Ambassade de Lorraine !
Pendant des années, j'ai eu une idée fausse de la Lorraine. Pour moi, au mieux cette région allait de pair avec l'Alsace sous la forme de deux petites filles se tenant la main sous un monument aux morts vantant le sacrifice des Poilus de la Grande Guerre. Autant vous dire que j'en avais une vision un peu passéiste et funèbre.
Je savais que la région avait été riche mais l'Art Nouveau, son histoire riche et sa gastronomie avaient disparu pour faire place à une image issue des années soixante dix et quatre vingt comme si la crise de la sidérurgie avait finalement eu raison de tout le teste.
J'imaginais la Lorraine totalement sinistrée, comme une sorte de no man's land parsemé d'usines fermées dont les carcasses rongées de rouille se désagrégeant sous forme de rouille pulvérulente seraient le seul témoin d'une gloire disparue. Nichés à l'ombre de des squelettes industriels, j'imaginais de petits villages peuplés par tous ceux qui n'auraient pas eu la chance de partir ailleurs tenter leur chance et seraient restés vivant des maigres subsides de l'aide sociale, familles entières aux yeux vides et hagards avec des pères ayant le foie rongé par l'alcool, des mères aux mains rougies par les lessives et des enfants vêtus par Croix Rouge de pauvres hardes dépareillées.
Parfois, réveillé par en pleine nuit ces images hallucinées servant de toile de fond à un horrible cauchemar dans lequel des petits enfants lorrains phtisiques achevaient de mourir en crachant leurs poumons dans des corons sinistres, je me prenais à me dire qu'il faudrait que je fasse un chèque à SOS Enfants de Lorraine pour ne pas les laisser mourir de faim. Afin d'évacuer le spectre horrible de ces images atroces, je me surprenais à susurrer "aujourd'hui on n'a plus le droit ni d'avoir faim ni d'avoir froid" pour tenter de retrouver un sommeil apaisé. Bref pour moi, la Lorraine c'était un peu la misère du Chnord sans la bonhommie qui règne à Lille et avec en plus des températures sibériennes.
Et puis j'ai eu la chance de connaitre Laurence qui m'a permis de découvrir sa région en me la présentant sous un jour moins funeste. Un jour de bon matin, j'ai même débarqué à Nancy ne sachant pas trop à quoi m'attendre et j'ai été frappé par le beauté de la Place Stanislas et j'ai même pu constater que malgré une légère pointe d'accent, aucun lorrain ne parlait le dialecte guttural aux consonances allemandes que j'imaginais mais qu'ils étaient normaux et ... correctement nourris ! Moi qui avais préparé à tout hasard une poignée de piécettes que j'aurais jetée aux hordes d'enfants pieds nus, abandonnés et dénutris que j'imaginais me courant après, je me suis fait avoir parce que rien de tout cela n'est arrivé. Je n'ai vu que des gens normaux et non un remake du film Délivrance.
Mon appétence pour la recherche et mon goût pour la culture ont fait le reste et j'ai eu tôt fait de m'intéresser aux charmantes coutumes de cette belle région. C'est ainsi que je dois être l'un des seuls à avoir mentionné la croutonnade faouine, plat roboratif à base de pain sec, de saindoux et de gris de Toul, trop méconnu dont même Jean Pierre Pernault n'a jamais parlé malgré une avalanche de courriers envoyée par mes soins à la rédaction de TF1. Je crois aussi être l'un des seuls à avoir exhumé de l'oubli la briotine, cette charmante petite bottine fabriquée dans le nord de la Meurthe-et Moselle, en croute de cuir sur semelle caoutchoutée avec fermeture Éclair centrale et doublure en Damart qu'on affectionné toutes les personnes âgées avant qu'elle ne tombe dans l'oubli faute d'un marketing plus agressif. Quand on sait que c'est l'ancêtre de la Hug portée par toutes les fashionistas de la planète, avouez que c'est rageant ! Si le lorrain est bon technicien, en revanche il ne sait pas se vendre.
Tant et si bien qu'aujourd'hui, je dois être l'un des seuls franciliens à être allé à la fois en Meurthe-et-Moselle, en Moselle et même dans le Meuse. J'avoue ne pas connaitre le département des Vosges mais j'ai beaucoup lu et assimilé d'informations et je crois que je saurais conduire une schlitte sans aucun problèmes.
Toujours est-il que mes efforts ont du être récompensés parce que je crois être le psy qui possède la plus importante clientèle lorraine sur Paris ! Ma connaissance intime de la région, des conflits larvés qui y règnent, des expressions de langage que je parviens à comprendre font que les lorrains se sentent chez moi comme chez eux. Ainsi, la première qui poussa le pas de la porte de mon cabinet était une mosellanne à qui j'ai fait la grâce de ne pas confondre Metz, sa capitale, et Nancy, sachant très bien quelle haine anime le 57 et le 54 depuis 1871, conflit dont on parle bien trop peu d'ailleurs ! De toute manière à toutes fins utiles, je me suis mis au platt et au francique pour parler aux deux !
Comme elle fut satisfaite, elle m'envoya une amie mosellanne puis par le plus grand des hasards, c'est une meurthe et mosellanne que je reçus ensuite. Et enfin, dernièrement c'est un meusien, un gars du 55 qui a poussé ma porte. Ah la la, je revois encore ses yeux humides de reconnaissance lorsqu'il compris que je savais placer Saint Mihiel, Bar-le-Duc et Commercy sur une carte et que je connaissais la préfecture de son département.
Et je pense que s'il avait osé, il se serait jeté à mes pieds éperdu de reconnaissance, quand je lui ai parlé du transi, des madeleines et des croquets qu'affectionnaient tant le président Poincaré ! J'ai été incollable tout en restant d'une modestie qui aurait fait rougir une timide violette !
Mais je crois que mon plus beau coup fut réalisé, lorsqu'un de mes patients au demeurant fort sympathique m'expliqua qu'il était issu d'un mariage mixte, son père étant Alsacien et sa mère Lorraine. Là où un béotien n'aurait rien compris, ma connaissance intime de l'est m'a fait tôt fait saisir combien son histoire avait du être difficile car qu'on se le dise : les alsaciens et les lorrains ne s'aiment pas vraiment. D'ailleurs il est de notoriété publique que la petite lorraine et la petite alsacienne qui se donnaient la main sur les cartes postales de propagande durant la Grande guerre se détestaient et se crêpaient le chignon une fois le photographe parti en s'insultant copieusement !
Mais là, où j'ai séché mon patient - un peu comme j'avais scotché celui qui me parlait de FPS en imaginant que je ne serais qu'un vieux con incapable de parler de Counter Strike - c'est quand il m'a dit que sa mère était du 54. Benoîtement, il m'explique qu'elle est de Choloy-Menillot et que je ne connaitrai pas ! Et là, sur de moi je m'entends encore lui répondre : ah oui entre Toul et Foug près de Domgermain. Et là, je revois encore ses grands yeux ronds éberlués et je me suis dit que si j'avais été chef de secte, ce mec aurait tout plaqué pour me suivre en m'abandonnant tout son argent ! Une chose est sûre, la culture est importante dans mon métier dans la mesure où elle permettra de créer une meilleure alliance thérapeutique. Être doué en psychopathologie ne suffit pas, il faut s'intéresser sincèrement aux gens, à leurs vies, à ce qu'ils font et d'où ils viennent. Le partage il n'y a que cela de vrai et cela ne m'étonnerait pas que je sois béatifié de mon vivant, vous verrez !
Et comme le 6 décembre, c'était la Saint-Nicolas, la plupart de mes patients lorrains sont rentrés au pays parce que pour rien au monde ils n'auraient raté le défilé ! Nancy, Foug, Verdun, Commercy, Thionville ou encore Yutz, ils étaient tous au pays en famille parce que la tradition en Lorraine, on ne rigole pas avec. Tant et si bien qu'une fois revenus, ils m'ont tous ramenés des spécialités locales. Depuis quelques jours, j'ai mangé des madeleines de Commercy, du pain d'épice de Nancy, des minerais lorrains de chez Fresson à Metz et même des spritz, autant vous dire que ma connaissance de leur région leur fait si chaud au cœur que c'est une manière de me manifester leur reconnaissance. Ne manquaient plus que des babas au rhum au niveau des spécialités mais il parait que cela voyage mal et un service en Baccarat, en Daum ou en Saint-Louis, pour encore plus me combler mais le coût en est un peu prohibitif.
J'en profite donc pour les remercier de nouveau collectivement de leurs présents et les assurer que dans mon cabinet, outre un professionnalisme sans faille, ils trouveront aussi une écoute attentive capable d'adapter les thérapies cognitives et comportementales à la réalité lorraine.
Et bien que le 6 décembre soit loin, je leurs souhaite à tous une joyeuse Saint Nicolas !
14 Comments:
Je m'attendais à un truc sur les touloises...
Ah les touloises !!! Sacrées fumelles hein !!!
Oh, je ne résiste pas... Excellente la photo de l'alsacienne et de la Lorraine! Allez, bonne St. Nicolas!
si vous connaissez le papet aux poireaux, ainsi que la signification de la "panosse" je vous béatifierai illico, la lorraine c'est trop facile!
Remarquable acculturation, en effet.
Mais même si je peux entrer dans vos vues (un commerçant doit être aimable) j'ai quand même sursauté en vous voyant vous intéresser à la « Lorraine », un machin, et à Nancy (!!) alors que l'Alsace-Moselle ça oui, c'est quelque chose, le Reichsland quoi. Pour être plus précis, l'Alsace non plus ce n'est pas très intéressant, ya que des Schleus d'dans. En somme, la Moselle, c'est quelque chose, oui, c'est chez nous, et au sud d'Ars, sur la A31 commence la « France de l'intérieur » ... hum.
Cette fois, c'en est trop ! Lecteur régulier de ce blog, je publie mon premier commentaire : Je suis Mosellan. Les vrais Lorrains, c'est nous : Les gars du 5.7. Les 54 ne savent pas conduire et ce sont trop latins (indisciplinés, pas de fleurs sur les balcons, et tout ça...). La première fois que je suis allé dans le sud a Nancy, j'ai eu l'impression d'être en Italie. (D'aileurs c'est a Villerupt que sont les vrais Italiens et pas en Italie !) Les Vosgiens, ce sont un peu nos peuplades primitives. Ils vivent dans une sorte de réserve naturelle. Et les Meusiens, disons que depuis 1917, il ne peut plus se passer grand'chose chez eux... Ils sont encore sidérés. Donc Thionville-Yutz est le centre, l'âme de la Lotharingie(Metz, c'est un peu la grande ville, des gens biens habillés qui font des manière...). Bon je dis tout ça, mais je suis moi même métis : Sang Vosgien, Meusien et du 5.4. Born in the 5.7. J'ajoute a l'intention de Tcholia que j'ai passé la panosse ce week end dans ma cuisine, et pour finir, je signale que je suis formé en TCC, que je joue de la basse électrique, et que j'ai quitté la fonction publique française car je n'en pouvais plus de... du Rien. J'ai bon ? Je peux rester ?
Je vous laisse en débattre moi comme vous le savez, je ne suis qu'un petit commerçant qui ne peut pas prendre partie :) Laurence qui vient de Nancy m'a souvent expliqué qu'un gars du 57, c'est le même que celui du 55 mais qui espère encore être autre chose qu'un plouc et que de toute manière l'art était dans le 54. Mais, je la laisse libre de ses propos !
Pauvre Laurence, obligée de vivre dans le déni ... mais c'est normal pour une nancéenne.
@ Step : votre point de vue est sympathique, parce qu'honnêtement excessif et réellement mosellan. Pour ma part j'ajouterai la Fensch.
Comme dit toujours Laurence : "le jour où ces crétins de mosellans seront capables d'avoir une place comme notre Place Stanislas, je voudrai bien les considérer comme nos égaux mais cela ne risque pas d'arriver". Euh, moi je ne fais que retranscrire, je ne veux pas mettre d'huile sur le feux ! :))
(M. Philippe, c'est pour cela que ce sont de grands malades : ce qu'ils peuvent aimer de leur ville, c'est 500 m2 à la louche, le reste est moche à pleurer ; et leur "art", depuis que l'Art Nouveau (des fleurettes!!) est vieux, c'est des zozos tout tristes qui font des "performances" ... en fumant des trucs pas bons ... Mais n'allez pas lui répéter, ça ne peut pas l'aider.
Un Messin de Normandie)
euh vous voulez que l'on parle de l'horrible Centre Georges Pompidou de Metz ? quelques flocons de neige et il menace de s'écrouler mouahaha !! quand les allemands ne sont pas là pour aider les Messins à construire, rien ne tient ;)
(bon, touché, on a quelques soucis avec la toile)
Parce que votre Zénith, construit en béton par les Français, il est beau peut-être ? ...
le Zénith de Nancy est immonde (on s'en fout, il est caché dans les hauteurs de Nancy) mais il tient debout ;)
Tout Nancy tient debout ... ;)
Enregistrer un commentaire
<< Home