18 janvier, 2007

Manipulation odieuse, souffrance inutile, perte de temps et d'argent !

Voici quelques semaines, je reçois une nouvelle patiente extrêmement mal en point. Complexée, extrêmement timide, dépendante de l’approbation d’autrui, cette dernière me fait part de son extrême souffrance et de son envie réelle d'en sortir. Elle estime, me dit-elle, ne vivre qu’à 25% de son potentiel. Cela semble vrai, puisqu’une à l’aise, elle finit par s’ouvrir et se révèlera sympathique et très vive d’esprit lors de la seconde partie de la séance.


Jusque là, rien que de très classique, c'est une histoire assez banale que j'ai déjà entendue bien souvent. Combinant une éducation encourageant peu l’extraversion, et des moqueries de petits camarades à l’école, cette patiente en a déduit que pour vivre heureuse, elle devait vivre cachée. Si cette stratégie, lui a sans doute permis de paraître transparente et de masquer ses complexes, elle se révèlera plus tard coûteuse puisqu’elle l’oblige à sans cesse modérer ses envies.


Toutefois, je suis extrêmement surpris, lorsqu’elle m’apprend que je suis le second psy qu’elle consulte et qu’elle a déjà vu un confrère durant dix ans. Il s’agit bien sûr d’une analyse au long cours. Quoique je puisse penser de ce type de thérapies au long cours, je ne dis rien et me contente, dans ma tête de constater l‘étendue du chantier et d’en évaluer la durée et les modalités d’action pour en venir à bout. Je reste cependant toujours stupéfié de la conduite des individus.

Comment cette jeune femme, a-t-elle pu aller durant dix ans à des rendez-vous hebdomadaires, y consacrer autant de temps, d’énergie, et d’argent pour un résultat aussi insignifiant, pour venir me voir dans ce triste état et surtout pour avoir besoin d’un second psy ! Pourquoi a-t-elle poursuivi cette thérapie qui, manifestement ne lui a rien apporté. Je note, que selon elle, cette analyse lui a fait beaucoup de bien. Je m’attendais à cette réponse : voici pourquoi ! Entrons maintenant dans le domaine de la psychologie sociale et des techniques de manipulation.


Lorsque l’on connaît la théorie de l’engagement, on comprend tout de suite mieux ce genre de conduites apparemment idiotes. Les techniques de manipulation qui en découlent sont à la base du marketing, et les connaître permet d’en déjouer bien des pièges. Les implications de la théorie de l’engagement se cachent derrière chacune de nos décisions, autant la connapitre et savoir la déceler.

Selon cette théorie : « Seuls les actes nous engagent. Nous ne sommes donc pas engagés par nos idées, ou par nos sentiments, mais par nos conduites effectives ». De fait, si nous tergiversons souvent avant de prendre une décision, pesant patiemment le pour et le contre, une fois la décision prise et transformée en une conduite effective, nous aurons toujours tendance à ne jamais la remettre en cause. Et nous aurons même tendance à rationaliser cet acte, à le justifier même si l’on sent parfois au fond de nous, de manière diffuse, le sentiment de s’être ou d’avoir été trompé.

Dans leur « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens », que je vous avais présenté dans un précédent article, les auteurs expliquent que : « l’individu rationalise ses comportements en adoptant après coup des idées susceptibles de les justifier. Nous avons montré, par exemple, qu’une personne amenée par les circonstances à tenir un discours en contradiction avec ses opinions modifiait a posteriori celles-ci dans le sens d’un meilleur accord avec sa conduite (le fait d’avoir tenu ce discours-là)" .

Le danger, c’est que ce discours en contradiction avec nos opinions, adopté après coup pour justifier nos actes, va être progressivement intériorisé : « la réorganisation de l’univers cognitif autour de la conduite dans laquelle l’individu est engagé et l’accessibilité des concepts (a fortiori des informations, savoirs, croyances, etc. en rapport avec eux), lui permettent de mieux se défendre contre d’éventuelles attaques (contre-propagandes) visant à mettre en cause la façon dont il s’est préalablement conduit». L’individu finit ainsi par être intimement persuadé du bien-fondé de sa nouvelle opinion.

Supposons par exemple qu’un commerçant habile, ou un psychanalyste matois, parvienne à vous fourguer un nouveau gadget inutile (genre téléphone 3ème génération avec TV intégrée) ou une analyse au long cours. Si vous constatez, dans les quelques mois suivant, que l’objet est inutile ou votre thérapie inefficace, il y a fort à parier que vous n’irez pas pour autant avouer à vos amis et collègues que vous vous êtes une nouvelle fois fait berner. Vous aurez, au contraire, tendance à justifier votre comportement d’achat. Vous arguerez ainsi, tel un vendeur inspiré, que grâce à ce nouvel ustensile vous pouvez désormais écouter Benjamin Castaldi en Dolby Stéréo ou que grâve à votre analyse débutante, vous avez déjà compris pleine de choses sur vous-même, alors que vous êtes toujours aussi mal !

Nous fonctionnons tous de telle sorte que généralement, nous n’aimons guère avouer que nous nous sommes trompés ou que l’on s‘est carrément fait avoir. C’est pourquoi nous préfèrerons toujours nous raccrocher à notre première décision et à la défendre bec et ongles, au besoin par des mensonges éhontés. On appelle « escalade d’engagement », cette tendance que manifestent les gens à s’accrocher à une décision initiale même lorsqu’elle est clairement remise en question par les faits.

Et si le monde en général, semble souvent fonctionner en dépit du bon sens, c’est sans doute parce que nul n’osera jamais avouer ouvertement que telle ou telle directive était une véritable idiotie : « les persévérations, même les plus dysfonctionnelles, s’expliqueraient par le souci ou le besoin qu’aurait l’individu d’affirmer le caractère rationnel de sa première décision. Tout se passe comme si le sujet préférait s’enfoncer plutôt que de reconnaître une erreur initiale d’analyse, de jugement ou d’appréciation».

C’est également, ce qui fait durer certains couples qui auraient eu toutes les raisons de se séparer : « les raisons de poursuivre la cohabitation, sinon l’alliance, furent nombreuses. Il y eut d’abord les amis communs, puis vinrent l’éducation des enfants et la maison achetée à crédit, jusqu’à ce que ne demeure que la plus lourde d’entre elles : l’inaptitude à vivre autre chose. A ne pas reconnaître cette raison, ils évitent ainsi de reconnaître que les précédentes n’étaient en définitive que les éléments d’un piège abscons ou d’une dramatique escalade d’engagement ». Effectivement avant d’entreprendre cette ruineuse escalade d’engagement, encore fallait-il tomber dans un piège abscons (similaire à pièges à cons !).

La caractéristique principale de ce que l’on nomme un « piège abscons » est que l’individu s’y retrouve « engagé dans un processus qui se poursuivra de lui-même jusqu’à ce qu’il décide activement de l’interrompre, si toutefois il le décide ».

C’est la raison pour laquelle les services inutiles sont toujours vendus sous forme d’abonnements reconductibles tacitement. Ainsi en va-t-il des services bidons que l’on vous propose avec votre forfait de portable et il en de même lorsque votre psychanalyste préféré, se lève à la fin de la séance, et vous dit froidement : « La séance est terminée, à la semaine prochaine ». Des expériences ont montré que dans les jeux d’argent par exemple, les joueurs qui perdent le plus sont ceux qui doivent dire « stop » et qui ne savent pas le dire. A l’inverse, ceux qui doivent dire « allez » pour signifier qu’ils doivent continuer, et par conséquent qui sont conduits à décider à intervalles réguliers de poursuivre ou non le jeu, sont ceux qui perdent le moins d’argent.

Le boom de la téléphonie mobile a, par ailleurs, confirmé un autre phénomène : l’importance que revêt le sentiment de liberté dans nos comportements d’achat. Si une économie de type soviétique avait imposé à chaque « camarade » l’obligation d’acquérir, pour 15€ mensuels par mois, un forfait qu’il s’engageait à utiliser deux heures par mois, elle n’en aurait probablement pas vendu plus : « dans les très nombreuses expériences où les chercheurs opposent une situation de libre choix (fort sentiment de liberté) à une situation de contrainte (faible sentiment de liberté) on constate qu’il n’y a que très peu de différence - lorsqu’il y en a - pour ce qui est des comportements réalisés ».

Pourquoi un sujet libre se comporte-t-il exactement comme un sujet contraint ? Le mystère est presque entier. Le manipulateur a beau rappeler sans cesse au consommateur qu’il est libre d’acheter ou non ses merveilleux produits, celui-ci sait très bien ce que le manipulateur attend de lui. Et, curieusement, il s’y plie. Il faut donc admettre qu’il existe dans de telles situations des déterminants plus puissants, et ces déterminants sont à rechercher dans la relation de pouvoir qui lie [le manipulateur] et les sujets.

Ce sentiment de liberté, joue un rôle primordial dans les phénomènes de persévération des décisions : l’individu qui a pris sa décision sous la contrainte se sentira nettement moins engagé par son acte que celui qui l’a prise librement. Un phénomène qu’intègrent très bien les nouvelles formes de management : « on utilise la technique de décision pour amener les travailleurs à décider, en toute liberté, d’émettre des comportements qui de toutes façons étaient requis ». Sachant qu’ils remettront beaucoup plus difficilement en cause cette décision, qu’ils ont prise "librement", que si elle leur avait été imposée par leur hiérarchie. Vous amener à prendre librement la décision que l'ona ttend de vous, voilà la règle de toute manipulation

L’exemple le plus simple de la théorie de l’engagement est le suivant. Imaginez que vous alliez au cinéma avec un ami. Votre place vous a été offerte tandis que votre ami a payé. Si le film est un nanar irregardable, il y a toutes les chances pour que vous sortiez avant la fin, tandis que votre ami, aura tendance à rester jusqu’à la fin. C’est simple, ayant payé, votre ami se sent tenu à son engagement de départ.


Dans le cadre d’une psychanalyse inefficace conduite par un individu dénué de toute empathie ou de scrupules, qui fera perdre son temps et son argent au patient, d’autres paramètres entrent en jeu et servent de déclencheur pour vous faire tomber dans un piège abscons. Ces paramètres sont les mêmes que ceux utilisés par les sectes. On pourra citer notamment

  • Votre fragilité : un individu dépressif et/ou anxieux, tentera tout pour s’en sortir et est en situation de faiblesse ;
  • La toute puissance de l’analyste qui, tel un gourou intronisé par sa pseudoscience, acquiert à vos yeux une légitimité. Ladite légitimité étant renforcée par sa façon d’être, ses silences pesants et lourds de sens ponctués de « hum-hum », le cabinet neutre et faiblement éclairé, la position allongée de soumission, etc. C'est à ce niveau que peut nuire l'abus de transfert, lorsque le psy en fait trop et manipule l'analysant en se donnant les airs de celui qui détient des secrets !
  • Le sentiment de puissance, de faire parti de l’élite : l’analysant croit maintenant avoir accès à des connaissances secrètes, extraordinaires, supérieures, auxquelles n’a pas accès le commun des mortels et dont ce dernier n’a peut-être même pas conscience. Connaissances réservées aux initiés, aux élus, à l’élite, dont l’analysant fait bien sûr partie.
  • Utilisation de « vérités » simples, simplificatrices et réductrices : Malgré l’immense complexité de la vie et du monde extérieur, le message de l’analyse reste simple. Pas de biologie, pas de génétique, pas de longues et patientes recherches pour comprendre l’extrême complexité du psychisme humain ! Pour servir sa soupe, la recette de l’analyste est simple : ça, moi et surmoi, et le tour est joué. Bien sur, chaque escroc peut créer sa propre théorie. Le bénéficiaire de cette « vérité » est censé, grâce à cette dernière, devenir plus « lucide », avoir un esprit plus « clair » ou clairvoyant ou posséder un « état de conscience supérieur ». La « vérité » sera présentée comme scientifiques, incontestable, grâce, par exemple, à l’utilisation d’un raisonnement bien construit, éventuellement à l’aide d’impostures, de fausses preuves, de trucages, de tours d’illusionnisme, des mises en scènes, de faux témoignages. La vérité sera éventuellement secrète, ce qui lui permet alors d’échapper à toute confrontation aux critiques extérieures et à la réalité.
  • Vocabulaire secret, codé, mystérieux utilisant des mots déviés de leur sens réel : Ce vocabulaire, souvent facile à se rappeler, sert de signes de reconnaissance, de moyens mnémotechniques pour se rappeler plus facilement de la doctrine. Il langage permet aussi une coupure avec le reste du monde et avec la réalité. Cela donne aussi l'impression à l'adepte de faire parti de l'élite. Ecoutez une personne entrant en analyse vous parler, à croire que dès lors, le monde n’a plus de secret pour elle et que vous êtes un âne aveugle.
  • Destruction de l'inhibition : après la confession de ces secrets les plus intimes, certains ayant pu être subtilement ancrés dans le cerveau, on peut conduire un individu à inverser ses valeurs morales et ses inhibitions ce qui sera un moyen de plus de l’impliquer encore plus dans les thèses délirantes ou répréhensibles du gourous. A force de patauger dans la fange la plus infâme, on finit par devenir très malléable. Détournez-vous toujours des psys qui vous orientent tout le temps et forcément vers le caca-pipi scabreux !
  • Pas de questionnement personnel : On pousse l’analysant à abandonner tout son esprit critique. On lui déclare que penser par lui-même, sans un éclairage et un guide, est vain. Il doit se laisser guider aveuglément par celui qui a reçu « l’illumination », la « révélation », c’est à dire par le psychanalyste qui a été intronisé par un type comme lui, un peu comme les vendeuses chez Tupperware.
  • Le fait d'agir pour la « bonne cause » : il est difficile de dire non à ce qui semble apparaître comme une bonne cause. La « bonne cause », en l’occurrence, c’est de votre santé. Et progressivement, pour « la bonne cause », tous les « moyens » sont bons, y compris les moyens peu recommandables ou illégaux, mensonges, manipulations, etc.), voire les pires exactions (intimidations, menaces, chantages, etc.). si vous menacez d’abandonner la cure, l’analyste pourra vous dire par exemple que cela représente un danger pour vous ou bien que ce que vous éprouvez est normal en cours de cure, qu’il s’agit d’une résistance bien connue,e t hop, vous repartez pour un an, rien que pour comprendre les raisons de votre résistance !

Le pire voyez-vous, c’est que l’analyste qui a gardé ma patiente durant dix ans, dix longues années inutiles, était sans doute de bonne foi, mais simplement elle-même induite en erreur après avoir fait sa propre analyse. De fait, l’escalade d’engagement peut se perpétuer car personne n’aime être le seul à s’être fait avoir !

Et malgré tout le mal que je pense de ces pratiques, je reste profondément libéral. Les individus, tant qu’ils n’ont pas été reconnus incapables par loi, c’est à dire mis sous tutelle, curatelle, ou sauvegarde justice, doivent bénéficier de tous leurs droits, même de celui de se tromper.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Un témoignage parmi d'autres : cela fait bientôt 4 ans que je consulte un psychiatre une fois par semaine (épisodes dépressifs, "névrose d'angoisse"). Récemment, j'ai dû reprendre des antidépresseurs (arrêtés pendant l'été) pour ne pas "péter un plomb", mais mon anxiété s'accroît. Je ne pourrai pas tenir 10 ans comme la patiente dont vous parlez dans votre article...

23/9/07 1:18 AM  

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