28 octobre, 2010

Troubles somatoformes (2)


La prise en charge psychologique est donc multiforme, l'important étant de soutenir toute tentative vivant à soutenir l'aspect social de la vie de la personne. 

J'ai ainsi connu une patiente souffrant d'un grave trouble somatoforme ayant dégradé sa vie professionnelle, pour laquelle un diagnostic de spondylarthrite ankylosante, dont les symptômes ont régressé lorsqu'elle s'est mise à pratiquer un sport pourtant exigeant physiquement le week-end. Les résultats étaient spectaculaires. Tandis qu'elle passait des semaines percluse de douleurs terribles, celles-ci s'envolaient comme par miracle durant les week-ends sportifs pour être remplacés par une saine fatigue et des courbatures classiques. Il s'agisait d'un trouble somatoforme indifférencie qui se caractérise par des plaintes somatiques multiples, variables, persistantes mais ne répondait pas au tableau complet d'une somatisation. Il y avait également absence de trouble organique pouvant expliquer les symptômes même si une mauvaise alimentation (carence en collagène) aurait été un bon début de piste pour comprendre cela.
Il y a sans nul doute des traits hystériques chez cette personne mais pas au sens ou on l'entend habituellement. Il y a certes une volonté d'attirer l'attention mais cette démarche ne prendra pas l'allure d'un comportement sexuel mais sera orienté autour de la prise en charge d'une douleur morale que l'on n'arrive pas à communiquer et qui se transforme donc en symptômes de conversion. En ce sens, l'hystérie est encore plus difficile à diagnostiquer que d'habitude puisque l'on a face à soi quelqu'un de sérieux et souvent plutôt introverti là où l'on s'attend habituellement à une forme d'hystérie plus classique centrée sur la provocation sexuelle et la labilité émotionnelle. Chez les patients atteints de troubles somatoformes, le corps parle bien plus qu'ils ne le font eux-mêmes.


Mais, comme dans l'hystérie plus classique, ils semblent vouloir à tout prix éviter de parler d'eux et se contentent d'évoquer rapidement leur vie intime. Certes, ils peuvent se plaindre de leur vie mais le contrôle reprend vite sa place et sa fonction en leur évitant ce qu'ils redoutent : décompenser et déprimer. Pour eux, tout ne va pas si bien mais tout pourrait tellement aller plus mal que ce n'est pas si grave. On note d'ailleurs chez bon nombre de ces patients une vraie prolixité lorsqu'il s'agit de parler de leurs corps, mais une sorte de "belle indifférence" lorsqu'il s'agit d'exprimer les maux de l'âme qui sont toujours tenus à distance ou minimisés.


Dès lors, ils se contentent souvent de résultats rapides et spectaculaires. Ainsi, pour cette patiente,  le sport peut être un excellent catalyseur dans le sens où cette pratique permet de s'engager dans un processus d'apprentissage apportant de la confiance mais aussi de multiplier les rapports sociaux. Les bénéfices immédiats sont si satisfaisants qu'elle s'en contentait. Le reste de sa vie, les douleurs qui reprenaient les jours de semaine passaient à la trappe dans la mesure où les weekends permettaient une embellie passagère. Comme elle me l'expliqua, le sport lui avait permis de développer plus d'assurance, de confiance en elle-même, de maturité et elle rajouta qu'elle se sentait "moins rêveuse et plus lucide".


Personnellement, j'étais loin de partager ces prises de conscience. Car si un changement s'était opéré, je ne le trouvais pas forcément très harmonieux. Ma patiente avait troqué une protection contre une autre : la malade chronique était devenue la sportive compulsive mais le fond du problème n'était pour autant jamais abordé. En ce sens, et bien que je ne lui aie pas dit, j'ai toujours pensé que sa pratique sportive était devenue un peu addictive et inconsciente. Pour ma part, je reste toujours suspect face à des engouements aussi massifs et un tel investissement. Lorsque le trop remplace le trop peu, rien n'est vraiment réglé. Et lorsque la sensibilité se masque derrière une dureté de façade, on ne peut pas dire que la psyché soit en meilleur état. Mais on doit sans doute mieux vivre.


Mais lorsque je tentais d'aborder le fond du problème, la solitude affective, la difficulté à faire part de ses émotions, je n'eus le droit qu'à un sourire de façade bienveillant comme si en tant que psy, je ne pouvais m'empêcher de "jouer le psy" en étant incapable de réellement comprendre. Je retrouvais cette "belle indifférence" et ces symptômes hystériques qui m'avaient échappés lors de nos premières rencontres. On me claquait gentiment la porte au nez en me priant de ne pas insister et en me signifiant qu'on n'avait plus besoin de moi, que toute intervention de ma part serait superflue et mal vécue. Je sentais qu'elle me signifiait que j'étais gentil, qu'elle le savait mais qu'elle n'avait besoin de rien.  A la limite, c'est elle qui aurait voulu m'aider de me faire du souci pour elle. Je n'ai donc pas insisté.


De fait, malgré une bonne entente réelle, l'alliance thérapeutique n'était sans doute pas suffisamment forte pour que la thérapie porte plus de fruits. Comme bien souvent avec les personnes ayant des traits hystériques, la bonne entente (même si elle peut être excellente) est de façade mais sur le fond, des choses nous échappent, un secret persiste et résiste. C'est un de ces nombreux cas où l'on pourrait aller plus loin mais où l'on se contente de se dire que "c'est déjà bien" en renonçant à la fameuse "toute puissance" même si c'est difficile. C'est assez frustrant mais il ne nous est pas possible de violer psychiquement nos patients même lorsqu'on les sait dissimulateurs. Imaginer que les symptômes physiques aient pour source un conflit psychique leur déplait. Ce sont souvent par leur histoire des gens habitués à la logique : marche ou crève.

Dans ce même type de cas, j'ai aussi eu le même genre de patiente qui avait cru se "guérir" en tombant amoureuse. Mais son engagement massif, son engouement soudain, son amour immodéré a très vite fait peur à l'élu de son cœur qui a préféré la quitter. En ce sens, comme pour le sport chez la patiente précédente, l'amour n'était pour celle-ci qu'un remède plutôt que quelque chose de vraiment construit et de sain.


En ce sens, les pratiques visant à augmenter la qualité des rapports sociaux sont des aides précieuses mais ne sauraient remplacer de réelles prises de conscience aussi douloureuses soient-elles. Et même si l'on peut admettre qu'un patient peut se contenter de certains résultats, il serait intéressant qu'il ait conscience qu'il aurait pu aller plus loin même s'il n'y est pas obligé.

(à suivre)

6 Comments:

Blogger Lousk said...

Ouah un véritable article de pro ! :) regardez vos mails !

28/10/10 2:14 PM  
Blogger Julien said...

Au-delà et sans rien nier bien sûr, de ce que cet article peut apporter aux personnes concernées, un point conceptuel très important est formulé il me semble ; jusqu'à présent, m'étant référé au contenu d'ouvrages tels que "les personnalités pathologiques" de Quentin Debray et "amours, sexualité et troubles de la personnalité" du même auteur (ouvrages mentionnés à au moins 2 reprises par Philippe, voir archives 2010 et 2008), je me faisais l'idée suivante :

Les auteurs de la "filière" cognitive et comportementale tombent dans l'écueil de mettre tous les symptômes sur le même plan ;
j'ai l'impression, quand Quentin Debray parle de l'hystérie/histrionisme, que les affects exaggérés et mis en avant, la recherche perpétuelle d'attention, la prééminence des sensations sur la pensée et l'absence de sens du détail sont mis sur le même plan que la frigidité et le manque de profondeur du ressenti tiré des relations interpersonnelles.

Comme si la démarche cognitive autorisait à mettre tous les symptômes dans un fourre-tout, pourvu qu'on y appose la bonne étiquette, et avec l'idée que le thérapeute n'aura qu'à se saisir de ce qui ressort de ce groupe de symptômes chez tel ou tel patient pour être efficace...
Avec le risque sans doute de n'obtenir que des succès partiels : tel patient histrionique est toujours aussi informe, changeant et insatisfait qu'avant, mais il est plus tolérable pour son entourage, parce que tous les traits comportementaux pathologiques qui découlent de son fonctionnement ont été gommés.

Alors que ce qui est vraiment très fort je trouve dans cet article sur les troubles somatoformes, c'est que Philippe intègre dans la démarche cognitive les acquis de la "filière" de la psychothérapie analytique avec tout ce qu'elle a permis de comprendre sur les structures :
Oui on peut faire de l'hystérie "essentielle" sans s'en faire le complice en adoptant un mode de vie et des attitudes faisant la part belle au superficiel et à la séduction ; on peut être à 100% dans la problématique hystérique sans que le DSM 4 nous aie conduit à repérer un nombre suffisant de traits caractéristiques.

Bergeret avait visiblement pressenti ça alors qu'il parlait d'autres aspects de l'hystérie : " (...) les manifestations de conversion ne jouent pas seulement en consommant de l'énergie, mais elles en restituent aussi, dans un deuxième temps, au système nouveau ainsi créé, contribuant du même coup à le rendre de moins en moins fragile sur le plan économique pur, mais par là même, de moins en moins réversible sur le plan défensif".
Autrement dit, il reconnaissait que l'hystérie est antérieure par nature à l'atteinte somatique et cette dernière aux maifestations comportementales liées à la "belle indifférence", que l'hystérique emploie copieusement dans les relations avec autrui.

La plupart des "marqueurs" de l'hystérie ont à voir avec ses conséquences, les corriger ne fait qu'aménager les choses dans le pire des cas, où préparer le terrain pour une sortie du problème dans le meilleur des cas.

D'où le corollaire dont je ne sais pas si il avait déjà été formulé avant cet article d'hier :
annihiler les manifestations comportementales de l'hystérie n'anéantit pas la cause ; ces manifestations comportementales peuvent d'ailleurs être absentes du tableau clinique.

29/10/10 9:41 PM  
Blogger philippe psy said...

Merci Julien pour la finesse et l'intelligence de vos remarques avec lesquelles je suis d'accord. J'aime l'aspect "carré" et expérimental des TCC cependant, il devient dangereux de se transformer en ingénieur en psychologie. Effectivement, la clinique et la psychopatho sont plus complexes et requièrent plus de finesse qu'une liste de critères.

30/10/10 1:34 AM  
Blogger philippe psy said...

Julien, on pourrait même imaginer une hystérie classique à base de comportements classiques de séduction sexuelle et une forme plus "frustre" dans laquelle seuls des troubles somatoformes existeraient. Il y a tant d'hypothèses à imaginer !

30/10/10 1:38 AM  
Blogger Caroline said...

Ce qui est bien c'est que plus c'est intelligent et en finesse et moins c'est compréhensible. Serai je que je sois bête ? Remarquez ce que je raconte est souvent imcompréhensible, suis je intelligente alors ?

Je m'en vais , je m'en vais...

Bonsoir et Bonne nuit.

V : Vous me manquez déjà!

30/10/10 8:39 PM  
Blogger V. said...

Mais ou est passé mon commentaire ?
Je croyais que vous validiez "tous" les commentaires ... On m'aurait menti ? !

31/10/10 1:31 AM  

Enregistrer un commentaire

<< Home