04 avril, 2016

Lancer de cacahuète !


Lui, il a vingt-huit ans et c'est un patient que je reçois depuis peu. Il est venu me voir pour des angoisses terribles qui confinent maintenant à la phobie. C'est une angoisse étrange qui le saisit dans certaines occasions sociales et le met en panique. Tant et si bien qu'il se met à suer à grosses gouttes et ne peut faire autrement que de se lever de l'endroit où il est, de s'excuser pour rentrer chez lui.

Comme l'angoisse est toujours actuelle, lui et moi avons analysé et passé en revue tous les moments où il s'est mis à paniquer. On a pu remonter douze ans en arrière lors de première crise d'angoisse. Et comme il a bonne mémoire, il m'a même fait un joli tableau Excel dans lequel il a pu répertorier toutes les crises qu'il a eues depuis lors.

La première fois qu'on s'est vus, je lui ai dit au bout 'un quart d'heure qu'il était manifestement surdoué. Cela ne lui a pas du tout fait plaisir. Il m'a dit que sa psychiatre précédente lui avait dit au bout de deux mois. Il a jugé le procédé malhonnête car pour lui la douance, c'est le truc cheap à la mode pour flatter les patients. Je lui ai répondu qu'à moi, il n'avait pas fallu un mois mais un quart d'heure et que j'avais raison. 

Même si je comprenais sa réaction vu que la douance est de nos jours le concept le plus galvaudé au monde en psychologie. Qu'on soit seul, mal aimé, bon à rien, et je ne sais quoi d'autre, et on trouvera très vite un document qui expliquera que non, on n'est pas un toquard mais simplement un individu trop intelligent pour être heureux ! Par chance, je n'ai rien d'un surdoué, et j'en suis fort aise sinon j'en voudrais à mort à celui ou celle qui me jugerai comme tel ! 

Mais je n'en ai pas démordu, ce jeune type est surdoué. D'abord, il est bon en tout, en lettres comme en sciences. Enfin, dans nos entretiens, que je lui envoie une balle au fond du court ou derrière le filet, il est rattrape toutes ! C'est un signe. Je ne m'ennuie jamais avec lui. Et puis, autre signe, ce type n'a pas d'âge. Je pourrais être son père et pourtant quand je lui parle, on a l'impression d'avoir le même âge. J'ai une copine un peu cintrée et adepte de trucs mystiques qui dirait de lui que c'est une vieille âme. Et sur le coup, elle n'a peut être pas tort !

Bon, au bout de quelques semaines à triturer des données, je lui ai dit qu'avant il avait des crises d'angoisses qui se sont résolues d'elles-mêmes. Il est marié, il a un travail et tout va bien. Ce qui subsiste, ce ne sont pas des crises d'angoisse stricto sensu mais l'émanation de sa peur du monde adulte. J'avais ainsi noté que ses peurs ne se manifestaient que lorsqu'il allait être confronté à des situations sociales que l'on admet être inhérentes au statut d'adultes : diners chiants, gens pénibles, obligations lourdingues, etc.

Je lui ai expliqué que je comprenais parfaitement ce qu'il ressentait et que je le partageais bien souvent comme l'atteste mon texte précédent. Il m'a demandé comment j'avais fait pour surmonter tout cela. Je lui ai juste répondu que vers trente ans j'avais choisi une autre vie. J'avais quitté ma carrière toute tracée pour affronter quelque chose ou je me sentirais plus à l'aise parce que j'y mettrais plus de moi même. 

Il m'a alors parlé de capacité de travail, de limites de l'effort acceptable, et de toutes ces choses qui entravent l'homme le plus déterminé quand il n'est pas un bosseur né. Je lui ai alors répondu que j'avais connu la même chose et qu'il m'avait fallu faire un mix de mes facilités, de mes centres d'intérêt, de mes limites en termes d'efforts, de mon intelligence disponible pour en sortir un parcours socialement acceptable. Ce qui me valait aujourd'hui, certes de ne pas être un brillant chef de service de psychiatrie d'un grand hôpital mais d'être un modeste psychothérapeute pouvant se targuer d'avoir une clientèle charmante et assez rock'n'roll dont peu de confrères aimerait se charger.

Je lui ai aussi expliqué qu'on sentait bien qu'il avait le mépris de l'opinion commune mais qu'il recherchait le beau en toutes circonstances. En ce sens, il était un dandy, tel que le concevait Baudelaire, c'est à dire, selon les propres mots du poète "un hercule sans emploi". En effet, pour Baudelaire, le dandy est "une institution vague, aussi bizarre que le duel. Il rassemble des hommes qui possèdent l'argent et le temps et n'ont pas d'autre état que de cultiver l'idée du beau pour leur personne, de satisfaire leurs passions, de sentir et de penser." Il n'a pu qu'opiner du chef tant cette description lui parlait bien plus que le qualificatif galvaudé de surdoué.

J'ai alors conclu mon monologue en lui disant qu'il était surdoué, rempli d'humour, joli garçon ce qui ne gâchait rien et qu'il lui appartenait maintenant de trouver sa voie, un combat à sa mesure sous peine de finir comme des Esseintes, le héros de A rebours de Huysmans, perclus d'angoisses et empli de vanité. Je crois l'avoir convaincu !

Tant et si bien que la semaine suivante, ses angoisses avaient disparu. En lieu et place, il se sentait déprimé. D'après lui, j'avais touché juste. Alors, quand je lui ai demandé ce qui le déprimais autant maintenant qu'il savait ce qui lui restait à faire, il m'a répondu cette phrases savoureuses : "jusqu'à maintenant, j'ai toujours géré ma vie chichement. Je me lance une cacahuète à un mètre et je vais la chercher. Et puis, hop, j'en relance une autre et ainsi de suite. Mètre après mètre."

Je l'ai alors rassuré en lui disant que nous allions passer à la noix de cajou que l'on lancerait à deux mètres. Et que lorsqu'il serait capable de l'exploit consistant à ramasser cette noix de cajou, alors nous pourrions réfléchir à un projet de vie un peu plus conséquent.


2 Comments:

Blogger Unknown said...

Merci de l'article. J'adore votre blog, je vous l'ai déjà dit ?

5/4/16 1:17 AM  
Blogger KevinM said...

Tiens c'est bizarre,y'a des paragraphes qui sont des copiés collés d'un autre article mots pour mots,les patients ont eux aussi eus les mêmes réactions du coup quand vous leur avez annoncé qu'ils étaient surdoués?

5/4/16 3:16 AM  

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