15 octobre, 2006

Dîner de bons !


Quelle soirée ! Déjà, je suis tout frétillant à l'idée d'aller chez ces amis. Lui, c'est le meilleur ami de mon épouse et on s'est bien entendu dès le début. C'est normal, c'est un capricorne comme moi. Toutefois, je suis toujours un peu impressionné lorsqu'on va les voir.

Imaginez une splendide demeure nichée sur les hauteurs d'un village magnifique d'Ile de France. Pour y arriver, il faut prendre une petite route en lacets qui me rappelle furieusement Mullholland Drive. C'est vrai que le quartier a de faux airs de Beverly Hills !

Je me gare à l'extérieur. Comme d'habitude, les piliers de la grille sont couverts de messages d'amour de groupies. Des tas de bougies sont allumées devant et des bouquets de fleurs amoncelés devant le mur d'enceinte. Nous sonnons et sommes immédiatement introduits. Nous remontons une magnifique allée bordée d'essences rares.

J'aperçois, garées là, deux superbes berlines de marque française. Je me dis que certains ont bien de la chance. Puis, je me ravise aussitôt en me souvenant qu'il ne s'agit pas de chance mais de la simple rétribution d'un talent évident. Je me morigène immédiatement en songeant combien je puis parfois être jaloux et mauvaise langue.

L'ami descend. Comme d'habitude il est magnifique et m'impressionne. Face à lui, je me sens à chaque fois petit et insignifiant. Son épouse et sa fille viennent à leur tour nous saluer ! C'est comme à chaque fois un enchantement. Je me sens encore plus emprunté avec mon bouquet à la main et me dis qu'ils nous font vraiment un grand honneur de nous recevoir.

Nous sommes invités à pénétrer dans le salon. Je me risque à regarder par la gigantesque porte fenêtre. J'admire la magnifique piscine à débordement et la vue fabuleuse sur les forêts ondoyantes dans le lointain. Mais combien peut valoir une pareille propriété me dis-je ? Puis immédiatement, je me fais taire. Peu importe le prix me dis-je. Ce qu'il faut comprendre, c'est que c'est l'écrin magnifique qui correspond totalement au génie de mon ami.

Nous passons ensuite à table. Le diner est parfait. Comme d'habitude rien à dire. Les plats fins et les grands crus se succèdent. La conversation est passionnante comme à chaque fois que nous sommes reçus. Je suis esbaudi par tant de culture. Ce qui me frappe, c'est la simplicité du grand homme. Il me semble qu'à sa place, j'aurais sombré dans un narcissisme éhonté !

Lui non, il se contente de nous émerveiller avec un naturel qui force l'admiration. Parfois, je note une parole ou une prise de position qui peut aussi me heurter. Mais bien vite, je me dis qu'il a raison et que j'ai tort. Je me corrige bien vite en me souvenant qu'il a toujours raison.

Fut un temps, lorsque j'étais dénué de conscience, je crois que j'aurais pu répondre vertement et manifester mon désaccord. Je crois même, que sous l'effet conjugué de l'alcool et de la colère, j'aurais pu, à peine rentré, commettre un article assassin sur mon blog. C'est fou comme j'étais alors sous l'emprise des émotions en ce temps là.

C'est vrai que tout ce que j'entends autour de la table ne me plait pas. Non, que je soie terriblement choqué, mais j'aurais envie de répondre. Mais plus maintenant, je sais que c'est stupide. Je l'écoute donc et me contente de boire ses paroles. Dans ma tête, je me répète que je ne suis pas grand chose à côté d'eux et que je suis ici pour apprendre.

Je tente de faire taire mon formidable orgueil en prenant modèle sur mon ami qui a su rester si simple. Je l'observe discrètement. Il est toujours si digne, droit et pétri de bienveillance. La perfection qu'il projette sur moi fait apparaitre tous mes manques. Mais, je l'en remercie silencieusement.

La tempête dans mon esprit s'apaise. Je souris en songeant que fut un temps, j'ai cru qu'on pouvait passer une soirée entre amis en échangeant librement. Je sais bien qu'il n'en est rien. Je sais aujourd'hui qu'il faut se taire et se contenter d'écouter. Tenter d'élever le débat, de discerner la vérité au-delà des apparences ne sert à rien. Je dois me souvenir que les gens ont le droit d'avoir leurs idées, même si je les juge fausses ou stupides. Qui suis-je donc pour m'arroger le droit de juger ?

En croyant cela, je m'étais aventuré sur les voies de l'orgueil, les chemins de la perdition. Comme je fus infatué de moi-même ! Dire que je me croyais intelligent alors que je n'étais qu'un enfant confondant sincérité, spontanéité et immaturité. Mais ce soir, ayant décidé de me taire, tout va mieux. J'écoute, j'enregistre et j'opine du chef. Ayant déconnecté mon cerveau, je comprends soudainement tout. Sans esprit critique, la vie est bien plus simple. Lorsque l'on me demande mon avis, il me suffit de dire que je pense la même chose. Le caméléon est l'animal que je dois imiter.

La soirée se poursuit fort tard. J'ai l'impression d'être au Paradis. Mais, aussitôt, je suis pris d'un doute affreux en me demandant si le Paradis que l'on nous vante sera aussi bien ce que je suis en train de vivre ? Pris d'une grande anxiété, je voudrai que ce moment ne cesse jamais. Hélas, il faut partir car comme chacun le sait : il n'est de bonnes choses qui ne prennent fin.

En repartant, je songe que j'aurais bien pris ma carte au fan club de mon ami. Même si cela avait du coûter dix mille euros par an, je l'aurais fait en songeant que ce n'était pas bien cher pour y adhérer.

Une fois rentré chez moi, je me rue sur mon ordinateur pour jeter ces quelques mots. Je conçois qu'ils sont bien pauvres et ne reflètent aucunement le moment magique que je viens de vivre. Si Dieu me laissait vivre cent vies, je ne suis même pas sur que je parviendrais à la hauteur de la semelle de mon ami.

C'est ma croix, elle est lourde mais je dois la porter. Je ne suis qu'un nain, un ver de terre, un cancrelat, et même parfois un gros vilain. Sans cesse, en m'endormant, je me répète que je suis mauvais, mauvais, mauvais, etc ...

Soudain, en pleine nuit, trempé de sueur et le cœur battant à tout rompre, je me réveille ! Une idée a surgi dans mon cerveau. Dès demain, je commanderai un gros bloc de marbre. Je crois que j'ai très envie de réaliser une statue de mon ami de dix mètres de hauts pour la mettre dans mon jardin. Et puis, je me dis que ce serait sympa d'aller la fleurir tous les dix-hui janvier, jour de son anniversaire.

Rasséréné, je me rendors. Je sens que je deviens bon. Je suis sur la bonne voie.

(Bande de curieux, vous êtes venus voir tout de même hein !)

3 Comments:

Blogger . said...

lol, oui, bien sûr qu'on vient lire.

En tout cas, j'ai ri, on dirait un article "soviétique", réécrit après s'être repenti "oui, j'ai fauté envers le parti, qui est merveilleux etc." (enfin, c'est un peu cliché, mais c'est à ça que ça m'a fait penser... )

Voilà, bonne journée :))

30/4/08 11:55 AM  
Blogger Laure Allibert said...

Heureusement que Google et son cache peuvent encore révéler la vérité...

30/4/08 6:52 PM  
Blogger El Gringo said...

Une sacrée tête de bon, en quelque sorte...

1/5/08 12:07 AM  

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