04 mai, 2015

Le bon moment !


La semaine passée, un patient me parlait d'un de ses jeunes amis à qui il en voulait un peu, à juste titre. Souhaitant minorer l'impact de cette relation sur mon patient, je lui expliquais que son ami n'allait sans doute pas si bien que cela et que son comportement devait sans doute plus à une dépression masquée, dans laquelle les symptômes psychologiques sont peu présents, qu'à une vraie méchanceté.

Il se trouve que j'avais croisé une fois ce jeune type à l'une des séances de cafing. Le courant n'était pas passé et il l'avait senti. De toute manière, je ne tiens pas table ouverte, et même si je suis de nature plutôt agréable, je n'ai pas non plus envie que mes pauses soient parasitées par des gens que je ne connais pas. Et encore, ce n'est pas tant le fait que je ne les connaisse pas, que le fait que je ne sache pas ce qu'ils pensent.

Le cafing, c'est avant tout se retrouver entre gens pensant à peu près la même chose et c'est ce qui nous fait plaisir. Je n'ai pas forcément envie de devoir me taire lors de mes pauses parce qu'un jeune socialiste pense que dans notre monde tout le monde pense forcément comme lui. Je déteste les fâcheux. Le reste du monde est fait pour les socialiste progressistes, alors laissez-moi mes séances de cafing avec mes petits camarades réactionnaires !

Bref, outre ses pensées pénibles, j'avais aussi estimé que ce type était au bord de la dépression. C'est d'ailleurs pour cela que je m'étais tu, préférant ne rien lui dire que de tirer sur une ambulance quand il déraillait avec ses pensées à deux balles. Et si je n'ai jamais refusé mon aide à quelqu'un, elle se fait selon un mode classique en prenant rendez-vous et non en venant prendre un café. Ma profession n'est pas de prendre des cafés avec des inconnus. Ces moments là, lors de mes pauses, sont réservés aux gens que je connais bien.

Encore faut-il que la personne se rende compte de son état et c'est souvent compliqué chez les hommes qui se croient les plus fort tout le temps. Il leur faut du temps avant d'admettre qu'il ont besoin d'aide. Ce jeune, sans aucun doute au bord de la dépression, en était encore au stade de la protestation virile de l'adolescent, quand on croit encore que l'on est assez fort pour tordre le réel et le faire coïncider à nos névroses.

Mon patient avait la même analyse et m'a d'ailleurs confié qu'il avait donné mes coordonnées à cet ami qui, bien sur, ne voyait pas bien ce qu'il serait allé faire chez un psy. J'ai alors remercié mon patient de sa confiance avant de lui expliquer que la graine étant plantée, il fallait juste qu'elle éclose.

Et cela peut prendre du temps. Comme je lui expliquait, j'ai couramment des hommes qui viennent me consulter en me tendant un courrier un peu froissé de leur médecin et en s'excusant du bout des lèvres, l'air un peu gêné de me tendre ce torchon.

Je les rassure toujours en leur disant qu'il n'y a pas de moment en termes de dates mais juste le bon moment pour consulter, quand on sait que seul on n'y arrivera pas. C'est un peu comme l'arrêt de la clope ou de la drogue en général, tant qu'on se croit plus fort que le produit et qu'il n'est pas en mesure de créer de graves dommages, on continue.

Le record que j'aie eu fut un patient qui m'a tendu un courrier d'un médecin datant de trois ans dans lequel ce dernier m'expliquait le cas. Il lui avait fallu trois ans pour se décider à venir me voir. Ceci dit, me souvenant très bien de lui, ça s'était fort bien passé. 

On a bien réussi à faire germer une graine âgée de deux mille ans, alors il n'y a pas de miracle à traiter un patient en dormance depuis seulement trois ans.

Il faut venir au bon moment et je serai bien incapable de vous préciser quand est ce bon moment. Chacun est juge de ses actions. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.

1 Comments:

Blogger Maxime said...

C'est aussi possible qu'il soit déjà en train de consulter ailleurs (ou que le moment venu, il préfère voir ailleurs), par exemple chez un confrère connoté plus à gauche.

C'est même ce que j'estime être le plus probable ; j'ai du mal à imaginer un futur patient avec lequel : « Le courant n'était pas passé et il l'avait senti. »...

Mais comme je commence à croire que le gauchisme est un terreau fertile pour les névroses, pas sûr qu'il fasse le bon choix.

8/5/15 2:31 AM  

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