19 novembre, 2010

Morale pratique !



Ma profession offre bien des surprises. C'est ainsi que si les pathologies restent globalement les mêmes, je reçois en revanche des gens de toutes conditions et de tous âges. Cette semaine, magistrat, médecin, avocat, journaliste, pharmacien, négociateur immobilier, ingénieur, réalisateur, chômeur, etc. se sont ainsi succédés dans mon antre. A la longue, on finit un peu par s’y habituer et connaitre pas mal de choses sur beaucoup de secteurs d'activités.

Mais voici quelques semaines, j’ai eu quelqu’un qui sortait de l’ordinaire. Envoyée par un médecin, une sorte de   jeune et grande liane blonde plutôt très bien faite de sa personne est apparue dans mon cabinet. La plupart des médecins ne prennent même plus la peine de me faire un mot dans lequel ils m’expliquent pourquoi ils m’envoient un de leur patient. Cette fois ci, j’en avais un très détaillé qui me précisait par le menu tout ce dont souffrait cette charmante demoiselle.

Malgré une apparente froideur, le contact est bien passé entre elle et moi. Toutefois, j’ai constaté qu’elle avait un peu de mal à m’expliquer ce qu'elle faisait dans la vie. Elle avait un travail assez commun et je trouvais que sa tenue n’était pas vraiment en adéquation avec les revenus qu’elle aurait du avoir. Alors, elle m’a expliqué, avec un peu de difficultés, comme si elle avait peur de me choquer.

Elle a tourné autour du pot, a tâté le terrain et a commencé à me dire qu'elle avait des préférences étranges. Aussi léger qu'une plume, je n'ai pas bougé me contentant de l'encourager à me parler. Je m'attendais au pire : relations SM, gang bang, amatrice de chauves en Harley, enfin des trucs extrêmes quoi. Elle m’a sourit et s’est contenter de me répondre par une litote en m’expliquant qu’elle aimait bien l’argent et qu’il ne lui déplaisait pas de faire payer les hommes. Pour détendre l'atmosphère, je lui ai précisé que ce soir malheureusement, c'est elle qui allait m’en donner.

Alors, finalement elle s’est lâchée en m’expliquant qu’elle ne détestait pas tarifer ses prestations lorsqu’elle était avec un homme. Elle me dit ainsi que quitte à coucher avec un type qui ne lui plaisait pas plus que cela, autant le faire payer. Je lui ai répondu benoitement qu'elle pourrait aussi coucher gratuitement avec un type qui lui plaisait avec ce que l’on nomme trivialement des « sentiments ». Et là, la mignonne m’a répondu qu'elle était pour le partage des tâches. Que pour elle, un homme se devait de l'entretenir mais qu'en revanche, elle savait cuisiner et tenir un intérieur. C'est assez amusant quand on songe qu'elle n'a pas encore trente ans. C’est presque réconfortant de constater que les valeurs traditionnelles perdurent chez les jeunes. Puis, elle m'avoue que les sentiments, ce n'est pas son truc et qu'elle n'a jamais été amoureuse.

Afin de clarifier les choses, je lui ai demandé si elle était « prostituée occasionnelle ». Elle m’a aussitôt corrigé en m’expliquant qu’elle n’était qu’une « excort girl », qu’elle faisait de « l’escorting » et rien de plus. C'est la nouvelle tendance pour la prostitution de se dire escort-girl, ça choque moins le badaud et ça permet de baiser en tarifant ses prestations en gardant un peu d'estime pour soi. Durant un temps, certaines ont tenté de s'appeler "travailleuse du sexe" mais ça donnait un côté militant de gauche pas très glamour. Entre aller aux putes ou dire qu'on allait voir une travailleuse du sexe, le choix était vite fait. 

Ma chère patiente après m'avoir dit cela a attendu ma réaction. Je n’ai pas trop su quoi trop quoi dire. D'abord, parce que ce n'est pas la première femme à s'être prostitué que je reçois. D'autre part, parce qu'au moins, elle est claire et directe et puis que je ne suis pas là pour la juger. D'ailleurs, je connais des femmes mariées, dont l'union n'est rien d'autre qu'un putanat matriarcal. Alors pourquoi les excuser elles et blâmer ma chère patiente.

Que faire ? Dois-je lui faire de gros yeux en lui parlant d'estime d'elle-même, lui vanter les mérites de l'amour véritable, lui parler des dangers liés à sa profession ou ne rien dire ?  Lui faire "hmm hmm" comme un psychanalyste d'un air entendu pour lui faire comprendre que j'ai justement tout compris. Je décide de ne rien dire. Et puis, je me retranche derrière mon libéralisme. Si un manœuvre peut vendre sa force de travail et donc de ce fait son corps, pourquoi ne louerait-elle pas le sien ?

C'est marrant, enfin "marrant" n'est pas le terme approprié, j'ai déjà eu par le passé des patientes qui avaient connu la prostitution. Mais c'était toujours dans le cadre dramatique de l'héroïnomanie, pour payer leur dope, jamais de manière aussi directe et avec un tel détachement en en affichant un tel cynisme. Là, j'ai à faire à quelqu'un qui certes n'en est pas au point de considérer sa profession comme le métier le plus normal de la terre mais qui, une fois en confiance, n'hésite pas en parler assez librement.

C'est assez curieux. Dois-je me concentrer sur les problèmes pour lesquels elle est venue me consulter en admettant que ce qu'elle exprime est vrai, et que pour elle, travailler comme escort est aussi anodin que de bosser à la Poste ?

Je pourrais aussi me dire que chez elle tout est lié et que son détachement et son assurance sont trop beaux pour être vrais. Face à une femme simplement "vénale" ayant trouvé le "bon filon" pour arrondir ses fins de mois, je n'aurais rien dit. Simplement parce qu’il est impossible de réaliser une thérapie avec quelqu’un n’ayant aucun sens moral. Mais là, je trouve son discours trop bien rôdé, son indifférence trop belle pour que je puisse y croire.

C'est tout de même marrant de vouloir à tout prix "faire payer les hommes" ? Que lui ont ils fait les hommes? Allez, mon libéralisme cède face à ma morale : je vais tout de même considérer qu'exercer ce métier à son âge  n'est pas la chose la plus normale qui soit et qu’il doit y avoir quelque chose à « gratter » là-dessous.

Pour m'amuser, je commence à lui expliquer que compte tenu de la manière dont elle exerce son métier d'escort, ce n'est ni plus ni moins que de la prostitution. Elle se défend en me disant que non, parce que la relation sexuelle n'est pas obligatoire. Je souris et lui dis que je comprends qu'elle veuille garder une bonne image d'elle-même mais que son argumentation ne tient pas la route et qu'elle le sait. Je lui précise cependant qu’un procureur ou que la brigade des mœurs seraient moins convaincus de sa sincérité.

Sa belle assurance commence un peu à s'effriter. D'accord pour être escort mais le terme de prostituée lui plait moins. A certains moments, en fonction des mots que j'emploie, la belle escort laisse la place à une pauvre gamine en souffrance et bien peu sure d'elle. C’est finalement assez rassurant.

5 Comments:

Blogger Unknown said...

> Allez, mon libéralisme cède face à ma morale
Sauf à confondre libéralisme et libertinage, les deux ne sont pas incompatibles, bien au contraire.

19/11/10 1:21 PM  
Blogger El Gringo said...

Mais putain*, tu nous dis pas combien elle prend!?!


*l'interjection de circonstance, n'est-ce pas?

19/11/10 1:29 PM  
Blogger Caroline said...

Lorsqu'on a un blog qui s'intitule "psychotérapeute" la fin d'article qui traite des escorts girls est un peu prévisible! Vous savez qu'ici à la toute fin vous faites de l'angélisme comme les socialistes! Bien que d'un point de vue libéral le "métier" d'escort girl est tout à fait acceptable mais estimer que toutes les mégères avident d'argent ne sont que des pauvres petites filles...C'est un peu fort!!

19/11/10 1:37 PM  
Blogger Lousk said...

Emouvant. :o

Fin du 9e parag, poste au lieu de porte ?

19/11/10 4:06 PM  
Blogger V. said...

En même temps, on ne sait pas ce qui a motivé cette jeune femme pour venir consulter un psy.
De quelle nature est le problème qu'elle veut régler (c'est le cas de le dire...).

24/11/10 1:34 PM  

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