29 octobre, 2010

Troubles somatoformes (3)


Les troubles somatoformes sont présents chez les hommes comme chez les femmes, et dans toutes les cultures. Toutefois, on a pu mesurer plus d'hypocondrie chez les hommes tandis que les femmes seraient plus sujettes aux douleurs chroniques. Dans cette série d'articles, j'ai particulièrement insisté sur ces douleurs chroniques.

Une étude montre que le fait d'être une femme de bas niveau social, avec une consommation de toxiques, des troubles de l'humeur et de l'anxiété ainsi qu'un passé d'abus sexuels ou physiques semblent favoriser l'apparition de troubles somatoformes. On rapporte aussi une grande influence des facteurs environnementaux puisque les patients présentant, à l'âge adulte, un trouble somatoforme auraient eu des parents renforçant l'expression somatique chez eux au détriment de l'expression des émotions. Les parents de ces patients auraient eu, eux-mêmes, souvent des comportements de somatisation. Ce sont donc souvent des personnes issues de milieux durs dans lesquels la plainte ne s'exprime pas et où règne la loi du "marche ou crève".

On a pu retrouver des personnalités pathologiques associées mais de tous types ce qui rend impossible la possibilité de lier les troubles somatoformes à une personnalité définie. On notera toutefois une prévalence des troubles obsessionnels-compulsifs et des traits histrionniques.  En revanche, l'alexithymie est nettement observée chez la plupart des patients présentant des troubles somatoformes.

L'alexithymie [du grec «alpha» (privatif), «lexis» (mot) et «thymos» (humeur)] désigne les difficultés dans l’expression verbale des émotions communément observées parmi les patients présentant des symptômes psychosomatiques. Ces patients ont en commun une difficulté marquée à décrire leurs sentiments, une absence ou une réduction de la vie fantasmatique, et la manifestation de la pensée opératoire.

A cette description,  se sont ajoutés d'autres éléments descriptifs plus discutables, comme : personne ennuyeuse, terne, morne, au fort conformisme social, voire incapable d’éprouver quelque sentiment que ce soit. Ces éléments restent toutefois fondés sur un jugement trop subjectif . En effet, comment définir précisément ce qu’est une personne ennuyeuse ?


En bref, les critères cliniques de l’alexithymie sont ainsi présentés :
  • Description inlassable des symptômes physiques ;
  • Difficulté pour communiquer verbalement les émotions ;
  • Discours répétitif ;
  • Production fantasmatique et onirique pauvre ;
  • Relations interpersonnelles marquées par une forte dépendance, généralement manifestée par une mise à distance.
Cela pourrait montrer comment des perturbations de l’expression des émotions ont un effet sur l’adaptation de l’individu à son milieu. En bref, l’alexithymie semble plus fréquente chez les individus plus âgés ainsi que chez ceux issus de milieux sociaux moins favorisés. En revanche, elle semble indépendante du niveau d’instruction. L’alexithymie est aussi corrélée négativement avec les scores de désidérabilité sociale et de personnalité narcissique.

Tout semble donc indiquer un lien entre le sexe féminin, le milieu social peu favorisé et l'apparence de ces troubles somatoformes d type "douleurs chroniques". L'absence de valeur donnée à l'expression émotionnelle, laquelle est même fortement découragée, amène alors certains patients à parler au travers de symptômes exprimés par leur corps, seul champ d'expression laissé libre par leur milieu.

La notion de milieu social peu favorisé n'est pas corrélé aux moyens financiers dont disposeraient ces milieux mais bien plus à l'aspect culturel. Dans certains milieux plus "frustres" marqués par des valeurs plus "rudes", tout ce qui a trait aux émotions semble relégué au rand de luxe ou de perte de temps. Dès lors, s'exprimer autrement que pour réclamer des attentions basiques (nourriture, soins médicaux ordinaires) relève de l'impossibilité. Qu'une personne dotée d'une grande sensibilité se trouve dans un tex contexte l'amènera à somatiser à défaut de pouvoir s'exprimer. La prise en charge psychologique se révélera aussi très difficile puisque dans ce type de milieux, la psychothérapie est assimilée à un luxe inutile réservé aux oisifs ou aux "fous". 


Ces troubles somatoformes confrontent le médecin à une impasse logique. Tandis que le patient oppose au médecin son vécu subjectif de symptomatologie physique sans jamais aborder sa vie intime, le médecin confronte le patient aux résultats concrets et mesurables des examens complémentaires. qu'il a prescrits Cette confrontation inévitable mais stérile renvoie chacun des deux partenaires dos à dos, égaux dans leur vécu d'impuissance, d'incompréhension, et d'irritation mutuelle. Le patient ne se sent pas "pris au sérieux" ou au mieux se sent "nomadisé" dans différents diagnostics tandis que le médecin doute de la validité des symptômes énoncés par le patient (avec le risque que cela comporte de passer du simple «elle exagère» au plus soupçonneux «il simule»).

Toutefois, il ne s'agit pas de sombrer dans le "psys" pour chaque douleur ou symptôme inexpliqué. Dans un article précédent, j'avais traité du cas d'une patiente dont la jambe avait été sauvée in extremis parce qu'un second médecin consulté par hasard avait su lire une radio présentant une tumeur tandis que le premier était persuadé qu'elle était victime d'un trouble somatoforme. et souhaitait la psychiatriser.

L'importance est donc de ne jamais sombrer dans la trop rapide explication psychosomatique bien commode et permettant au médecin de ne pas chercher trop loin. Les troubles somatoformes existent et sont passionnants à traiter pourvu qu'ils aient été correctement diagnostiqués.


Pour des plus amples renseignements sur ces troubles somatiformes, référez vous aux liens suivants :
Wikipedia
Bibliothèque psy
Revue Medhyg.ch
Pathol08