08 février, 2016

Curriculum-vitae et entretiens !


J'ai un patient, un type charmant s'occupant du risque dans une compagnie d'assurances mais manquant de confiance en lui,  à qui j'ai affirmé qu'il était sans aucun doute un salarié d'une fiabilité extraordinaire. Manifestement, son patron, tout en l'appréciant, ne se montre pas aussi catégorique que moi. D'entretiens en entretiens, d'évaluations en évaluations, il semble lui manifester une certaine défiance sans pour autant préciser ses griefs. De mon point de vue, c'est son patron qui a des problèmes et non mon patient dont je persiste à croire qu'il est parfaitement fiable. Fiable à un tel point que même ses défauts sont perceptibles puisqu'ils ne sont que "les défauts de ses qualités".

Il a été étonné, alors que nous nous voyons que depuis peu, que je puisse ainsi affirmer aussi catégoriquement quelque chose le concernant. A priori, mon style plutôt promouvant heurtait quelque peu sa démarche analysante. Peut-être lui aurait-il fallu plus de temps pour être aussi sur que moi d'une personne. Nous serions sans doute parvenus à la même conclusion mais ses opérations logiques auraient pris plus de temps que mes "fulgurances". Très aimablement, il m'a demandé sur quels éléments je fondais mon jugement. En tant qu'analyste-risques, il était intéressé par ma démarche.

Tout d'abord, je lui ai expliqué que nous partagions quelques expériences. Ainsi, en école supérieure de commerce, j'avais eu des cours intitulés "prise de décision en avenir certain ou incertain", lesquels se targuaient, après avoir mis en équation puis sous forme de matrices différentes situations de prendre des décisions d'une manière scientifique. Si à l'époque j'ai scrupuleusement suivi les conseils du professeur qui m'enseignait cette matière, il va sans dire que je la trouvais passablement ridicule. 

Je la trouvais contraire à l'esprit humain lequel est à mon sens rationnel d'une manière apparemment irrationnelle. Je ne pense pas pour autant que notre rationalité soit limitée mais simplement que dans une prise de décision intervienne tout un tas de facteurs qu'il est bien difficile de modéliser pour, justement, des esprits trop rationnels. Je pense que l'excès de rationalité dont font preuve les analysants les rend parfois incapables à prévoir le choix des humains. 

J'ai d'ailleurs pu noter, depuis près de vingt ans que je pratique mon métier que mes patients ayant le mieux réussi sont soit :
  • Ceux bénéficiant d'un phénomène de rente soit au travers d'un diplôme de grande école bénéficiant d'un réseau important, soit ceux pratiquant une profession réglementée limitant la concurrence. Indépendamment de leurs qualités individuelles, c'est un concours qui a déterminé leur niveau de revenus. A ce niveau, rappelons nous les mots de d'Auguste Detoeuf, polytechnicien et fondateur d’Alstom, qui parlant des concours, précisait que : "cela sélectionnait les volontés et harmonisait les médiocrités".
  • Enfin, chez les autre, ceux soumis à la concurrence la plus rude parce que ne bénéficiant ni d'un réseau particulier ni d'un accès réglementé à une profession, les plus belles réussites s'observent chez ceux chez qui on aurait coutume de dire qu'ils ont eu du nez. La locution "avoir du nez" signifie qu'ils ont eu de l'instinct, du flair. Ils ont simplement vu la nouveauté là où d'autres ne l'autraient pas vue et là où ce que l'on m'a enseigné de la prise de décision, lorsque j'étais jeune, aurait échoué puisqu'il n'y avait pas d'éléments à modéliser mais simplement une idée, parfois un peu folle, à laquelle ils se sont accrochés.

  • Loin de moi l'idée de dire que l'actuariat ou toute formule de prédiction des risques ne vaudrait rien. Disons que pour moi, de la même manière que la décision d'un juge ne saurait se soumettre à un rapport d'expertise, j'aime à me souvenir que ce sont des outils et rien d'autre, comme le sont les tests dans ma profession, lesquels doivent être utilisés avec circonspection et ne jamais se substituer à la clinique.

    J'ai ensuite rajouté à mon patient que sa présentation était extraordinaire. Comme nous sommes tous deux nés à une année d'intervalle, nous avons eu la même jeunesse et donc les mêmes références. En le voyant, je me revois voici trente ans. C'est un parfait diplômé d'école de commerce. Rien ne dépasse : le costume est impeccable, la chemise et la cravate aussi et les chaussures bien cirées. Et touche amusante et détail décalé, il doit être l'un des derniers à encore porter des chaussettes Burlington comme nous en portions dans les années 80. Les chaussettes de couleur signent un petit côté original marquant sa nature facilitante. Soit ce type a tout prévu et tout calculé et est un escroc de haut vol, de nature à endormir toute méfiance, soit comme je le pense, c'est un type fiable à cent pour cent.

    Enfin et je crois que c'était le plus important pour moi, c'est un passionné de voile. J'ai moi-même fait un peu de voile étant plus jeune. Pas suffisamment pour être un marin confirmé et tracer la route jusqu'aux Antilles, mais assez pour distinguer un vrai marin d'un charlot. Et puis au gré de mes lubies, j'ai pu à l'occasion m'y remettre au travers de lectures. Les différentes allures, de même qu'un bouge, une tonture, une ligne de tin, un trinquette, un pataras ou un ridoir et autres termes techniques me sont familiers autant qu'inutiles sauf lorsque je suis face à un passionné de la mer. 

    Et mon patient est un vrai marin, ayant à son actif quelques belles traversées tout en ne dédaignant pas s'amuser sur un dériveur en Bretagne. A défaut d'en parler avec passion, puisque c'est un analysant, il en parle savamment. Et s'il y a bien quelque chose qui ne pardonne pas l'amateurisme, c'est la mer. En mer, nulle bande d'arrêt d'urgence sur laquelle vous attendrez la dépanneuse venue vous secourir. Et si la technologie a beaucoup apporté à la navigation, bien souvent, les mauvaises décisions se payent très cher, au prix de la vie.

    Pour lui résumer la manière dont j'avais posé mon jugement définitif sur lui, je lui rappelai donc qu'il avait de beaux diplômes comme beaucoup et qu'il présentait bien comme tant d'autres. En revanche, j'avais été amusé par ses Burlingtons, lesquelles signaient à n'en pas douter un petit côté original donnant une dimension originale et bienvenue à un profil qui eut été trop analysant à ce niveau de poste. Un directeur doit avoir un peu d'ampleur et d'empathie pour manager. Ce n'est pas un poste d'expert.

    Enfin, sur son C.V. figurait la passion de la voile et il suffisait d'en parler ne serait-ce qu'une demie-heure avec lui pour comprendre que c'était un vrai passionné et un vrai marin. Et là, mon jugement était définitif, un type qui est capable de s'embarquer sur un sloop de sept mètres pour traverser l'Atlantique sait mesurer les risques et donc en prendre ! Je l'aurais donc signé sans problème et sans lui faire subir je ne sais quelles évaluations faussement scientifiques qui rassurent surtout ceux qui sont incapables d'apprécier un individu en peu de temps.

    Vosu l'urez compris, ma prise de décision équivaut à : Chaussettes Burlington + passion de la voile = recrutement parfait. C'est certain qu'écrit sous cette forme, cela apparaitrait totalement idiot. Pourtant, j'espère vous avoir démontré que ces détails, pour nous promouvants, ont autant de validité que les tableaux des analysants.




    1 Comments:

    Blogger CP said...

    Bonjour,

    Je suis journaliste pour le site Atlantico, j'aimerai entrer en contact avec vous afin de vous proposer une itw sur les déviances sexuelles... Pourriez-vous me contacter svp au 0180491539 ?

    Merci pour tout !!!

    23/2/16 3:49 PM  

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