24 novembre, 2006

Misère et réalité quotidienne du psy non médiatisé !

Tant que je n’aurai pas écrit un super livre, vantant guérison et bonheur absolu pour tout le monde sans trop d’efforts avec des recettes psy simplistes comme mes illustres confrères David Servan-Schreiber ou encore Marcel Rufo, disponible par piles entières à la FNAC où chez l’hyper le plus proche de chez vous, je ne serai pas mon propre prescripteur. Ce qui signifie, que je nécessiterai de prescripteurs extérieurs pour trouver de nouveaux patients afin de reconstituer ma clientèle.

Certains trouveront l’article très mercantile mais le réel c’est aussi cela. A moins d’œuvrer dans un cadre institutionnel et d’avoir son petit chèque en fin de mois quelque soit le travail et les résultats fournis, on ne peut négliger l’aspect marketing d’une activité. Etre en libéral, c’est se soucier des fins de mois et se souvenir que l’on est chef d’entreprise.

Bon, venons en au fait. Un prescripteur, qu’est ce que c’est ? Alors voici une définition assez exacte de ce terme marketing. Un prescripteur est un leader d’opinion, c’est à dire une personne qui eu égard à sa notoriété, son image, son statut social, sa profession, ses activités et/ou son style de vie, est à même de recommander une entreprise, une marque, un produit, et d’être reconnue pour la valeur de sa recommandation par un nombre plus ou moins important de consommateurs. Son influence sera d’autant plus grande que ses caractéristiques sociodémographiques seront proches des individus à qui il destine son message. Les leaders d’opinion forment un groupe social spécifique qui se caractérise par un haut degré de sociabilité et la prise de conscience de leur influence en tant que guide. Un leader d’opinion est un individu qui influence de façon formelle le comportement d’autres personnes dans une direction souhaitée. Ses avis sont spontanément sollicités par son entourage immédiat (amis, collègues, voisins, relations sociales, etc.) avant ou après l’achat d’un produit ou un service. Tout consommateur peut, potentiellement être considéré comme un leader d’opinion dans l’un ou l’autre des marchés de biens et services.

Finalement, c’est fort simple, un prescripteur efficace pour moi, sera par exemple, le patient qui dit : « ah vous cherchez un psy, allez donc consulter Philippe, c’est le meilleur de la galaxie. Moi il a changé ma vie, avant j’étais un gros nul et maintenant je suis quelqu’un de super que tout le monde adore et je vole de succès en succès », et qui sera écouté. Donc des prescripteurs, c’est capital pour mon boulot si je veux survivre car vous l’imaginez je ne vis pas d’amour et d’eau fraîche mais des honoraires versés par mes chers patients, en échange de mes prestations que tout le monde s’accord à trouver géniales.

Il existe deux types de prescripteurs pour mon activité, pour le moment. Comme je le disais en préambule, trop fainéant ou contemplatif pour écrire un livre alors que certaines personnes m’y encouragent, je n’ai pas de papiers dans la presse et je ne suis pas une star et ne puis donc devenir mon propre prescripteur. Dommage, cela m’arrangerait bien d’avoir des articles de presse, dans lesquels je pourrais astucieusement vanter mes mérites rien qu’à moi en faisant sembler de parler d’un truc plus général. A l’instar de certains confrères que je ne nommerais pas, j’irais gloser sur n’importe quel sujet en faisant le psy de service, celui qui sait, celui sans l’avis duquel les gens vivraient moins bien, aveuglés qu’ils sont par leurs raisonnements abrutis. A ce propos, certains confrères sont devenus des as de la starisation et sont présents sur tant de plateaux de télés et dans tant de journaux, qu’on se demande même comment ils peuvent encore recevoir des patients ! Mais moi, pauvre petit psy sans envergure, être obscur, individu sans grade, tâcheron du bonheur : en termes de prescripteurs, il me faut compter principalement sur mes anciens patients et sur les médecins.


Les anciens patients assurent environ la moitié de mes renouvellements de clientèle. Ce sont d’excellents prescripteurs. Les anciens patients, parce qu’ils ont été satisfaits de mes prestations, ont parfois le zèle des convertis et parlent de moi de manière dithyrambique ce que j’apprécie toujours même si j’ai renoncé, du fait de ma modestie, à me faire appeler Grand Maître de la Galaxie ou Guide suprême de la Pensée. En plus, l’activité anti-secte est tellement importante en France que des associations du type UNADFI, seraient venues m’emmerder si j’avais joué les gourous : j’ai donc renoncé à me vêtir d’un sari orange, à me raser le crâne et à jouer le sages pénétré d’une sagesse séculaire. Il y avait aussi la version à costard blanc et gros médaillon autour du cou, mais le look a déjà été pris par Raël !

Enfin, étant de nature plutôt cool, je suis plutôt accessible et je garde de bons liens avec certains ex-patients avec qui il m’arrive de prendre un café voire de déjeuner aussi ai-je patiemment tissé un réseau important. A ce propos, sur le fait de savoir s’il est possible ou non de voir un patient hors du cabinet, cette question essentielle fera l’objet d’un futur post. Sur ce sujet, et toutes choses égales par ailleurs, j’ai des positions plutôt opposées à celle de mes confrères : oui, on peut prendre un café avec un patient sans pour autant altérer le lien thérapeutique et sans nuire à la thérapie. Et toc !

Ceci dit, le fait d’être cool et sérieux sans avoir pour autant des principes rigides m’a plutôt bien réussi puisque certains patients que je remercie très sincèrement au passage, m’ont vraiment bien aidés à constituer ma clientèle lorsque je m’installais. Je me retrouve aujourd’hui par exemple avec un tiers de ma clientèle issue du secteur de la mode grâce à un seul patient qui oeuvrait dans ce secteur. Le secret professionnel m’empêche bien sûr de citer cette personne mais si d’aventure, elle me lisait par le plus grand des hasards, et que par un hasard encore plus grand, elle se reconnaisse ou imagine se reconnaître, qu’elle sache que je la remercie vivement. De plus, c’est très sympa de m’avoir envoyé tous ces patients car cela me permet, en cultivant mon réseau, de jouer les grands seigneurs avec mon épouse en lui offrant des trucs de marques sur lesquelles j’ai 70% de remise. Si un jour j’en ai marre d’être psy, qu'un beau matin j'ai envie de coller des beignes à mes patients, alors j’ouvrirai une solderie : j’ai suffisamment de contacts dans ce secteur pour achalander la boutique avant l'ouverture voire pour recruter des vendeurs !


Le solde du renouvellement de ma patientèle est assuré par les médecins qui sont donc de précieux auxiliaires qu’il faut soigner, sans jeu de mots ringard. Je travaille avec un certain nombre de généralistes et spécialistes qui me font l’honneur de m’adresser certains de leurs patients. Parmi ces médecins, certains sont très cools, on se tutoie, on déjeune, on boit des coups, on rigole, on fait du bon boulot et tout va bien dans la bonne humeur : comme diraient les jeunes, on ne se prend pas la tête, on fait notre boulot de notre mieux sans se la raconter. Ce sont des médecins à la vocation sans faille qui ont chois leur métier par pure vocation et par amour des gens et/ou de la science et non par passion pour le fric ou pour tenter de compenser des complexes d’infériorité.

D’autres médecins en revanche, investis de la mission que leur donne l’état, boursouflés par une forme de toute-puissance très clairement névrotique, sont nettement moins cools voire carrément très cons. Lorsque je les rencontre une à deux fois par an en faisant la tournée des popotes, je m’assieds bien sagement dans leur cabinet, et j’écoute ce qu’ils ont à me dire. En général, de la part de ces médecins bouffis d’orgueils et de névroses diverses, j’ai le droit à une pièce de théâtre savamment répétée et jouée des centaines de fois, dans laquelle, ils ont le rôle du docte personnage omniscient ayant pour mission d’instruire un pauvre crétin que j’interprète à merveille. En règle générale, j’ai le droit à des considérations oiseuses vaguement psychanalytiques dont le but est de me faire comprendre, qu’au-delà de la médecine, ils connaissent aussi tous les rouages de l’être humain. J’acquiesce à tout ce qu’ils me disent, j’adhère chaudement, et tout dans ma manière laisse entrevoir que je pense sincèrement : « qu’est ce que vous êtes fort chef ! ». Ce type de médecin très cons, ont én général des traits narcissique et/ou paranoïaques prononcés et ne voient dès lors le monde que comme un ensemble d’individus à classer entre dominateurs et soumis.

J’ai parfois envie de me lever et de leur foutre des claques ou du moins de leur faire comprendre que je ne suis pas le crétin qu’ils imaginent mais je m’en abstiens. D’une part, je sais que la colère est mauvaise conseillère et étant moi-même assez orgueilleux, je trouve très formateur de ronger mon frein face à ces charlots en me disant « ta gueule Philippe, laisse les parler, tais-toi, ne réagis pas ». C’est un exercice spirituel stoïcien très profitable qui forge l’âme. D’autre part, je décide aussi de m’adapter pour des motifs moins nobles car, lorsque je vais à ma banque, je connais le bordereau de versement d’espèces ou de chèques mais pas le bordereau de versement d’orgueil. Donc, je m’abstiens et tant qu’ils m’envoient des patients, je me tais et j’endure : c’est aussi cela le monde réel, savoir maîtriser ses émotions pour faire contre mauvaise fortune bon coeur.

En conclusion, se faire une clientèle est une activité plutôt enrichissante. Que l’on rencontre des gens sympas et l’on passera de bons moments, que l’on rencontre des crétins et ce sera l’occasion de travailler sur soi-même. Je ne regrette donc pas d’être en libéral.

Mais parfois, je me plais à rêver que je pourrais moi aussi être sur un plateau de télévision, à pérorer sur n’importe quel sujet. Ou bien, je m’imagine, interviewé dans un magazine people ou un féminin célèbre, donnant mon avis sur tout et n’importe quoi, faisant l’important. Tout cela pour un jour, devenir mon propre prescripteur, l’alpha et l’oméga de ma propre activité. Ensuite, les patients viendraient tout seuls comme des grands, déjà totalement conquis, quelques soient mes mérites véritables par la magie de ma médiatisation unique. J’aurais une attachée de presse super mignonne en petite jupette et talons hauts qui me bookerait des rendez-vous et me ferait un plan de com’ en m’appelant docteur. Elle aurait un prénom composé et un nom à particule, comme les attachées de presse des grandes maisons de couture et je pourrais lui dire entre deux rendez-vous : « Non Marie-Sophie, refusez l’interview de TF1, mais dites oui à CBS. Par contre, dites à mon agent que je suis d’accord pour ce long métrage sur ma vie mais uniquement si Clooney interprète mon rôle et si Spielberg réalise». Je disposerai aussi d’une agence spécialisée qui travaillerait sur mon image, des éditeurs me solliciteraient, etc.


C’est décidé, demain je commence soit à écrire un livre intéressant et surtout très facile à lire, que j’appellerai « Soyez heureux, beaux, riches et en bonne santé, sans faire d’efforts », soit à m’entraîner pour escalader la tour Eiffel à mains nues en ayant mon nom et mon adresse professionnelle écrits en gros dans le dos, moi aussi je veux être célèbre et ne plus rien foutre d’autre ensuite que de jouer le beau. Ou alors, peut-être que je pourrais trouver un truc encore plus simple à faire pour me faire connaître du grand public ? Oui, mais quoi ? Euh, allez je vais participer à une émission débile sur France 2.

2 Comments:

Blogger Unknown said...

J'ai bien rigolé en lisant votre article ! et en plus il est intéressant ! Je suis psychologue-psychothérapeute et je suis en train de m'installer en libéral donc je cherche à me créer un patientèle et j'aurais aimé trouver un livre intitulé "comment avoir pleins de patients dès demain et sans rien faire!" ;)

10/3/16 5:34 PM  
Blogger Unknown said...

Excellent, morte de rire...j'ai retrouvé ici bien des réflexions faites à moi-même. et je peux observer des collègues dans ce trip de "regardez-moi, j'suis un personnage public" !
pour vous faire rire : j'ai aussi publié, mais avec une médiatisation limitée à la population qui s’intéresse à certaines techniques que je mets en oeuvre : la manière dont les rapports peuvent alors être faussés, notamment avec les collègues (mais aussi le tout venant, j'excepte bien sûr les personnes sincèrement interessées par le contus des ouvrages)ne m'a pas encouragée à en faire une habitude ni une rente. j'ai dit ce que j'avais alors à dire et ai refusé tous les autres projets plus "grand public"(50 ex de sophro, " 50 ex d'EFT"...etc car franchement cela m'aurait gavé de les écrire). J'aime trop faire les choses pour le plaisir ou... pcq çà vient tout seul.
Bientôt 15 ans de libéral, je vis, simplement, mais je vis de mon boulot que j'adore. je ne soigne, ni ne guéris personne, je ne fais pas de miracles et c'est parfait ainsi : je suis juste une sorte de boutique sur le chemin des gens, où ils viennent utiliser les compétences que la Vie a (j'en suis pleine de gratitude) mis en moi.
Une sorte de station service où certains reviennent au bout de quelques années. Et où se révèlent des choses magnifiques.
Nous sommes chanceux d'être à cette place, où nous apprenons tant et continuons de grandir !
merci de votre article !

3/9/16 6:09 PM  

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