Le jour où j'ai cessé d'être un brave con !
Bref, j'étais une sorte de gros puceau de la vie, un gentil fils à papa, qui avait pour tout viatique que ses bonnes manières, sa gentillesse et le fait de penser que si on est gentil avec les gens, on les aide mais qu'en plus ils seront gentils avec vous. Je devais avoir 29/30 ans et en tant que psy, si je me sentais complet au niveau des connaissances, humainement j'étais un trou du cul de première, gavé de belles paroles, une sorte de dame de charité du second empire version mec.
Je n'eus aucun problème avec les premiers patients, tous étant de braves gens ne posant pas de problèmes. J'agissais comme un médecin de campagne tels qu'on les retrouve dans les ouvrages servant à l'édification morale des jeunes filles de bonne famille, ces braves médecins qui sortent même la nuit par temps de neige en acceptant d'être payé en œufs et en lapins. Je ne comptais ni mon temps, ni ma patience et j'avais la certitude que ma grande gentillesse était le gage d'une thérapie réussie. Puis, j'eus rendez-vous avec D.
D. était le prototype du sale con. Envoyé pour des problèmes d'alcool, il ne les reconnaissait que du bout des lèvres. Son problème c'était de toujours vouloir négocier avec le réel. Qu'il s'agisse du travail, monsieur vivant aux crochets de madame, de l'alcool, monsieur buvant comme un trou, etc., D. aurait voulu continuer à avoir de mauvais comportements sans en encourir les conséquences. D. était venu me voir sur l'insistance de son médecin. Très tôt je m'étais rendu compte de cela chez D. et à défaut de lui envoyer ses quatre vérités à la face, j'aurais simplement pu lui indiquer qu'il n'était pas prêt à entreprendre une thérapie.
En fait D. venait me voir pour que son médecin et sa femme lui foutent la paix. Un peu comme un type que la justice m'enverrait et à qui cela vaudrait les faveurs du juge en correctionnelle, D. n'avait aucune envie de faire une thérapie. Il venait là comme aujourd'hui les conducteurs vont à un stage de récupération de points pour leur permis : ils écoutent sagement, s'en branlent totalement de ce qu'on peut leur dire, l'intérêt étant de récupérer les précieux points.
Moi à l'époque, en plus d'être un garçon gentil et un peu bête, j'étais professionnellement un gros needy, un de ces psys qui viennent de s'installer, trop idéalistes et dont le nombre de patients est trop faible pour qu'ils s'imaginent en refuser. Alors j'ai accepté cette curieuse relation thérapeutique. Je suis entré dans un jeu stérile avec D. au cours duquel je tentais d'être le gentil psy aidant tandis qu'il se foutait ouvertement de ma gueule.
Le fait qu'il se foute de ma gueule ne m'avait pas échappé mais je mettais cela sur le compte de "résistances" de sa part parce que j'avais à cœur de psychologiser comme un gros gland que j'étais. Je tentais de le ramener à la thérapie mais je voyais qu'il me parlait de ce qu'il voulait en se moquant ouvertement de mes remarques.
Le pire avait été que dès le départ il avait négocié mes honoraires d'une manière drastique. Plutôt que de lui opposer un refus, j'avais accepté en pensant qu'il valait mieux 50% d'honoraires que rien du tout. Ce qui était une erreur manifeste parce que ce type n'avait aucun problème d'argent comme je l'appris par la suite quand il m'expliqua qu'il était soucieux à propos de son portefeuille d'actions estimé à environ trois millions de francs. Et moi comme un âne j'étais là, payé une misère, tandis que ce gros con me parlait de ses avoirs.
Comme monsieur le Comte dont je parlais précédemment, je ne maitrisais plus la relation, passant du psy aidant au rôle de laquais sous-payé qu'on instrumentalise pour prouver à son entourage qu'on consulte et qu'on fait des efforts alors qu'en fait on veut continuer à n'en faire qu'à sa tête.
J'avais beau me trouver toutes les excuses, je savais bien au fond de moi que jamais je n'aurais du tolérer ce genre de relation thérapeutique. Mais me disant qu'un mauvais patient était mieux que pas du tout, j'ai persisté durant plusieurs mois à recevoir cet abruti. Nous avions rendez-vous tous les mercredis matins à onze heures.
Deux fois de suite, alors que les rendez-vous étaient pris à l'avance, il n'est pas venu. Puis il a réapparu en m'expliquant qu'il était parti en vacances deux semaines. Je lui ai dit qu'il aurait pu me prévenir et il m'a répondu qu'il n'avait pas emmené mon numéro. Comme je lui expliquais que j'étais dans l'annuaire, il me répondit qu'il n'avait pas essayé de peur de se tromper de personne. Et comme je lui expliquais que cela m'aurait étonné qu'on soit deux à porter le même nom et à pratiquer la même profession dans le même immeuble, il éluda mes arguments pour me parler de lui comme si le fait d'avoir raté deux rendez-vous était chose négligeable.
Et moi comme un âne, comme un brave garçon qui vient de se faire congédier j'ai commencé à l'écouter d'une oreille distraite. Mais une petite voix au fond de moi me murmurait que mon attitude n'était plus de la gentillesse mais qu'elle était de la faiblesse voire du n'importe quoi. Je regardais ce type en face de moi et je ressentais une haine intense pour lui. Alors que je n'avais aucune raison de lui en vouloir puisqu'il avait simplement trouvé le terrain propice où manifester son sans-gène et sa mauvaise éducation !
Je ruminais encore et encore, me demandant ce que je fichais là et si c'était la manière dont j'avais envisagé mon boulot. Parce qu'en plus comme tous les nice guy, j'évitais le conflit sur le moment mais j'en payais la facture une fois rentré chez moi en me disant que je n'avais pas été gentil mais simplement le roi des cons par peur du conflit. A la fin de l'entretien, n'en pouvant plus, ma décision était prise.
C'est ainsi que lorsqu'il me fit mon chèque, je lui rendis en lui disant qu'il manquait le paiement des deux séances qu'il avait ratées. Comme il me faisait finement observer qu'il n'était pas venu, je lui répondis que moi j'étais venu et que toute séance non décommandée avant vingt-quatre heures était due. Comme je m'y attendais, il refusa de me payer et je pris son chèque en lui disant qu'il pourrait se trouver un autre thérapeute. Il se leva, me sortit je ne sais plus quels reproches pour la forme et s'en alla. Je me sentis immédiatement libéré, avec la nette impression d'avoir réussi à gravir l'Everest, persuadé que j'avais réussi à être méchant alors qu'en fait je n'avais été que ferme et surtout juste.
Cette petite expérience qui pourrait prêter à sourire tant elle semble anodine et carrément coconne fut pour moi le point de départ d'un changement en profondeur.
D'une part, je n'ai plus jamais accepté qu'on remette en cause mes honoraires. De la même manière que mes chers patients ont une très nette notion de leur propre valeur quand il s'agit d'aller négocier leur salaire, je connais la mienne. Et accepter d'abaisser mes honoraires c'est donner à l'autre la possibilité d'accorder moins de valeur à mon travail. S'il m'arrive encore de le faire, c'est de manière rare et limitée dans le temps et en lien avec une situation particulière que j'apprécie au cas par cas. Il me sera toujours plus facile de le faire avec un patient venant du blog qu'avec un parfait étranger envoyé par un médecin. Ne me demandez pas pourquoi, c'est comme ça !
Quant à la manière dont se déroulent les séances, je garde toujours le contrôle. Je me souviens ainsi d'une comédienne un peu connue que j'avais reçue et à qui j'ai du expliquer que la seule star dans ce cabinet c'était moi et uniquement moi. De la même manière, même s'ils restent rares, je sanctionne immédiatement les comportements que j'estime manquer de courtoisie. En cas de problèmes, je peux négocier et tenter de comprendre mais il est hors de question que je devienne le nice guy, le brave mec qu'on paye et avec qui on se comporterait n'importe comment.
C'est ainsi que j'ai viré sept personnes de mon cabinet manu militari. J'en connais le nombre exact et je me souviens encore de leurs noms. La première, car c'était une femme, était directrice générale d'une assez importante société de mode. A un moment, elle avait commencé à prendre l’habitude de me parler comme à son petit personnel et je lui ai fait remarquer. Et comme elle persistait, je lui ai demandé de partir immédiatement ou plutôt de "prendre ses cliques et ses claques et de dégager sur le champ". Comme elle me disait que jamais personne ne lui avait parlé comme cela et qu'elle me ferait une contre-publicité terrible je lui ai répondu qu'il y avait une première fois à tout et que je la pensais trop intelligente pour ne pas reconnaitre ses torts et qu'en ce cas elle serait de nouveau la bienvenue. Elle est revenue deux mois après en présentant des excuses.
La dernière personne que j'ai virée était aussi une femme pour des motifs similaires. Alors qu'elle me parlait, j'ai eu l'impression de devenir un petit garçon tancé par maman. J'ai immédiatement inversé la vapeur en lui demandant ce qui se passait et ou elle s'imaginait être avant de la virer proprement. Non que j'en veuille aux femmes particulièrement mais que comme elles composent les deux tiers de ma clientèle, statistiquement il y a plus de chances que je congédie une femme qu'un homme. De plus, quatre-vingt pour cent des femmes que je reçois sont dotées comme aurait dit ce brave Jung d'un fort animus positif et je suis parfois obligé de faire péter la testostérone pour contrer leurs prises de pouvoir intempestives.
Bref loin d'en vouloir à l'odieux D. je lui suis reconnaissant de m'avoir mis en face d'un problème, celui d'être trop gentil, d'être une sorte de nice guy à la sauce psy. Finalement si j'ai continué à beaucoup endurer des gens c'est que je sens parfois que c'est la bonne voie pour obtenir des progrès. En revanche les comportements discourtois totalement gratuits ne sont plus tolérés.
En bref, à l'instar d'un château-fort, je maintiens le pont-levis baissé et les gens sont les bienvenus mais le donjon restera imprenable.
Sans doute que le fait d'avoir suffisamment de patients et de devoir en refuser maintenant m'a aussi permis d'être moins needy. En amour comme en affaires, quand on rame et qu'on ne bouffe pas à sa faim, on se dit que faute de grives on mangera du merle. Et puis quand l'abondance arrive, on se met à être plus difficile.
Finalement la base du respect, c'est de se respecter soi-même et de ne pas se galvauder et c'est plus facile quand tous les indicateurs vous prouvent votre valeur. Définir sa propre valeur ex nihilo reste difficile et en tout cas cela se travaille à l'extérieur mais pas dans le cabinet d'un psy.
Finalement, à moins d'avoir une chance insolente, d'être né beau comme un dieu et d'avoir des dons hors du commun qui font qu'on nous aurait ressassé durant toute notre enfance combien nous sommes merveilleux, la situation de needy est notre lot commun à nous les humbles et les médiocres.
8 Comments:
Je me trompe, ou bien ce type aurait pu aussi être diagnostiqué comme pervers narcissique ?
le nice guy, le brave mec qu'on paye et avec qui on se comporterait n'importe comment.
Merci de ne pas confondre un nice guy et une prostituée, que je sache, ce n'est pas la même chose.
"Finalement la base du respect, c'est de se respecter soi-même et de ne pas se galvauder"
Absolument!
Oups...
Bon ben j'ai eu ce que j'espérais, plus tôt que je ne pensais...
Et je ne peux qu'être d'accord avec la conclusion...
Je crois que tous les psys ont eu affaire à un moment ou à un autre à ce genre de situations,le cadre,les limites et la maîtrise du contre transfert sont à la base du métier! En tout cas,c'est très bien rapporté...
L'occasion de créer un club de needy unanimes, Philippe !
:o)
D. m'a beaucoup amusé. Plaisante lecture, quant à votre conclusion je suis d'accord avec vous !
Une question me taraude: pourquoi les bad boy sont souvent appelé D. ?
Merci pour ce témoignage... jeune psychothérapeute je pensais être la seule à être trop gentille ! Je vais donc faire autrement ..
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