04 janvier, 2007

Les psys malades de la norme ! Genre et style professionnels !

Poursuivons, à propos de la liberté de mes chers confrères. En psychologie du travail, on distingue le genre professionnel du style professionnel. Ces notions assez barbares, voire barbantes, au premier abord, sont capitales et seront développées sur ce site que vous pouvez consulter et dont j'ai repris certains développements qui vont suivre.

Le « genre professionnel » peut se définir de nombreuses manières : « être du métier » ; entrer dans la conscience commune des secrets partagés ; construire la mémoire impersonnelle, collective des épreuves traversées et des moyens de les surmonter ; connaître le travail d’organisation effectué par le collectif pour être efficace malgré tout ; entrer dans les « obligations communes » auxquelles on peut « se tenir » ; partager les manières de se tenir, les manières de s’adresser, les manières de commencer une activité, de la finir, de la conduire efficacement. En fait, il s'agit d'une sorte de mémoire mobilisée par l'action ; mémoire impersonnelle et collective qui donne sa contenance à l'activité en situation En résumé, le genre professionnel, revient à se dire : « le geste ou comportement que je fais ou adopte, d’autres auraient pu faire de la même façon. ». Le genre professionnel, c’est la base commune à tous les professionnels d’un même secteur. C’est ainsi que le psy, doit au minimum faire ceci ou cela, ne pas faire ceci ou cela, etc.

Les styles s’inventent dans la confrontation des genres face au réel afin de créer une action : ils contribuent au changement du genre, dans une distance instaurée par un professionnel par rapport au genre (il a découvert une manière de faire qui mérite de figurer dans la boite à outils). Chacun, dans son style, ajuste le " genre " pour en faire un instrument de l’action. Le style est la distance prise par un professionnel avec son expérience et avec lui même. Lorsque le style professionnel d’un individu ne correspond pas du tout au genre, ce style est rejeté.

Alors pourquoi avoir développé ces notions de genre et de style professionnels. Pour les raisons que je vais évoquer, ci-dessous. Accrochez-vous car le développement ne semblera pas forcément limpide à la première lecture.

Si l'aspect normatif donne consistance et pérennité au genre, permettant à chacun d'en faire l'objet de sa propre activité normative, c'est parce qu'il est simultanément une ressource pour affronter les exigences de l'action, qu'il est aussi l'objet des ajustements et des retouches de ceux qui en font leur instrument. C'est ce travail d'ajustement du genre pour en faire un instrument de l'action que l’on appelle le style de l'action. C'est une sorte d'affranchissement à l'égard de certaines contraintes génériques.

C’est cet affranchissement ouvre la voie au développement et qui a partie liée avec la santé, ce dont nous convainc la clinique des activités professionnelles qui nous ramène toujours à ce point :
la stricte conservation de soi s'oppose à la santé tandis que l'accroissement du pouvoir d'action sur le milieu et sur soi-même la favorise.

Les constructions défensives qui permettent à de nombreux travailleurs de rester « normaux », c'est-à-dire de respecter le strict genre professionnel qu’on leur impose, les diminuent pourtant simultanément, car la « normalité » est en fait l'admission d'une norme exclusive, la simple adaptation à un milieu et à ses exigences, alors que se sentir en bonne santé c'est «se sentir plus que normal ».

Or, l’immense, voire l’écrasante majorité des confrères que j’ai pu rencontrer ont un genre professionnel affirmé mais rarement un style, de telle sorte qu’ils semblent tous interchangeables. Cela confine même à la caricature et le grand public, nous considère généralement comme des individus étranges, secrets, ou verbeux, et souvent inefficaces.

Pour beaucoup de personnes en souffrance, aller voir un psy n’a pas de sens, car le genre professionnel, semble toujours être le même : un type froid, moyennement aimable, qui se tait en vous laissant parler, entrecoupant vos paroles de « hmm-hmm, poursuivez », ne proposant rien de concret, et ponctuant la fin de la séance par : « vous me devez tant, à la semaine prochaine ». Effectivement, si un psy, c’est cela, comme on dit trivialement, autant pisser dans un violon, ça aura le même effet.

Englué dans ce genre professionnel, et ayant peur d’en sortir et de subir un anathème, beaucoup de confrères que j’ai pu rencontrer, pouvaient par exemple être charmants et drôles dans le privé, mais se comporter en robots en thérapie parce qu’une fois revenus dans leurs cabinets, ils réintégraient leur genre professionnel en même temps qu’une absence totale de fantaisie.

Le genre est tellement sacralisé, que cela en devient étouffant et surtout totalement contre-productif ! Peut-on accueillir tous nos patients de la même manière, et attendre d’eux qu’ils se coulent dans un moule rigide que nous leurs proposerions ? Non !

Je me souviens, que sur le site d’une association professionnelle à laquelle j’adhère, un confrère avait écrit en faisant la critique d’un ouvrage : « bien sur, il n’est pas question de revenir sur la règle selon laquelle, on doit formellement exclure toute rencontre d’un patient, hors de nos cabinets, etc. ».

Ayant par la suite rencontré ce confrère, je lui avais demandé d’où venait cette règle absolue et s’il pouvait me l’expliquer ? Je le rassurais en lui expliquant que je comprenais, qu’il ne faille pas briser certains tabous et que certaines relations, sexuelles ou amoureuses évidemment, étaient absolument à proscrire mais que pour le reste je ne comprenais pas son point de vue. Je me rappelle encore, de la tête qu’il avait fait, comme si j’aurais pu poser toutes les questions sur son article, sauf celle-ci. Comme si la règle qu’il édictait, devait être un tabou tel, qu’il lui apparaissait totalement fou que je puisse le mettre en cause et même poser une telle question. Je n’ai eu le droit qu’à une formule du type : « cela me semble évident » accompagnée d'un haussement d'épaule agacé, sans aucun argumentaire. Encore une fois le confrère était resté dans le genre professionnel, se contentant de répéter ce qui lui avait été transmis. On était dans le fait religieux mais pas dans l’approche scientifique et encore moins dans la relation humaine.

Pour autant, lorsque j’arrive à mes consultations une demie-heure en avance et que je bois un café dans l’estaminet en face de chez moi, suis-je en faute, si au comptoir je croise par exemple ma première patiente qui attend son rendez-vous avec moi, et que je papote avec elle ? Le fait de lui parler hors du cabinet est-il une faute professionnelle, ou un manquement à l’éthique de ma profession ? Je suis évidemment persuadé du contraire.

Je me souviens, que ce genre de choses m’arrivait lorsque je suivais une analyse. Je prenais un café, et je voyais parfois mon analyste arriver, passer devant la vitrine du café, dans lequel j’étais, et se précipiter vers son cabinet en esquissant juste un geste de la main. J’ai toujours trouvé cela étrange. Il ne m’a jamais semblé que s’il était venu prendre, une fois un café en ma compagnie, cela aurait nui au travail que nous entreprenions. On pourra m'objecter qu'il avait autre chose à foutre ou qu'il détestait le café. Non, il avait simplement peur, il aurait été térrorisé de quitter le nid douillet du cabinet où j'étais un patient normé, pour converser avec l'individu lambda que je redevenais dans un bar. Mais il était si coincé, qu’il a préféré en rester au genre professionnel, au balisé, au connu, au rabaché, au bébête, à la pratique sans gloire de tâcheron de la thérapie.

Si l’on reprend ce que j’expliquais dans un paragraphe plus haut, et que l'on admet que la stricte conservation de soi s'oppose à la santé tandis que l'accroissement du pouvoir d'action sur le milieu et sur soi-même la favorise, et que l’on adapte cette théorie aux psys. Les constructions défensives qui permettent à des psys de rester « normaux », c'est-à-dire de respecter le strict genre professionnel qu’on leur impose, les diminuent pourtant simultanément, car la « normalité » est en fait l'admission d'une norme exclusive, la simple adaptation à un milieu et à ses exigences, alors que se sentir en bonne santé c'est «se sentir plus que normal ».

Etant persuadé de la justesse de cette analyse classique que l’on fait en clinique du travail, je suis convaincu que la plupart de mes confrères sont malades, malades de la norme idiote et réductrice et que cela les rend incapables d'être efficaces la plupart du temps.

Et c’est pour cela que je ne les fréquente pas.

3 Comments:

Anonymous Anonyme said...

on présente souvent les psy (tous modèles confondus) comme l' équivalent des prêtres d' il y a quelques temps, le genre de personne chez qui l'on va pour la confession pour être pardonné (par sois même plutôt que par une entité supérieure dans le cas présent). Comment s'étonner qu'ils tombent alors dans les mêmes excès? (dogmatisme, uniformité et homogénéité)...Reste à savoir combien de temps cela va prendre avant la mise en place d'une inquisition...

4/1/07 4:33 PM  
Blogger philippe psy said...

Beaucoup de psys abusent de cette confusion des roles, s'arrogeant une expertise que ni leurs études, ni leurs expériences de vie, ne leur permet! Sus aux usurpateurs, resistez au pouvoir psy!

4/1/07 5:41 PM  
Anonymous Anonyme said...

Très interessant tout ça, merci Mr Steven Sea... ahem, Mr Phillipe Psy !

Je vais récuperer quelques arguments pour mes exams littéraires, encore merci !

28/5/07 5:58 PM  

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