27 novembre, 2006

Peut-on offrir un café ?

Peut-on offrir le café lorsque l’on reçoit en consultation des patients ? La question vous semblera sans doute nulle, futile et sans intérêt aucun et pourtant, bien des confrères pourraient écrire un livre sur le sujet. Pourquoi me suis-je posé moi-même cette question ?

Voici bien des années, je devais avoir 24 ans à l’époque, je suivais une psychothérapie analytique. La psychothérapie analytique est une psychanalyse à la sauce de Carl Gustav Jung, qui fut un élève de Freud avant de s’en désolidariser, pour des raisons qu’il me serait trop long de relater ici.

Mon analyste était un vieux psychiatre fort sympathique mais extrêmement précautionneux et ne désirant prendre aucun risque par rapport au cadre analytique tel que lui avaient enseigné ses maîtres. L’ayant en face de moi semaine après semaine, je sentais bien à ses réactions, qu’il aurait pu se laisser aller, et devenir un peu plus libre dans sa manière de fonctionner mais il n’osait pas. Ayant passé plusieurs dizaines d’années à l’APHP, je n’ai jamais su, si c’était la fonction publique qui avait gommé toute velléité de liberté chez lui, ou s’il était né, ainsi tatillon et timoré. Un minuscule événement allait me permettre de le connaître un peu plus.


Un soir de juillet, alors qu’il faisait chaud et que je n’avais même pas eu le temps de m’arrêter boire quelque chose au café du coin, j’arrivais en nage chez lui, après avoir gravi les quatre étages en courant. Il me reçut fort aimablement, nous nous nous serrâmes la main et entrâmes dans son cabinet. Ayant terriblement soif, avant de m'assoir, je lui demandai alors si je pourrais avoir un verre d’eau. Il resta une fraction de seconde assez dubitatif, alla farfouiller dans une autre pièce et revint avec un verre et une canette d’Orangina qu’il me proposa. Jusque là, rien à dire, c’était courtois et fort aimable de sa part de m'offir à boire. Ce qui fut beaucoup plus amusant, c’est la phrase qu’il rajouta aussitôt, comme pour se dédouaner immédiatement d'une immense culpabilité :

« Euh, n’imaginez pas que ce soit une habitude. Je ne vous propose à boire que parce que l’on se connaît bien et qu’il n’y a pas de risques. Sinon, je ne le ferais pas bien entendu ». Il m’expliqua cela d’une voix douce et docte en me regardant avec ses yeux bleus en ayant l’air de sous-entendre qu’effectivement il venait de commettre une faute extrêmement grave, qu’il ne l’ignorait pas, mais qu’il était assez ouvert d’esprit et libre pour faire une entorse rien que pour moi et que bien entendu, j'étais moi-même suffisamment ouvert d'esprit pour le comprendre et l'absoudre.

Je ne fus même pas surpris de sa réaction mais plutôt très amusé. Comme j’adorais lui rentrer dedans en remettant en cause ses dogmes que je trouvais étriqués et sans intérêt, je le rassurai de suite en lui promettant que cela resterait entre nous à jamais, et qu’il pouvait me faire confiance, que le fait de m’offrir à boire ne m’inciterait aucunement à l’appeler dorénavant papa ou à vouloir coucher avec lui ! Je le rassurai en lui précisant que, j’avais soif il m’avait offert à boire, point final : le précieux transfert dont il faisait tant de cas n’en serait pas altéré. Je lui rappelai qu'un simple verre d'eau aurait suffit !


Cet épisode m’a toujours amusé et je m’en suis souvenu lorsque je me suis installé quelques années plus tard. Il faut dire que j’aime bien accueillir courtoisement mes patients. La plupart viennent qui avec une histoire difficile, qui avec des symptômes divers et variés. Dans tous les cas, il n’est pas facile de se confier à un type que l’on rencontre la première fois. Et si je ne peux leur éviter de souffrir en quelques minutes et d’éprouver de l’anxiété eu égard à leurs problèmes, je peux au moins leur éviter une anxiété de niveau deux en leur évitant de redouter de venir me consulter. Je suis donc chaleureux et plutôt accueillant. Et donc, je propose toujours soit un thé soit un café à mes chers patients. Je vais même plus loin que cela puisqu’il y a du café ou du décaféiné, et plusieurs sortes de thé et il est possible de fumer dans mon cabinet. L’important est que, lorsqu’il s’asseyent dans le fauteuil pour me parler, ils soient le plus détendus possible pour me faire part de leurs tourments. C’est pour moi une façon d’accueillir chaleureusement autrui et rien d’autre, une manière de mettre à l’aise les gens qui ne nuit en rien à la relation thérapeutique que nous devrons établir.

Or, cela faisait deux ans environ que j’avais ouvert mon cabinet, lorsqu’en visite à mon syndicat professionnel, je me mis à parler avec des confrères psychanalystes de tout et rien. Et naïvement, je leur expliquai que j’offrais un café ou un thé à mes patients. Ils tournèrent tous la tête vers moi et l’un d’eux, un vrai lacanien totalement à la masse, vraisemblablement terrorisé, s’écria : « mais c’est du passage à l’acte ! ». Il précisa sa pensée en se livrant à un exposé théorique et fumeux, dans lequel il cita de nombreux et illustres confrères, que je ne compris pas. Et encore aujourd’hui, je ne comprends toujours pas, en quoi offrir un café serait un passage à l’acte ? Pauvre type, me suis-je dit en mon for intérieur, s’il est aussi peu sûr de lui pour qu’offrir simplement un café le fasse chanceler de son rôle thérapeutique, il ne doit pas aller très bien dans tête.


Décidément, même s’ils m’amusent souvent beaucoup, je ne comprendrai jamais les psychanalystes ! Mais j’offre toujours le café.

7 Comments:

Anonymous Anonyme said...

En fait, si ces névrosés de psychanalystes ont tant de réticence à offrir un café à leurs patients, c'est parce-qu'ils se bornent à les faire s'allonger sur un divan et tout le monde sait que ce n'est pas pratique ni évident de boire un café couché !

bravooooooo pour votre blog et vive les psychothérapeutes !

27/11/06 3:50 AM  
Anonymous Anonyme said...

vous ne l'avez pas précisé, il était bon ? Cet Orangina ?

27/11/06 6:39 AM  
Blogger philippe psy said...

Moui, pas pratique de boire un café allongé! Le passage à l'acte, ce doit quand on renverse du café sur le divan !

27/11/06 8:37 PM  
Blogger philippe psy said...

Un psychanalyste qui offre un orangina rend l'orangina extraordinaire ! Ca a le goût du fruit défendu !

27/11/06 8:38 PM  
Blogger philippe psy said...

Super gai votre site Ophélie :))
Tiens je ferai un post sur le suicide. C'est une bonne idée ! Dommage on ne peut pas mettre de commentaires sur votre blog!

27/11/06 8:45 PM  
Anonymous Anonyme said...

très intéressant! J'espère que l'explication viendra bientôt! Mais c'est quoiiiiiiiii ce passage à l'acte...?

27/11/06 11:56 PM  
Blogger philippe psy said...

Ben un, passage à l'acte je sais ce que c'est, c'est laisser ses pulsions prendr e le dessus : frapper, voler, etc.

Mais par rapport au fait d'offrir un café, là je ne vois pas !

Promis je me renseignerai !

28/11/06 12:38 AM  

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