25 mai, 2013

Pas si con le mec !

 
La semaine passée, j'étais assis en terrasse en compagnie de quelques compères quand d'un coup, d'un seul, je me levai et leur assénai un "messieurs, je passe un bon moment avec vous, mais il n'y a de bonne compagnie qui ne se quitte, j'ai un travail et une demoiselle en détresse à secourir. Le devoir m'appelle". Les saluant d'un hochement de tête assorti d'un claquement de talons martial, je partis d'un pas vif vers mon cabinet où m'attendait ladite demoiselle.

C'est une nouvelle patiente dont je fais connaissance. Après ma question rituelle "que puis je pour vous ?", elle m'explique sa situation, un problème de couple suivi d'une rupture, et me fait état de ses doutes, de ses regrets, de sa colère, etc. Bref, rien de nouveau sous le soleil, ce qui ne signifie pas que son cas ne m'intéresse pas mais qu'il s'inscrive un peu dans la norme de ce que l'on traite dans ma profession. Voilà, c'est une histoire d'amour un peu post-adolescente qui a mal tourné. 

Cela laisse quelques traces, de la souffrance mais rien qui ne puisse être surmonté. C'est le prototype du bébé-couple qui s'est formé avant la vie active et qui s'est fracassé sur le mur de la réalité avec son cortège d'obligations liées au statut d'adulte (emploi, logement, etc.). On se dit que c'est fabuleux et que la vie sera une suite de jours magnifiques où l'on baignera dans l'amour. On s'imagine qu'enfin indépendants, avec son appartement et un emploi, l'autonomie ainsi gagnée permettra même à cet amour fabuleux de croître jusqu'au ciel. 

Hélas, cette irruption du réel est le plus souvent le test décisif pour savoir si l'amour est solide  ou s'il n'est qu'un élan adolescent, quelque chose qui s'est plus nourri de projections sur le futur que sur la réalité des faits. C'est imparable et les soucis d'adultes ne sont pas les mêmes que ceux de l'étudiant. C'est un peu la même chose que pour les jeunes gauchistes chevelus qui vous expliquent que l'impôt est un instrument de justice sociale mais qui changeront d'idée à leur premier tiers provisonnel.

Et donc nous discutions et elle était charmante, comprenant bien les choses, non qu'elle soit surdouée ou particulièrement brillante mais simplement qu'elle soit parfaitement cohérente et efficace dans la manière de traiter les informations, verbalisant aisément et restant très réalistes dans les buts qu'elle se fixe dans la vie. Elle me parlait, je lui répondais, lui proposant des interprétations différentes pour la sortir d'un état émotionnel et l'amener à penser de manière plus réaliste et cela fonctionnait bien.

Et puis, je ne sais pourquoi, du moins je ne me souviens pas exactement de mon intervention mais la voici qu'elle me répond : "ah alors là ce n'est pas bête du tout ce que vous dites". Et à peine avait-elle prononcé ces paroles qu'elle s'est repris pour me dire qu'elle ne pensait pas que tout ce que je venais de lui dire était stupide. Elle s'est embrouillé comprenant qu'elle venait un peu de me traiter de crétin toutefois capable de dire parfois des choses pas trop sottes tout en admettant que ce n'était pas le sens de ses propos.

Son exclamation m'a amusé. D'une part, je l'ai remerciée immédiatement en lui disant que Mademoisellee était trop bonne de complimenter et d'encourager son petit personnel en me faisant savoir que parfois je pouvais dire des choses pas si idiotes que cela afin de m'aider à prendre confiance en moi. Et d'autre part, je lui ai expliqué que c'était exactement l'attitude qu'il fallait conserver dans les échanges que nous aurions ensemble si elle voulait continuer à me consulter.

Ne pas se soumettre de facto à ce que dirait le psy simplement parce qu'on le mettait en situation d'autorité mais bien au contraire toujours penser qu'elle et moi étions comme deux chercheurs dont le travail consistait à trouver une issue à un problème. Dès lors, quoique je dise, et même si je me plais à penser que je réfléchis tout de même avant de parler, je l'encourageais à me faire préciser les choses qu'elle ne saisirait pas ou même à infirmer une hypothèse que je pourrais faire au cours de la conversation. 

Il ne s'agit pas de sombrer dans la trivialité ou encore pire dans le sarcasme ou l'agressivité dans laquelle toute remarque de ma part serait rejetée mais simplement d'être spontané. L'idée que les précurseurs des TCC avançaient à l'époque, était que le patient et le psy devaient être comme deux chercheurs travaillant sur les problèmes ciblés. Cela nécessite une bonne entente.

Parfois, quand je suis fleur-bleue et que je raisonne comme uen gamine de douze ans, j'imagine qu'une thérapie devrait aussi être une expérience utile bien sur, mais aussi un bon moment, un peu comme on aurait fait ses humanités. De mon côté, quand je prends mon carnet de rendez-vous pour savoir qui je verrai tel jour, je sais que je me dis souvent "tiens bonne journée" parce qu'au-delà des problèmes des personnes que je verrai, je suis content de les voir. A une autre époque, j'aurais été baba-cool !

Bref cette expression "ah pas bête ce que vous dites" m'a semblé être bien plus l'expression d'une sincérité et d'une bonne entente mutuelle que celle d'un manque de considération pour mon statut. Il faut de toute manière, toujours se défier d'une communication assymétrique et des gens, élus ou professionnels, dont la charge réclamerait aussi des titres spécifiques et une manière de communication spéciale. C'est la voie ouverte vers un conformisme social dont les célèbres expériences de Milgram montrent qu'elles produisent bien des excès.

C'est souvent une conversation que je peux avoir avec des amis médecins qui se désolent quand certains de leurs patients arriventen consultation avec un possible auto-diagnostic glané sur internet. Ils ont l'impression que c'est une terrible attaque à leur statut et à leurs connaissances. Je leur réponds que la psychologie passionnant plus les foules que la médecin stricto sensu, c'était assez courant que mes patients aient réfléchi sur eux-mêmes et leurs troubles et qu'ils viennent en me produisant des explications possibles.

Je crois avoir toujours accueilli ces explications avec un grand intérêt car je suis toujours persuadé que quelle que soit mon empathie, mes patients se connaitront toujours mieux que je ne les connais moi-même. Et puis, c'est le gage d'un esprit qui tourne, qui cherche et ne se laisse pas aller dans une relation d'aide dans laquelle on attendrait tout du professionnel.

Et puis mon expérience me prouve que les patients ont toujours tendance à croire qu'ils ont quelque chose de bien plus compliqué qu'en réalité. Comme on le dit des patients en médecine ayant lu un dictionnaire médical, ils se reconnaissent dans tous les mots d'Abaisse-langue à Zona. D'autres fois encore, perclus de psychologisation à outrance, ils me produisent des explications almbiquées qui fleurent bon les années 50/60 quand Françoise Dolto faisait autorité. 

Voilà pourquoi si l'on me dit que ce que je dis n'est pas si bête, j'ai tendance à en rire plutôt qu'à me sentir offusqué.