Pervers narcissiques !
Voici peu j'avais évoqué le cas d'un jeune homme subissant le harcèlement continuel d'un associé du grand cabinet d'audit dans lequel il travaille. Par le plus grand des hasards, un autre salarié de ce cabinet est venu me consulter pour le même problème.
Il semblerait que plutôt qu'une personnalité narcissique, désagréable mais à laquelle on parvient à se faire durant quelques temps, il s'agisse d'un vrai pervers narcissique. Mes chers lecteurs savent combien je répugne à utiliser ce terme. Non que je n'y croie pas mais qu'il soit si galvaudé car employé à tort et à travers qu'il ne veut plus dire grand chose pour la plupart des gens.
Or si le narcissique nous est bien connu et reste pénible, on ne saurait lui reconnaitre la moindre dangerosité. Le narcissique, en ramenant toujours la couverture à lui, en étant fort avec les faibles et faible avec les forts se détecte assez rapidement. Et la meilleure chose à faire, reste soit de partir ou de l'affronter. Généralement, face à quelqu'un qui résiste, le narcissique se tait. De plus, le narcissique est "comme ça", on n'est pas sur qu'il y prenne plaisir. Sans doute surcompense-t-il un complexe ou un manque d'amour mais il n'en a pas forcément conscience. Le narcissique est pénible sans le vouloir comme un chat miaule ou un chien aboie. Le narcissique ne se cache pas et se diagnostique à cent mètres. Des milieux comme la télévision, le cinéma ou la mode en sont remplis!
Il en va autrement du pervers narcissique. D'ailleurs on aurait du simplement parler de "pervers". Car il s'agit d'une perversité morale redoutable, voulue et orchestrée de main de maitre. Le pervers est un prédateur qui se tient en embuscade. On ne le voit pas venir. Il sait de prime abord masquer sa perversité car il tend un piège. Il séduite et enjôle. La proie ne voit rien venir. Comment un type aussi charmant pourrait il être dangereux. Après avoir manié adroitement le compliment, avoir fait comprendre à sa proie combien ses besoins étaient compris et pris en compte, le piège se referme. Le pervers narcissique montre alors toute sa perversité.
Pour ce faire, il va simplement pratiquer l'humiliation mais de telle manière que sa proie ne devine même pas qu'elle est le jouet de sa perversité. Pour la victime du pervers narcissique, le coupable c'est elle. Effectivement comment un type qui a su se montrer aussi charmant auparavant pourrait devenir quelqu'un d'aussi méchant. Ça n'a pas de sens. Et si cela arrive c'est qu'on a fait quelque chose de mal. Et la spirale est enclenchée.
La victime est souvent quelqu'un soit de jeune et sans défense ou alors quelqu'un ayant des failles narcissiques. Au départ, à l'instar de la cocaïne, le pervers narcissique est tellement sympathique qu'il emmène sa victime sur un petit nuage. Et c'est la descente qui suivra. Le pervers est tellement adroit qu'il sait exactement quels compliments faire et comment se comporter en fonction de ses proies. Il leurs donne exactement ce qu'elles désirent.
La victime ne comprend pas mais garde juste en mémoire, combien c'était agréable à l'époque ou elle s'entendait bien avec son tortionnaire. Alors elle va tout faire pour satisfaire ce dernier car il est devenu son principal pourvoyeur de bien-être. Et magnanime, une fois la victime à terre, le pervers narcissique sait réalimenter le circuit de récompense et refaire des compliments. Et ainsi de suite, jusqu'à ce que sa victime soit juste un jouet pour ses caprices sadiques.
Or, tandis qu'un narcissique ne fait rien si vous lui échapper car il peut compter sur d'autres admirateurs, il n'en va pas de même pour le pervers narcissique qui jouit fortement de votre dépendance. Si vous réalisez que vous êtes tombé dans un piège, il peut se révéler redoutablement méchant.
C'est ce que me disait mon second patient. Quand je lui ai demandé pourquoi, bardé de diplômes comme il l'était et avec son expérience professionnelle, il n'avait pas "envoyé chier" son tortionnaire, il m'a répondu qu'il avait simplement peur. Il m'a expliqué qu'au départ cet associé s'était montré charmant avec lui et qu'au fur et à mesure les reproches étaient venus puis les insultes. Et qu'il en était arrivé à un point où les crises étaient telles qu'il avait physiquement peur. Il m'a dit textuellement : ce type est tellement dingue que si je lui réponds, j'ai peur qu'il me balance par la fenêtre car je l'en crois capable.
C'est à dire que la relation en est arrivée à un point tel que mon patient à peur d'être assassiné ce qui semble fou. Et pourtant, je le comprends. Ce n'est pas le premier cas que j'aie eu à me dire cela. Je ne pense pas que le pervers narcissique en question soit capable de cela, ils sont généralement assez lâches. L'important c'est que ce pervers narcissiques soit arrivé à prendre dans ses rets de sadique sa victime et à LUI FAIRE croire qu'il serait en danger de mort s'il lui arrivait simplement de manifester son désaccord.
Fin 2017, j'ai eu trois victimes de pervers narcissiques. Trois jeunes femmes. La plus fragiel d'entre elle était le jouet d'un type tout juste âgé de vingt huit ans qui n'avait pas hésité à m'appeler le soir où elle me consultait pour me proposer son aide afin que je puisse mieux comprendre les problèmes de la patiente. Il m'avait ensuite expliqué qu'elle était très fragile compte tenu de sa vie passée et qu'il tentait tout pour l'aider. C'est vous dire s'il était "gonflé". Je lui ai répondu que je n'avais pas à lui dire qui je recevais et qu'enfin s'il pensait que cette jeune femme me consultait, il lui était possible de lui demander son accord et le cas échéant de venir avec elle si elle l'y aurotisait. Bien sur je ne l'ai jamais vu.
En revanche comme ce jour là, ma patiente était dans mon cabinet je lui avais fait par de mon sentiment, me disant qu'un type aussi jeune, capable d'être aussi manipulateur, et,aussi,téméraire,,ne craignant pas de m'appeler; me semblait capable de tout. C'était ma dernière patiente et j'étais sortie avant elle pour voir si le type en question ne l'attendait pas en bas. Je l'avais alors accompagnée à une station de taxis.
Las, cela n'avait servi à rien puisque le jeune type 'attendait en bas de chez elle et avait commencé à la frapper violemment. Sans l’intervention d’un passant, je ne sais pas comment elle s'en serait sortie. Elle m'avait immédiatement appelée et je lui avais expliqué la marche à suivre pour faire constater les coups et blessures et engager des poursuites. Une fois le dépot de plainte enregistré et la convocation au commissariat reçue, ce jeune pervers s'était montré tout miel et avait recontacté ma patiente pour lui expliquer qu'il avait pété les plombs parce qu'il était fou d'amour pour elle. Ca n'avait pas marché.
Si une proie leur échappe, les pervers narcissiques sont capables de tout. Pourtant, il m'est bien difficile de prédire de leur dangerosité réelle. Dans le cas de cette jeune patiente, c'était simple parce que le pervers s'était vraiment trop dévoilé. Dans le cas de l'associé terrorisant mes deux patients, j'avoue que je n'en sais rien.
Je leur ai dit que cela me semblait bien peu probable qu'il passe à l'acte. Qu'à part des insultes, à mon sens ils n'avaient rien d'autre à redouter. Je les ai aussi encouragés à faire part de cela au CHSCT de leur cabinet. Mais ils ne veulent pas. Sans doute qu'une femme admet plus facilement être victime d'un pervers narcissique alors qu'un homme, du haut de sa virilité toute puissante, a plus de mal à se déclarer victime.
Je redoute aussi qu'à bout, l'un des deux, qui me semble plus fragile, ne commettent l'irréparable. La parole de trop, la critique acerbe et méchante qui fait mouche, peut enclencher des réponses terribles. Le cime passionnel n'est pas réservé qu'aux cocus mais en général à tous les hommes blessés gravement dans leur virilité.
En attendant, j'ai échafaudé avec chacun d'eux une stratégie assez amusante et fort peu déontologique. Je leur ai proposé de les recevoir ensemble. Si elle fonctionne comme je le pense, je la décrirai un jour ici. J'ai eu l'occasion de l'utiliser voici quelques années pour venir en aide à une patiente ingénieur dans un bureau d'études qui était harcelée par son chef de service et cela avait bien fonctionné. Il s'agit d'être deux fois plus pervers que le pervers narcissique en attaquant là où l'on est sur qu'il aura mal.
Souvenez vous que des louanges suivies d'humiliations, suivies de louanges, etc., ne sont jamais le fait de personnes équilibrées. Si vous le pouvez, barrez vous !
Quant à la dangerosité d'un individu, la prévoir n'est pas toujours facile. On ne peut vivre comme dans Minority report en excluant de la société toutes les personnes à risques avant mêle qu'ils ne soient passés à l'acte. C'est ainsi que des psychologues ont élaboré des échelles pour déterminer la probabilité de passage à l'acte d'un individu en fonction de ses antécédents, de sa personnalité mais aussi du contexte. Pour ceux que la prédiction de la dangerosité intéresse, cet article est fort bien fait.
En revanche, on sait qu le potentiel de violence liée à la psychopathie, marquée par l’absence
d’empathie, l’indifférence, la dimension égocentrique, la tendance au
mensonge et à la manipulation, est reconnue. Le passage à l’acte violent
est fréquemment en lien avec une intolérance à la frustration. Les pervers narcissiques ne sont pas stricto sensu des psychopathes mais des gens intelligents et fins stratèges même si leur perversité les rend dangereux. Je ne pense pourtant pas que dans le cadre d'un rapport professionnel, il y ait de gros risques. Autant une femme a le pouvoir par ses mots de faire décompenser brutalement un pervers narcissique, en s'en prenant nommément à sa virilité, autant cela me semblerait hautement fantaisiste qu'un collègue de travail possède le même pouvoir.
J'ai donc rassuré mes deux patients. Je pense que le piège dans lequel ils sont tombés en nouant des relations avec ce pervers les a rendus particulièrement vulnérables. C'est d'ailleurs ce que cherchent tous les pervers narcissiques : faire de vous une proie apeurée avec laquelle ils joueront.
3 Comments:
excellent article Philippe!!!j'adore!!:-)merci!!
Je ne me souviens pas avoir lu quelque chose d'aussi clair et concis sur les narcissiques et les pervers narcissiques... Il est effectivement indispensable de tracer la frontière entre ces 2 profils si différents et pourtant si souvent confondus ! Super billet.
Article très intéressant !
À vrai dire, autant je peux comprendre la dangerosité de pervers, qu'ils soient narcissiques ou non, autant j'ai du mal à comprendre celle de narcissiques tout court. Je me les représente comme de grandes gueules, qui peuvent à l'occasion asséner de grosses sottises avec la plus parfaite assurance, dont seule l'opinion compte à leurs propres yeux, et qu'il suffit de laisser parler pour ensuite faire ce qu'on a à faire. J'admets qu'ils soient pénibles, mais de là à les ranger dans les profils pathologiques, je ne comprends pas, à moins que je ne confonde tout simplement les narcissiques avec des personnes juste fortes en gueule.
À quand un article tout aussi complet que celui-ci sur les narcissiques ?
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