21 novembre, 2006

Mon enfant est mort - première partie !

Rassurez-vous, il ne s’agit pas de moi, je n’ai pas de fils, ni d’une autre personne. Non, ce titre mélodramatique et un peu choquant, n’a pour unique but que de vous faire partager la réalité du métier de psychothérapeute. Trop souvent, le public imagine que nos cabinets sont infestés de gens faibles venus pour raconter leurs petits soucis quotidiens ce qui est totalement faux. Pour d’autres encore, être fort serait de s’en sortir seul sans aucune aide quelconque. Et puis il y a la réalité où dans le secret de nos cabinets, certaines personnes viennent chercher de l’aide pour tenter de trouver une solution aux drames qu’elles vivent et qu’elles n’arrivent plus à affronter.

Récemment encore, les pouvoirs publics ont fait une loi, à l’initiative du député Accoyer pour réglementer le titre de psychothérapeute ce qui est impossible comme vous allez le voir.


Ainsi, imaginons qu’une jeune femme prenne rendez-vous, vienne et s’asseye en face de moi et me dise : « voilà, j’ai perdu mon fils récemment et je n’arrive pas à m’en sortir. ».

C’est tout à fait le genre de situation que l’on peut vivre dans ma profession et croyez moi aucune faculté de psychologie, quelque soit le niveau auquel on en soit sorti, ne peut donner les clés pour régler ce genre de drame. Il y a une différence fondamentale entre le fait d’être uniquement psychologue clinicien (ou psychiatre si l’on a fait médecine), et le fait d’être psychothérapeute. Ce ne sont pas les mêmes métiers même s’ils sont connexes. Et vous allez voir pourquoi.

Reprenons notre exemple et imaginons que quelques minutes après qu’elle ait commencé à nous conter son récit, cette jeune femme se mette à pleurer. Tout d’abord, nous proposerons des Kleenex™ car tout bon thérapeute a dans son cabinet des mouchoirs en papier en quantité suffisante de même que tout médecin de film ou série américains se balade toujours avec le stéthoscope autour du cou : c’est une règle absolue ! Lorsque vous entrez dans un cabinet pour la première fois, regardez s’il y a un divan et une boîte de mouchoirs en papier : s’il y a les deux, restez sinon, partez à toutes jambes car vous avez à faire à un sombre charlatant !

Après ce geste d’humanité primaire dont le coût viendra en déduction du chiffre d'affaires s'il a gardé la facture des mouchoirs en papier, le psy va se souvenir de ses cours de psychopathologie et se dire « hmmm, elle pleure et semble abattue. Ma foi, ne serait-ce pas là une bonne petite dépression ? ». Décidemment, qu'attend-t-on là-bas à Stockholm pour célébrer la sagacité de ce psychologue et lui remettre un Nobel ?!

Il n’aura pas tort ! En effet, « perte de l’élan vital » et « humeur triste » sont les deux symptômes évidents de l’état dépressif. Alors, notre psychologue qui est finaud puisqu’il a fait psycho, va poser quelques questions bien senties de derrière les fagots, comme cela, adroitement sans que la patiente ne voie où il veut en venir bien sûr. Sa patiente, entre deux sanglots y répondra sérieusement. Ainsi notre psychologue saura qu’effectivement, elle a des réveils nocturnes et qu’elle ne peut pas se rendormir avant les petites heures du matin, vaincue par la fatigue. Il saura en plus aussi qu’elle a pris ou perdu du poids récemment, etc. « Ca y est, j’en étais sûr, c’est une dépression ». Et là, je m'exclame :"Et le Nobel pour ce psy, c'est pour aujourd'hui ou pour demain les gars ???".

Mais notre psychologue clinicien ira encore plus loin car décidément il est rusé comme un renard. Il va carrément tenter de classer cette dépression car il sait qu’on parle aujourd’hui d’états dépressifs. Muni de divers renseignements, notre psychologue épingle les symptômes comme l’entomologiste les papillons et se dit « mais oui, mais c’est bien sur, une belle dépression réactionnelle ! ». Il est vraiment intelligent, et Dieu qu’il en sait des choses ! Et alors là, moi carrément admiratif devant tant d'intelligenc,e je prends ma plus belle plume pour alerter le comité Nobel que décidémment, ils font une grave erreur en n'honorant pas ce psychologue !

Mais, sous vos yeux esbaudis, le psychologue peut aller encore plus loin, carrément plus loin. Oui mesdames et messieurs, il peut le faire. Devant vos yeux esbaudis, il va carrément définir l’intensité de la dépression ! Roulements de tambour ! Et l’on voit notre psychologue sortir un test, oui vous avez bien lu un test, d’un tiroir de son bureau et le confier à sa patiente. Et toc, celle-ci, va répondre à une série de questions puis tendre sa copie au psychologue. Et celui-ci, après avoir regardé et coté ses réponses d’un air entendu, déclarera qu’elle a une dépression grave. Mais ce n’est pas tout, loin de là.

S’il est sérieux (et notre psychologue l’est assurément parce qu'il a une profession réglementée et que l'état lui fait condiance), il va expliquer à sa patiente que compte tenu de la gravité des symptômes, il serait bienvenu de consulter un médecin qui le cas échéant pourra lui prescrire des antidépresseurs qui l’aideront à lisser son humeur. Il pourra aussi parler de thymie au lieu d’humeur s’il veut vraiment apporter de la valeur ajoutée à son exposé et jargonner un petit peu pour montrer que lui, il a fait psycho putain, et qu'il faut que cela se sache merde quoi ! Déjà qu'il ne peut pas prescrire de médocs parce qu'il n'est même pas médecin, si en plus il ne peut pas jargonner, il est où le prestige de son boulot ? Hein, je vous le demande moi ! Et là, soit la patiente dispose d’un bon médecin, soit le psychologue super sérieux lui explique qu’elle peut aller voir le docteur Machin-Chose de sa part et que c'est un super médecin. Et hop, comme cela il montre qu'il est presque médecin ou enfin un peu scientifique quand même puisqu'il bosse carrément avec des médecins ! Pfff, là, vous serez d'accord avec moi, ce n'est pas un prix Nobel qu'il lui faut, mais au moins deux rien que pour lui, tellement qu'il est futé !

Fin. Voilà le travail du psychologue clinicien tel que l'y a préparé aujourd'hui l'enseignement qu'il a suivi. Loin de moi l'idée d'attaquer les psychologues cliniciens bien sûr car une bonne connaissance de la psychopathologie reste une base évidente du métier mais c'est sans doute la partie émergée de l'iceberg qu'est une psychothérapie.

Ainsi, on pourra applaudir en disant qu’il est vraiment malin notre ami psychologue qui a réussi à mettre des mots là où il n’y en avait pas. Mais bon, certaines mauvaises langues, dont je fais évidemment partie, pourraient aussi dire que la patiente en question, a forcément une bonne copine qui lui a déjà dit qu’elle était en pleine dépression. Soyez aussi assurés chers lecteurs que la patiente en question, savait elle-même qu’elle était en dépression. D’ailleurs quand on perd un enfant, on a de grands risques de faire une dépression plutôt que de sauter de joie.

Ainsi dans les faits, le psychologue clinicien aura apporté bien peu d’aide à la patiente. Ou du moins il aura peut-être précisé certaines choses et aura amenée cette dernière à consulter un médecin pour une prise en charge ce qui n’est déjà pas si mal. Mais bon, soyons réalistes, le bilan est mince. Le vrai travail productif si notre ami en reste là, sera uniquement réalisé par le médecin qui lui au moins apportera une aide précieuse au travers d’un traitement médicamenteux. Le psychologue en recevant la patiente et en l'orientant vers quelqu'un de plus compétent, aura seulement eu un vague rôle paramédical bien moins important par exemple que celui d'une infirmière. Avouez que c’est mince pour cinq années d'étude minimum et que cela ne règle rien. Alors les psychologues ne serviraient ils à rien ?

Les psychologues cliniciens, qui en resteraient là, ne servent à rien affirmons le sans conteste sauf dans le cadre d'institutions où ils feront par exemple passer des tests. Là où au moins, le confrère psychiatre pourrait diagnostiquer et prescrire et donc œuvrer en tant que médecin, le psychologue lui en restera au diagnostic. Et encore, si le psychologue peut diagnostiquer, c’est simplement parce que les médecins sont bienveillants car le code de la santé publique reconnaît explicitement que le diagnostic est de la compétence des seuls médecins !

Le psychologue est donc d’une utilité assez discutable. A moins bien sûr qu’il ne soit aussi psychothérapeute mais ce n’est plus le même métier du tout et cela ne s'enseigne pas en faculté durant le cursus classique. Etre psychologue diplômé d'état ne laisse pas augurer que l'on sera un bon psychothérapeute.

A l’origine, la profession de psychologue était spécifique dans la mesure où elle était placée aux confins des disciplines scientifiques et philosophiques. C’est pour cela que les psychologues n’ont jamais voulu devenir des auxiliaires de santé comme le sont par exemple les kinésithérapeutes. D’ailleurs, psychologue avant d’être une profession réglementée, est avant tout une qualité partagée par bon nombre d’individus indépendamment de leurs formations : n est psychologue ou on ne l'est pas vous diront les bonnes gens.

La scientifisation de la profession et son intervention dans beaucoup d’institutions, a poussé le législateur à réglementer la profession. De ce fait, en sortant de leurs cabinets, les psychologues ont perdu leur liberté. Réglementée sans pour autant être véritablement inscrite dans une politique de santé publique, le psychologue clinicien n’est pas grand-chose. Il a certes des compétences en psychopathologie mais c’est tout puisque la faculté ne lui apprend même pas à traiter ce qu’il diagnostique. Imaginez un avocat qui ne pourrait pas plaider, c’est un peu cela la profession de psychologue clinicien.

Dans notre exemple, il a mis la patiente dans une jolie petite boîte sur laquelle, il a écrit "dépression réactionnelle d’intensité grave" et a refilé le tout à un médecin. Le sujet, ici réduit à un objet d'examen diagnostique et d'expertise pour satisfaire la logique d'un désir institutionnel et administratif de maîtrise, est bel et bien occulté, bâillonné et nié. Sa subjectivité quand à ce qu’il vit, la manière dont il vit cette expérience, n’est pas abordée. Le diagnostic seul, stérilise, enferme et assigne à résidence et ne résout rien.

Si la psychologie se limite à cela, alors je change de métier ou bien je me ferai appeler psychanalystes car même si je ne suis pas un fervent partisan de cette technique au moins, les analystes sont-ils plus fins dans leur approche du symptôme. Ainsi, méfiez-vous donc jeunes étudiants de psycho ou tout jeunes psychologues qui êtes avides de la reconnaissance de l’Etat pour devenir un peu comme des médecins, vous perdrez votre âme.

Dans le prochain post intitulé prosaïquement « mon fils est mort 2 », j’aborderai justement la spécificité du métier de psychothérapeute puisque lui guérit en donnant du sens aux expériences que l’on vit, si dramatiques soient elles. Bien sûr, guérir est un terme impropre car le psychothérapeute ne conduit le patient qu’à un état nouveau de meilleure réalisation subjective comme nous le verrons.

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Voilà une définition des plus claires à mettre dans l'encyclopédie universelle.
un motard fjr

22/11/06 1:30 AM  
Blogger philippe psy said...

Quelle définition ? Tu n'as pas encore vendu ta FJR pour acheter une vraie moto ? :))

22/11/06 6:35 PM  

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