Oh le vilain manipulateur !
Si on le croit lui, on vous croira vous aussi.
Le mercredi avant Noël, on ne me jette à bas de mon lit pour m'avertir que X vient d'être admis aux urgences d'un hôpital proche de chez moi suite à une chute sans gravité mais dans un état de confusion mentale un peu étonnant. J'écoute la personne qui m'avertit m'expliquer ce qui est arrivé et j'en déduis que ce n'est pas très grave. En fait X a abusé du zolpidem pour pioncer un peu comme d'autres abusent du gros rouge et s'est pris les pieds dans le tapis en se levant d'ou la chute.
De plus, un ami médecin est passé juste avant chez X et n'a constaté aucun signe neurologique inquiétant. Comme on dit, il y a plus de peur que de mal. Rassuré, je me prépare et file à l'hôpital pour savoir quand X pourra sortir.
Une fois à l’hôpital, je passe successivement des admissions aux urgences avant de filer à l'IRM où X est en train de se faire prendre l'intérieur du cerveau en photo. Je patiente et je peux enfin voir X qui me semble tout à fait bien et même prendre cela à la rigolade. X m'explique d'ailleurs que si on lui trouve un taxi, il est prêt à rentrer chez lui. Je suis donc obligé de lui faire comprendre que dans un hosto cela ne se passe pas comme au restau et qu'on doit bouffer le menu du début à la fin. Je rajoute un peu énervé que j'ai d'autres choses à faire dans la vie que de venir aux urgences pour des conneries et que quand il a mal à la tête, le doliprane est plus indiqué que le Zolpidem qui est un hypnotique et non un antalgique. J'en profite pour le traiter de sale drogué avant qu'un brancardier qui a le physique d'Omar Sy et les mêmes dents blanches ne remonte X aux urgences.
Je retourne donc moi aussi aux urgences où je pénètre dans un petit bureau dans lequel sont assises quatre femmes et un homme vêtus de jolies tenues de couleur fuchsia comme si cette couleur gaie pouvait faire oublier qu'on est dans un hopital. Peut-être que l'administration pénitentiaire pourrait songer à habiller les matons en rose pour rendre l'incarcération plus supportable ?
Quoiqu'il en soit, je salue ce beau monde, je me présente poliment et j'explique que je voudrais parler au médecin qui a reçu X. C'est alors qu'une blonde âgée tout au plus d'une toute petite trentaine d'années aussi rigide qu'un sergent instructeur des marines se lève, me prend par le bras et m'entraine dans le couloir. Elle se plante devant moi et me dit alors d'une voix martale : je suis le docteur.
Putain, c'est mal parti ! Pour qu'elle se présente ainsi c'est que soit elle n'a qu'une clientèle de boeufs soit qu'elle m'a particulièrement identifié comme le pire des gros bourrins. Parce que je vous assure que j'aurais compris le terme médecin si elle l'avait employé. Mais non, elle m'a expliqué qu'elle était le docteur comme on le dirai à un enfant très jeune en lui désignant un personnage avec une croix rouge sur le torse.
Je me dis que j'aurais du mettre un costume, ma paire de Berlutti et ma Rolex parce que les signes extérieurs de richesse agissent toujours sur les gens. Mais là, je suis venu rapidement en Visa (si c'est possible), vêtu comme un sac avec ma montre à dix euros achetée sous les arcades du BHV à Paris. Autant vous dire, que si on ne fixe pas mon regard hypra lumineux qui donne une idée de ma haute intelligence, on a toutes les chances de me prendre pour le dernier des toquards. En psychologie sociale, c'est comme cela, contrairement à ce que dit l'adage : l'habit fait le moine ! Si vous êtes loqué comme une cloche, on a toutes les chances de vous prendre pour un SDF.
Mais comme je suis un peu d'un naturel joueur et que je possède quelques connaissances qu'elle n'a sans doute pas, je décide de m'amuser un peu en lui répondant : je suppose que vous êtes docteur en médecine si j'en juge par le stéthoscope que vous avez autour du cou comme dans les séries américaines et par le fait que l'on soit dans un hôpital ? Et là, elle me répond qu'évidemment elle est docteur en médecine. Ce à quoi je lui réponds qu'elle aurait pu être docteur en chimie, physique voire en histoire de l'art parce que des doctorats il y en a de toutes sortes. Ma blague ne la fait pas rire bien au contraire, je la sens qui se renfrogne comme si le venait de prendre conscience que je suis moins boeuf que j'en ai l'air mais qu'en revanche j'ai tout du casse-couilles qui va lui faire perdre sont temps. Alors je passe au fond du problème en lui demandant quand X pourra sortir.
Et là, mon Dieu c'est comme si j'avais posé mon petit doigt innocent pour mettre en branle une machinerie infernale. Tout se met en marche, la procédure s'engage, les croix sont cochées une à une et après un quart de seconde de réflexion, elle me répond que cela dépendra de l'IRM. Je la rassure et lui dis que je comprends mais je précise alors : si l'IRM est parfait ce qui ne manquera pas d'être le cas à 99,99%, quand X pourra-t-il sortir ? Peine perdue, le sergent instructeur m'observe comme on regarderait un étron dans un endroit où il ne devrait pas y avoir d'étron, avec un air aussi dégoûte qu'étonné donc, et me répond : je viens de vous le dire, ce sera selon les résultats de l'IRM.
Et comme lapsycho est tout de même ma partie et que j'ai lu des tas de trucs sur la psychologie de la manipulation et de la soumission, je décide de m'en servir. Comme elle n'est pas très grande, je me redresse de toute ma taille, plante mes yeux dans les siens et lui demande calmement : Madame est ce que dans mes phrase, il y a un mot que vous ne comprendriez pas pour vous obstiner à me répondre la même chose alors que je vous ai posé une question différente ? Vous noterez l'importance de ne pas lui donner son titre dont elle a fait grand cas afin de ne pas s'inscrire dans un rapport de soumission.
Ne lui laissant pas le temps de répondre, je lui explique alors que si effectivement l'IRM est mauvais avec un tas de trucs graves, dans ce cas, je comprends parfaitement qu'on ne puisse savoir quand X sortira. Parce que, lui dis-je, on peut alors imaginer qu'il faudra appeler de toute urgence un neurochirurgien voire même un hélico pour emmener X dans un autre hôpital avec un plateau technique plus performant, voire même que X peut calancher rapidement si cela se trouve. Mais, je ne suis pas ici pour écrire un scénario parce que mon temps est aussi précieux que le votre, mais pour savoir quand, en cas d'IRM ne montrant aucun problème, X sortira-t-il ?
Oh la, l'électrochoc agit et mémère est décontenancée mais pas tout à fait. Je lui repose alors la question sur un ton qu'on emploierait avec un gamin pas très doué, c'est à dire calmement et en articulant bien : Si l'IRM est bon, quand X peut-il sortir ? Et là elle me répond enfin : ben dans une demie heure. Et moi je rajoute : vous voyez quand vous voulez que vous pouvez répondre. Ce à quoi elle rétorque que bien sur cela dépendra de l'IRM et que tant qu'elle ne l'a pas vu, elle ne peut pas savoir. Je le sens décontenancée et elle m'a dit cela comme si elle voulait tout de même mettre sa petite goutte d'urine sur mon tapis pour marquer son territoire et ne pas perdre totalement la face. Avec un côté paternaliste, je lui dis de ne pas s'inquiéter parce que l'IRM ne présentera rien de grave.
D'un geste bref, je lui touche alors le coude parce que le contact est toujours important même bref, tous les escrocs le savent. Et d'une voix plus calme je lui explique que je sais combien son métier est compliqué et difficile mais que je suis logé à la même enseigne qu'elle. Je la sens intéressée par mon discours puisque je la reconnais dans sa réalité. Je poursuis alors en lui disant que j'ai du annuler tous mes patients de la matinée pour être ici et que je veux juste savoir si je dois annuler tous mes rendez-vous de la journée pour m'organiser.
Au mot patient, elle réagit encore plus parce que je viens sans doute de créer un lien qui amène entre nous une forme de similarité. En souriant enfin, elle me demande ce que je fais et évasivement, je lui réponds « psy » un peu comme si entre confrères on connaissait tellement la boutique que l'abréviation suffit. Pour elle, un type lui parlant sur ce ton et ayant un peu jargonné ne peut être que médecin et donc psychiatre et non simple psychologue.
Et la voici changée enfin, toute souriante et prête à me parler comme si j'avais un cerveau. Elle me parle alors de l'intoxication au zolpidem de X et je peux la rassurer en lui expliquant l'histoire. J'y mets le ton, en restant à la fois concentré et un peu blasé comme si ces histoires là étaient mon quotidien. Je rajoute un sourire bienveillant qui veut dire : vous savez, vous connaissez les patients ils font n'importe quoi parce qu'ils ne sont pas comme nous, aussi intelligents, que voulez vous, ils ne sont pas médecins, ce sont de simples humains. Un peu plus et j'aurais rajouté un coup de coude à mon sourire et de connivence et un clien d'oeil pour m'en faire une vraie copine.
Rassurée, elle me plante alors là et me dit qu'elle va hâter la procédure. Elle file donc dans son bureau, appelle l'imagerie médicale et me dit de patienter un peu dans le couloir. Quelques minutes après, elle a enfin en main l'IRM de X qu'elle me confie en me disant qu'effectivement il n'y a rien. Comme je n'ai pas trop envie d'examiner un document auquel je ne comprends rien, je me borne à lui dire que je m'en doutais parce qu'il n'y avait aucun signe neurologique inquiétant.
Mais en bonne élève consciencieuse, ma nouvelle copine n'en démord pas et exige l'avis du confrère que je suis devenu depuis dix minutes. Elle me donne alors l'IRM en m'expliquant que pour elle il n'y a rien mais qu'elle préfère que je le regarde moi-même. C'est alors que votre serviteur, le pilote de Visa Club, humble parmi les humbles, se retrouve avec l'IRM en main pour le regarder. Si je trouve facile de le tenir droit parce qu'il y a un texte et qu'il suffit de mettre les lettres dans le bon sens, j'avoue que je me trouve un peu sec du côté des commentaires à faire.
Bon, à première vue, c'est une coupe de cerveau, on ne peut pas se tromper. Je me dis cela dès fois que ma nouvelle copine m'ait refilé l'IRM d'un autre organe pour me tester. Mais de toute manière elle n'est pas assez maligne. Je tends alors les bras et met l'IRM face à la fenêtre pour mieux voir. Je plisse un peu les yeux en faisant ce que j'imagine être la tête d'un mec sérieux qui materait un IRM en sachant le comprendre, je me fends d'un petit « hmmm » qui est sensé exprimer que je suis en train de réfléchir très sérieusement et je donne mon verdict.
Alors pour le verdict, déjà je vois que l'image est claire et je pense que c'est bon signe. N'oublions jamais l'intuition dans le cadre du bon diagnostic ! Et mon intuition est excellente et je crois que le cerveau de X n'a rien parce que l'image est super claire, on voit toutes les circonlocutions et je peux même reconnaître quelques morceaux vu qu'en cours on a eu un peu de neurophysologie. Pour le reste, ayant vu la série Dr House, je me dis que je ne suis pas plus idiot que Hugh Laurie, et je me fends d'un commentaire murmuré, comme si je pensais tout haut : moui, pas de saignements, pas d'hématomes sous-duraux, tout me semble parfait je suis d'accord avec vous. Et impérial mais souriant, je lui rends alors son cliché pour qu'elle le mette dans un beau dossier comme le veut la procédure alors que moi je l'aurais mis sur une pile sur mon bureau en l'oubliant parce que je ne suis pas très procédural.
Et de nouveau je lui demande gentiment : alors il sort bientôt ? Elle m'assure que oui et me dit qu'elle se charge de tout, que X sera ramené en ambulance et tout et tout. Je lui serre chaleureusement la main en la remerciant. Elle est devenue très souriante et on sent que cela lui a fait plaisir de discuter avec un confrère parisien. Un peu plus et on se ferait la bise. Dans le bureau les IDE me saluent aussi chaleureusement et je quitte la pièce.
Je me rends ensuite au chevet de X pour lui annoncer qu'il sera dehors dans une demie-heure et chez lui dans une heure au plus. Je lui explique que si on lui dit que je suis un bon psychiatre, il ne doit pas ouvrir de grands yeux ronds comme s'il venait de constater que j'ai pu faire onze années de médecine en une nuit mais simplement répondre que je suis très gentil. Comme X a bien récupéré, il rigole et me dit qu'il jouera au gentil petit vieux qui ne comprend pas tout mais qui me trouve très gentil et très intelligent. Je le salue et lui dis que je vais au boulot parce que j'ai autre chose dans ma vie que de traîner aux urgences.
Dans les faits, ce jeune médecin hyper contrôlant m'a offert une autoroute pour la manipuler un peu et abréger mon passage aux urgences. En se tenant droite et en jouant son rôle de chef avec application, elle m'a juste fourni des informations sur sa manière de fonctionner assez simpliste. A l'instar des flics et des militaires, l'autorité marche toujours dans les deux sens.
Tous ceux qui ont fait leur service militaire se souviennent d'un abruti de sergent-chef instructeur vous gueulant dessus et vous traitant comme de la merde mais se montrant d'une servilité étonnante dès qu'un adjudant passait à côté de lui. Alors là, pour un galon de plus, fini le matamore, le redoutable chef se muait en vermisseau minable.
C'est le problème du contrôlant et de l'adhésion à un système autoritaire : il fonctionne de haut en bas et dans les deux sens. On trouve toujours moins chef que soi mais aussi toujours plus chef que soi ; c'est le classique de tous les films dans lesquels le chef de la police engueule le commissaire divisionnaire parce que le ministre vient de lui gueuler dessus. Dans mon cas, j'ai eu affaire à un médecin ayant jugé d'après ma mise minable de clodo que j'étais moins chef qu'elle, autant vous dire qu'elle m'a pris pour un trou du cul à qui on dit de s'asseoir et d'attendre que ceux qui sont plus intelligents que lui dispose de son temps. Il ne me restait plus qu'à incarner plus chef qu'elle.
Pour cela je n'avais qu'à puiser dans mes connaissances en psychologie sociale, dans ma capacité à profiler les gens ce qui me donne souvent un coup d'avance voire plus sur eux, même si dire cela me fait passer pour un putain de narcissique que je ne suis pas. Et zou, le tour était joué.
C'est un des six points d'entrée pour manipuler les gens que relève robert Cialdini dans son ouvrage Influence et manipulation. A chacun des points observés correspond une stratégie à mettre en œuvre pour manipuler l’individu en face de vous. Forte de l'autorité que ses fonctions lui donnaient, ce jeune médecin s'est inscrite elle même dans un comportement calquant parfaitement avec le système pyramidal que l'on nous impose dès notre plus jeune âge en oubliant que l'on trouve finalement toujours plus chef que soit. Dès lors, il n'est pas nécessaire de développer ce qu'est réellement l'autorité puisque finalement le système fonctionne uniquement sur la simple apparence de l'autorité. Il suffit qu'un con en uniforme vous siffle pour que vous vous arrêtiez, vous verrez ça marche dans toutes les caméras cachées.
Pour en savoir plus sur tout cela, inutile d'espérer que je vous éclaire car il vous suffira de lire l'ouvrage en question. Non mais, si vous pensiez que j'allais vous mâcher le travail, vous aviez tort.
Bon et bien sur, mais pourquoi le préciser, les connaissances ne sont pas tout. Et ceux qui m'ont vu en chair et en os le savent bien, ma prestance naturelle m'a beaucoup aidée. Et vous disant cela, sachant que je rougis comme une jeune fille à qui l'on dirait pour la première fois qu'elle a une belle poitrine.
6 Comments:
http://www.culturepub.fr/videos/citroen-visa-gti-le-porte-avion-clemenceau
hahahaha..j'adore !
à propos de la video : C'est Philippe qui conduit la Visa (avec les aviator de son ami Gringeot), qu'on reconnaît brièvement avec son casque et ses lunettes de pilote.
Ça faisait bien longtemps que je n'avais pas autant rigolé en lisant ton blog. Vraiment excellent (et instructif)!
oui oui, et instructif, et instructif...Gloire à notre grand et magnanime Philippe-psy !
Sinon tu as d'autres références d'ouvrages de ce genre...?
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