18 novembre, 2018

Carnets de guerre !


Parce que tout le monde en parlait, la presse, les gens et mes patients, hier samedi, j'ai voulu voir de mes yeux ce que pouvait être le mouvement des gilets jaunes à Paris. Alors avec quelques comparses, Eddy, l'Antillais, Bag et le Pilote, nous y sommes allés. Ca me rappelait ce que le philosophe alain avait dit quand il s'était engagé à l'âge de 47 ans pour faire 14/18. Certes, ce n'était plus de son âge mais il ne se voyait pas vivre de loin ce que ses élèves auraient enduré. C'eut ét mauvais pour un philosophe.

Nous nous étions donné rendez-vous dans un coin cale pour déjeuner avant de "monter au front". Parce que, aussi stupide que cela semble, c'est l'impression que l'on avait. Ici à l'arrière, assis en terrasse chauffée, on était au calme. Et si ce n'était la présence éparse de quelques Gilets jaunes (GJ) dans la rue, on se serait cru comme n'importe quel samedi de n'importe quelle année. Ça nous a rappelé quelques pages de Céline, dans Voyage au bout de la nuit, quand en convalescence à Paris, il s'aperçoit qu'on dine toujours au restaurant et que des spectacles y sont proposés alors que lui et ses copains se font défoncer au front sous la mitraille et les obus.

Comme on papotait librement, un macroniste s'est immiscé dans notre conversation en nous rappelant que Macron avait été élu démocratiquement et qu'il fallait respecter les institutions. Le mec avait une trentaine d'années et des épaules de serpent et venait nous faire la la leçon. Bag qui est plus sanguin que moi lui aurait bien dit d'aller se faire enculer mais moi j'ai privilégié le dialogue. Ça n'a servi à rien puisque le mec était un adepte des tables rondes et des négociations. Alors que parfois, même si je n'aime pas ça, faut juste rentrer dans la gueule des gens qui vous emmerdent. Bref on était là comme de gros planqués sauf qu'on n'a pas pris de cafés parce que pour monter en ligne, mieux vaut avoir une vessie vide.

Et puis on a pris le métro et rejoint la ligne 1, celle qui traverse Paris d'ouest en est. Et là, les annonces ont commencé : la RATP diffusait un message avertissant que certaines stations étaient fermées en raison des événements. On devait donc descendre à la station Palais Royal et continuer à pied. Dans la rame, la présence de GJ était plus importante. Nous étions en civil, c'est à dire que nous n'avions pas revêtus de gilets jaunes. A ma décharge, je possède quatre voiture mais un seul gilet et Dieu seul sait dans laquelle il git, roulé en boule dans le coffre.

A peine débarqués, nous avons remonté la rue de Rivoli, totalement déserte si ce n'est quelques groupes épars qui allaient à la manifestation. La circulation ayant été coupée, aucune voiture ! L'ambiance commençait à changer. On sentait que l'on se rapprochait du front. Arrivés proches de la Concorde, tout au bout, nous nous sommes heurtés à un dispositif de CRS plutôt énervés. Dieu seul sait ce qu'ils avaient affronté. Toujours est-il que même si j'aurais adoré discuter avec eux et leur demander leur sentiment sur ce qui se passait, je n'ai pas osé le faire. Courageux mais guère téméraire, j'ai préféré, avec mes camarades, observer que de prendre des coups de matraques.

Là, on sentait déjà qu'on n'était pas loin. Entre les CRS en robocop et les déflagrations des grenades qui se faisaient entendre, on sentait qu'on était proche du front. On a donc décidé d'obliquer rue Saint Florentin, à droite pour rejoindre la rue Saint Honoré. Tout au bout, un dispositif, cette fois-ci de gendarmes bloquait l'accès à la rue Royale. Les gendarmes étaient plus cools. On a pu plaisanter avec eux. Ils n'étaient pas agressifs. D'ailleurs les GJ qui nous entouraient ne l'étaient pas non plus. Tout le monde leur demandait ce qu'ils pensaient de Macron et bien sur aucun n'a répondu. On s'en doutait mais ça nous a fait rigoler de voir des demi-sourires sur leurs visages. M'est avis que même si c'est leur job, ça ne les enchantait pas trop d'être là face à des gens plutôt pacifiques. Moi j'ai pas souvent l'occasion de discuter avec des gendarmes, même si j'en ai eu deux dans ma clientèle, alors ça me plaisait bien de pouvoir papoter avec eux. Mais bon, c'était pas vraiment le moment pour ça.

Alors on a rebroussé chemin rue Saint Honoré et on a obliqué à droite rue Duphot pour rejoindre la place de la Madeleine, vu que les bruits de déflagrations venaient de là. En remontant cette rue, on a pris la mesure de la violence des événements qui s'y déroulait. En sens inverse, descendaient des groupes épars de GJ, toussant, crachant, les yeux rougis par les lacrymogènes. On avait l'impression de monter en ligne remplacer les copains qui en revenaient. A un moment, avisant un groupe de GJ semblant particulièrement éprouvés, j'ai dit à Bag : regarde c'est tout ce qui reste du 172e RI ! Ils sont montés à huit-cents et il n'y a que cinquante rescapés.

C'était assez apocalyptique même si je sais que mes comparaisons avec la grande guerre sont outrées. C'est certain que c'était plus tranquille rue Duphot un samedi de novembre 2018 que Verdun en 2016. N'empêche que pour des gens, comme moi et mes amis, habitués à vivre en temps de paix, la fumée que l'on apercevait, montant derrière les immeubles, les déflagrations et ces gens gazés qui refluaient avaient un côté "guerre" indéniable. On est enfin arrivés à l'angle de la rue Duphot et du boulevard des Capucines. Et là, il y avait quelques centaines de GJ plutôt déterminés. Comme on n'était pas là pour juste observer, on est allés sur la place au contact avec les CRS. Il ne s'agissait pas de leur envoyer un quelconque projectile mais simplement de gueuler "Macron démission" a cinquante mètres d'eux. A un moment donné, j'ai dit à mes potes de reculer parce que je pressentais que les CRS allaient charger. C'est marrant, comme je sens ces trucs-là.

Et ça n'a pas raté, après une volée de grenades assourdissantes et lacrymogènes, les CRS ont chargé et les GJ se sont repliés en désordres. Heureusement que j'ai de la masse parce que sinon j'aurais pu être écrasé. J'ai fait comme les autres, j'ai mis mon surpoids en route et j'ai vite rappliqué à l'arrière, rue Duphot ou c'était calme. Bag ayant eu la bonne idée de prendre du sérum physiologique, on s'en est foutu dans les yeux parce qu'on en avait pris plein la gueule. Mais bon, c'était marrant comme tout. A ce moment, le fond de ma pensée, c'était qu'un peuple trop calme ne produit rien mais qu'il suffit de petites choses comme ça pour sentir naitre en soi des appétences pour la conquête. Se faire charger par les CRS et en prendre plein la tronche, ça remet les pendules à l'heure, ça permet de renouer avec sa virilité et ça canalise vite sa sensibilité. C'est ce qu'aurait dû proposer Jung à propos de l'Anima ! Elle est vite domptée l'Anima au contact de la violence. Ce n'est plus le moment de faire sa danseuse et de chouiner. Il en faut peu pour se sentir vivant. Les CRS sont de bons psys sans le savoir.


Quand nous étions en retrait, à l'abri des CRS, c'était sympa, on sentait une vraie camaraderie, comme dans les tranchées où l'instituteur jouait à la manille avec l'ouvrier agricole. C'était d'ailleurs ce qu'il y avait de plus drôle : cette mixité sociale ! Ce que tous les programmes d'inspiration socialiste n'ont jamais fait, Macron l'a fait ! A force d'être haï et détesté de tous, il a réussi à coller tous les français dans la rue. Et j'ai vu ce jour, l'aristo et le prolo fraterniser sur l'autel de la guerre à la fiscalité confiscatoire. En gros, c'était : bande d'enculés, si vous pensez que les bleus et leurs grenades vont nous faire reculer, vous vous gourez. Debout les morts ! Ils ne passeront pas. Bref, on est tous remontés au combat place de la Madeleine, histoire d'agacer les bleus et de savoir si on ne pourrait pas se faufiler vers L’Élysée ! Si j'avais pu y rentrer j'aurais été bien con parce que d'une part, Macron n'y était pas et que d'autre part, j'ai trop de respect pour le patrimoine pour le saccager. Mais bon, on aurait pu faire de supers photos pour les souvenirs. En plus, bien que je l'estime parfois nécessaire, la violence c'est pas mon truc. Ça part trop vite en couille !

De nouveau, les bleus qui connaissent leur boulot de maintien de l'ordre nous ont fait dégager à coups de grenades et on s'est repliés une fois encore. Mais qu'est-ce que c'était sympa de pouvoir continuer à gueuler "Macron démission" à gorge déployée. Je ne sais pas combien on était mais ça faisait du bruit et c'était chouette.  Le pauvre mec dans mon genre a de petits plaisirs parfois. A l'arrière, on a pu papoter. J'ai vu une femme très bien se plaindre d'avoir été gazée. La pauvre s'attendait à ce qu'elle soit entendue. Je lui ai dit que les CRS envoyait rarement des chocolats et que le maintien de l'ordre était à ce prix. Maintenant, soit on tenait, soit on repartait la queue entre les jambes. Mon pote le Pilote gueulait à la foule de tenir le carrefour pour qu'on ne soit pas encerclés. Et cet ancien militaire avait raison. Les flics sont malins et voulaient nous prendre dans une nasse. Finalement, on est retournés au contact et on s'en est repris plein la gueule mais on a tenu. Et le bourgeois a retenu la leçon : tant qu'il paye en fermant sa gueule tout va bien. Mais qu'il demande des comptes et on lui balance des grenades. Non camarade bourgeois, l'élu n'est pas ton ami, juste un type qui te trahira et fera tout pour garder ses prébendes.

Pas très loin j'ai vu un mec se faire crever un œil par un éclat de grenade. N'étant pas équipé et peu soucieux de perdre la vue, j'ai décidé de quitter la scène et de me replier. Parce que la guéguerre, c'est rigolo mais encore faut-il avoir prévu des lunettes de plongée, des gants et un masque à gaz. Nous étions venus en touristes et là, on sentait que ça se professionnalisait. Ça se crispait de part et d'autre. Les GJ étaient chauds comme la braise et allumaient des feux sur le boulevard des Capucines et de l'autre côté, on sentait la tension monter chez les bleus. Nous, on s'est dit qu'à notre grand âge c'était déjà bien sympa d'avoir été trois fois au contact. On avait fait de belles photos de nous devant le paysage apocalyptique de la Madeleine noyée dans les brumes des lacrymogènes et on avait fait le plein de souvenirs, le moment était venu de partir. On venait de vivre un moment historique et on pourrait dire qu'on avait "un peu" participé. Mon pote le Pilote a décidé de continuer le combat et a entrainé l'Antillais à sa suite. Il était sur de pouvoir rejoindre la rue Tronchet et de là, pouvoir passer aux Champs Élysées. Il a d'ailleurs réussi puisque le soir même il m'a envoyé de superbes vidéos sur What'sapp.

Nous, estimant qu'on avait fait œuvre utile mais que le moment était venu de plier les gaules, on s'est replié place du Marché Saint Honoré pour boire un coup en terrasse, de loin l’activité de loisir que l'on maitrise le mieux. On a discuté des deux heures que l'on venait de passer. Certes nous étions d'accord pour convenir que Macron était un pitre mais on n'imaginait pas qu'il le soit à ce point pour ne pas sentir que ce qui se passait allait au-delà d'une simple protestation. J'en ai profité pour faire une incursion en psychopathologie en expliquant que bien souvent les personnalités narcissiques finissaient mal parce que toute tentative de remise en cause en vue de négocier était une blessure atroce à leur narcissisme fragile. J'ai alors imaginé qu'entre lui et son gouvernement d'incapables, ça n'allait pas s'arranger.

Il faut vous dire, qu'étant né en 1967, j'ai eu l'habitude de voir des politiques, qui s'ils n'étaient pas au-dessus de tout soupçons avaient au moins le mérite d'avoir connu la guerre, certains s'y étant illustrés. Alors, RPR ou cocos, ils savaient identifier la violence et redouter l'embrasement. On s'est demandé ce qu'on ferait à la place de notre juvénile président. On a tous été d'accord qu'il fallait reculer parce que les événements étaient graves et ne pouvaient que s'envenimer. C'est un peu ce que j'avais retenu de ces deux heures passées à la Madeleine. Les gens étaient exaspérés et prêts à tout. Et pour une fois, ce n'était pas les manifestants professionnels qui étaient dans la rue, ceux que leur centrale syndicale fait rentrer dans le rang après les négociations, mais le peuple, la classe moyenne.

Et là, j'ai eu l'impression qu'être face aux CRS leur avait ôté les écailles des yeux. Ils comprenaient que les élus n'étaient plus leurs représentants mais une caste se goinfrant sur leurs dos bien à l'abri derrière les flics et les gendarmes. Enfin, j'avais noté que des gens à priori bien pacifiques étaient en train de prendre goût au sang et que cette manifestation ne serait pas la dernière. Si en 14-18, on a pu en quelques mois transformer des clercs de notaires et des ouvriers agricoles en "assassins" professionnels, je ne vois pas pourquoi il n'en serait pas de même aujourd'hui. J'ai maudit intérieurement ce gouvernement d'incapables pour son manque de discernement.

Ce que j'ai dit à mes amis, c'est qu'à la place de notre Président, le soir même j'aurais fait une allocution du type "je vous ai compris". Sans se renier trop, ni trop baisser son pantalon, il aurait suffi de dire qu'il avait voulu aller trop vite et n'avait pas pris la mesure des souffrances du peuple et ça passait. On baissait le prix de l'essence et on filait une prime qu'on finançait comme on pouvait et les fourches se seraient baissées. Hélas, Macron n'est pas un grand politique formé au combat mais un petit intrigant initié aux complots de cabinets. Il ne le fera pas. Il restera muré dans son mutisme et son narcissisme. Et puis, il n'a ni le physique, ni le passé pour jouer au père de la nation. Parce que qu'on le veuille ou non, et même si c'est une injure au chef de l'état :

Macron n'est qu'un petit con !

1 Comments:

Blogger cmosorchestra said...

Henri Virlojeux aurait été Gilet Jaune sans hésitation!

13/12/18 1:03 PM  

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