Conseil de lecture !
Je note que je n'ai jamais donné de conseils de lecture, et c'est un tort. J'adore lire, c'est ma drogue, et je trouve idiot et amoral de ne pas vous conseiller quelques drogues légales qui ont pu me faire planer et me faire échapper à ce monde triste, formaté et binaire où les gentils et les méchants sont toujours les mêmes. Ainsi, si vous aimez lire, je vous conseille Festivus, Festivus de Philippe Murray, édité chez Fayard. Je commence par cet ouvrage, plutôt qu'un autre, simplement parce que j'ai eu l'occasion d'en parler hier avec des amis.
Dans ce livre, Élisabeth Lévy et Philippe Muray se demandent s'il y aurait quelque chose à sauver.de notre époque contemporaine. De juin 2001 à décembre 2004, au fil de sept conversations, ils confrontent leurs désaccords, comparent leurs dissensions et leurs discordes. Assez souvent aussi, ils tombent d'accord, mais sur quoi, quand on ne sait plus de quoi est faite la réalité ? Pendant ce temps, l'événement passe et repasse, on suit les aventures de Festivus festivus, descendant d'Homo festivus comme Sapiens sapiens succéda à Homo sapiens, " dernier homme " occidental, rebelle rémunéré, créature emblématique de la nouvelle humanité.
Attention, si vous êtes un bobo admiratif du Maire de Paris, un amateur de rollers, de fêtes convenues commes les nuits blanches, ou encore si vous roulez en vélo comme un chinois pauvre (les chinois riches roulent en voiture), que vous êtes allés à Paris-plage, pour admirer de pauvres palmiers en pots, et que vous avez trouvé cela super en étant suffisamment idiots pour vous imaginer sous les tropiques, ne lisez surtout pas ce livre !
Avec un esprit critique très développé, Philippe Muray se voulait le chroniqueur et le contempteur du désastre contemporain, cette époque où « le risible a fusionné avec le sérieux », où le festivisme, l'envie de faire la fête et de s'amuser, fait loi. Son œuvre stigmatise, par le rire, la dérision et l'outrance de la caricature, tous les travers de notre époque. Il inventa pour cela (dans Après l'Histoire) une figure emblématique de ce temps : Homo festivus, le citoyen moyen de la post-histoire, « fils naturel de Guy Debord et du Web ». À l'opposé d'une vision simplement nihiliste, il avait le projet plein d'espoir, contre le « règne du Bien » (décrit dans l'essai L'empire du Bien), de « réintroduire le négatif pour montrer que lorsqu'on l'évacue, on ne peut plus rien comprendre ».
A l'instar d'Alain, dans ses célèbresPropos sur le bonheur, Philippe Muray, adopta toujours une ligne philosophique aussi sévère que douce, amenant ses lecteurs à réflechir sur ce qu'ils auraient été tentés de prendre pour des évidences sans jamais jouer les maîtres. Deux tiers de stoïcisme pour la rigueur, adoucis d'un tiers d'Epicurisme, pour adoucir le style, et ne pas sombrer dans un pessimisme mortifère, voilà la recette qui permit à Muray de ne jamais sombrer dans un nihilisme stérile.
Philippe Muray inventa également différents concepts très amusants, dont celui faussement psychanalytique, d'« envie de pénal », qui stigmatise cette volonté farouche de créer des lois pour « combler le vide juridique », c'est-à-dire supprimer toute forme de liberté et de responsabilité. Envie de pénal qu'on retrouve aussi dans la judiciarisation de la vie quotidienne, autrement dit le recours permanent aux tribunaux pour régler les problèmes auxquels les individus sont confrontés au lieu de les laisser régler cela entre eux.
Philippe Muray mettait sa très grande érudition au service d'un style riche, flamboyant et plein d'humour. Comme essayiste mais surtout pamphlétaire, il créa des néologismes terriblement efficaces, comme, entre autres, « Artistocrate », pour décrire les artistes qui prêtent serment d'allégeance aux politiciens et aux fonctionnaires et dont l'activité artistique devient une charge, comme il en existait sous l'Ancien Régime, « Mutin de Panurge », pour stigmatiser ces individus dont la rébellion est factice et en accord avec l'air du temps, et « Maton de Panurge », pour condamner les personnes qui tentent par tous les moyens de faire taire les voix qui s'opposent au consensus politiquement correct.
Décédé le 2 mars 2006 d'un cancer du poumon, qui l'a emporté en à peine quinze jours, Philippe Muray a été inhumé le 8 mars au cimetière du Montparnasse. A noter, qu'il avait auparavant participé à l'excellent ouvrage collectif paru chez Fayard, intitulé "Je fume, pourquoi pas vous ?" dans lequel était démontré le caractère totalitaire de l'idéologie anti-fumeurs.
2 Comments:
Tombé par hasard sur ce site. Bravo pour votre contribution sur cet auteur qui passera à la postérité. Je passerai souvent vous lire.
Superbe livre ! A lire absolument pour être moins bête...
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