30 décembre, 2023

Il faut être malade ...

Un jeune psychiatre m'a parlé de cette affiche, émanant du ministère de la santé, qu'il jugeai terriblement stigmatisante pour les patients, les vrais malades qu'il reçoit. Je n'ai évidemment pas été d'accord avec lui.

D'une part, pas plus un soignant qu’un élu ne doit être une vache sacrée à l’abri de toute critique ou de toute poursuite. S'en prendre à un soignant est donc parfois tout à fait légitime pour vu que la manière de faire soit conforme au droit. On évitera ainsi de le frapper bien entendu et même de l'insulter, même si parfois l’envie semble légitime.

Rajoutons que dans l’univers qui est le notre, la santé mentale, l'insulte est parfois inévitable, parce qu'on reçoit évidemment des gens qui dont le comportement est justement le problème. Si l'on veut ne pas se faire insulter, évitez de faire psy. Il m'est ainsi arrivé de me faire traiter de connard, parfois alors que c'était injustifié, d'autre fois, plus rares, non. Il m'est même arrivé de me faire traiter d'enculé une fois, par une patiente que j'aimais bien. Je lui ai expliqué que je voulais bien être un connard mais pas un enculé. Ça non !

En revanche, aucun patient ne s'en est jamais pris physiquement à moi. Sans doute parce que je suis sympathique et que je sais jusqu'où ne pas pousser les gens, que je suis assez volumineux et enfin parce que même si j'ai pu recevoir quelques vrais excités, je ne reçois pas de fous furieux. Enfin, n’étant pas psychiatre, je ne prescris pas et je n'interne pas, je n'ai donc aucun pouvoir sur les gens dont je pourrais abuser (ce qui les mettrait en colère).

Et connaissant ce jeune psychiatre, j'ai pu discerner que le pouvoir que lui confère son doctorat d'état en médecine, le fait bander comme un âne. Il adore relater des histoires dans lesquelles on l'appelle docteur et au cours desquelles il montre son immense mansuétude en accordant à l'un ou l'autre de ses patients un droit de sortie tel un maton débonnaire. Moi, l’essentiel de ma patientèle m'appelle par mon prénom et détestant au plus haut point qu'on ait le moindre pouvoir sur moi, je me garde bien de tenter d'en avoir sur les gens que je reçois. Ceux qui me connaissent, savent tout le mal que je pense des élus, des flics et des gendarmes alors que je suis un bon garçon placide pas gauchiste pour un sou.

Je pense d’ailleurs que ce jeune psychiatre est de gauche ce qui me semble assez grave dans la mesure ou le gauchisme reste pour moi une pathologie gravissime dont il est difficile de venir à bout. C'est d’ailleurs un classique du gauchiste que de prêcher la tolérance tout en jouant les flics dans l'exercice de sa profession.

Mais revenons en à cette affiche qu'il trouvait stigmatisante pour les patients puisque l'on osait employer le terme de "malade" pour désigner un comportement délictuel voire criminel. Je lui ai dit de se calmer parce que c'était juste un jeu de mots de publicitaires que je trouvais pour ma part assez rigolo sans y voir une atteinte intolérable à la dignité de nos patients. J'ai poursuivi en lui disant que l'expression "être malade" était aussi une figure de style. C'est ainsi qu'en parlant d'une chose incroyable on pourra dire que "c'est un truc de malade" sans pour autant que ladite chose fut effectuée par un malportant. On pourra aussi employer l'expression "c'est un truc de fou" sans pour autant penser que le truc ait été commis par un individu la bave aux lèvres ayant perdu toute raison. 

Quand on est un être humain, et non un crétin sélectionné par QCM, on saisit les nuances et les implicites et on ne met pas à brailler pour rien comme un enfant à la caisse d'un supermarché exigeant que sa maman lui achète les bonbons du présentoir astucieusement disposé là. Et on ne cherche pas à surfragiliser des gens déjà fragiles en leur faisant croire qu'un simple affiche serait pour eux un odieuse stigmatisation qui les autoriserait à se rouler en boule en pleurant. Nos patients, et encore plus les siens puisqu'il est psychiatre hospitalier, ont déjà fort à faire avec leurs pathologies et les vicissitudes de la vie, sans qu'un blaireau de soignant ne s'agite pour rien à cause d'un slogan imaginé par un quelconque pubeux.

J'ai évidemment effectué un petit sondage exprès auprès de mes patients et amis pour savoir si eux avaient trouvé quelque chose à redire à cette affiche. Il se trouve qu'ils l'ont trouvée tellement banale qu'ils se demandaient ce que je pouvais bien vouloir chercher à leur faire dire. Quand je leur ai expliqué le fond du problème, ils ont tous, absolument tous, trouvé cela absurde.

Dire que j'ai pu colabrer avec des psychiatres de prestigieux hôpitaux parisiens, hélas aujourd'hui décédés, et que l'avenir m'oblige à fréquenter ce genre de jeunes idiots.

"O tempora, o mores" 

                                                                                                        Cicéron, Les catilinaires.