moment l'avait imprimé mais que je ne pensais pas qu'il ait modifié ledit contrat. Sean avait alors demandé à mon associé du moment, s'il avait rajouté quelque chose et l'autre l'avait assuré que non. D'une voix calme, en le fixant dans les yeux, Sean lui avait expliqué : je suis un brave gars qui fait confiance et ça me fait chier de tout relire. Mais si tu as décidé de m'enculer tu le regretteras. Moi, on ne m'encule pas. Si tu le fais, après la formation je suis chez toi, je te tue, je viole ta femme et je mets le feu à ton pavillon. Compris ? L'autre, complètement interloqué, avait bredouillé un oui.
Une fois sorti, mon associé du moment m'avait alors dit que Sean était complètement dingue et que personne ne lui avait jamais parlé comme ça. Moi, connaissant une partie du cinéma de Sean, je lui avais juste rappelé que Sean nous payait très très bien et que d'autre part, c'était un slave et qu'il pouvait se montrer curieux mais qu'il ne fallait pas se formaliser. N'empêche qu'il avait pris l'oseille parce que Sean payait vraiment très très bien et il s'en foutait vu que c'était sa boite qui réglait la facture.
C'était ça Sean, comme je le disais en préambule : un char T34 conduit par un psychopathe au cœur d'or. Un type improbable et totalement anachronique mais particulièrement attachant, un gars qui n'aurait pas hésité à vous massacrer s'il ne vous appréciait pas mais qui était prêt à prendre des risques inouïs pour les gens qu'il aimait. Je suis heureux de l'avoir eu pour ami, d'avoir partagé des dizaines de bons moments avec lui.
Sean n'est plus. Il s'en est allé. Il s'est éteint dans son sommeil d'une crise cardiaque foudroyante. C'est son épouse, qui ne le voyant pas bouger au réveil a constaté son décès. Sean a brulé la chandelle par les deux bouts. Il a bu, mangé, couché et s'est drogué plus que de raison. Il a aussi beaucoup travaillé pour s'extirper de sa triste condition de pauvre gosse du nord. Il avait réussi à l'aube de la quarantaine. Il gagnait beaucoup d'argent qu'il jouait beaucoup au casino, sans doute parce qu'il savait que son passage sur terre serait limité.
C'était un type excessif mais un gars bien. Dans l'Apocalypse 3, il est dit que Dieu vomira les tièdes. Sean était excessif, gelé ou bouillant mais il n'a jamais connu la tiédeur. Je suis sûr que Dieu l’accueillera avec bienveillance dans son paradis.
Ce n'est pas un adieu, tout juste un au revoir. Ici-bas, personne ne t'oubliera, sois en sur !