04 mai, 2012

Du simulateur au lâcher en vol !


Voici que la semaine passée, l'un de mes patients, jeune gentilhomme tourangeau aux forts belles manières et à la culture certaine, arrive dépité dans mon cabinet, l'oeil terne et l'oreille tombante comme un chiot pris à pisser sur la moquette qu'on aurait fichu dehors et qui vous regarderait par la fenêtre ! La tristesse semble sourdre de lui mais le connaissant je me doute que l'origine de ce malheur n'est sans doute pas très grave.

Il y a comme cela des gens chez qui l'hypersensibilité génère des réactions émotionnelles totalement disproportionnées au regard du traumatisme qu'ils ont vécu. On les croirait victime d'un drame terrible, on s'imagine déjà que toute leur famille a péri dans un accident de voiture ou dans l'incendie de leur logement, et on s'aperçoit bien vite qu'il ne s'est pas passé grand chose; Mais attention à prendre des gants et à ne pas leur dire sous peine de les voir se figer sous l'outrage comme si c'était un crime de lèse-majesté de ne pas apporter plus d'importance qu'ils n'en ont à leurs menus tracas. 

Tandis que leur intelligence les amène évidemment à relativiser le "coup du sort" qui les frappe, leurs émotions en font de vrais petits garçons qui n'ont de cesse que de réclamer qu'on leur donne absolument toute l'attention qu'ils réclament comme ces bambins qui font des caprices et se roulent dans l'allée du supermarché parce que maman n'a pas voulu cette fois-ci leur acheter leurs friandises favorites. Alors gare à moi si, bien qu'ayant deviné l’aspect mineur du traumatisme qui les accable, je me prenais à sourire en les accueillant. Les voici alors que soudainement débarrassés de toute leur tristesse, ils deviendraient agressifs n'hésitant pas à me traiter de mauvais psy, voire de salaud parce qu'il est entendu que pour eux, je suis payé pour être forcément d'accord et pour ne jamais relativiser ce qui arrive. Ceci dit je crois avoir été moi aussi comme cela alors ils m'amusent bien plus qu'ils ne m'agacent.

Lorsque ce patient m'expliqua ce qui était arrivé, il se trouve qu'il s'agissait juste d'une histoire lambda et commune pour laquelle un sujet plus équilibré aurait certes conçu un peu d'agacement sans pour autant se mettre dans des états pareils. Il se trouve simplement qu'après avoir harponné quelque créature sur une messagerie de rencontres, mon cher patient n'a pas validé lors du rendez-vous. Tandis que tout semblait bien parti, voici qu'une fois face à la demoiselle, il perdit tous ses moyens pour se retrouver comme un adolescent tout juste pubère se demandant à quel moment il doit embrasser la gamine qu'il tient dans les bras. 

Beau parleur maniant parfaitement le verbe, pilote émérite sur le simulateur de vie qu'est une messagerie de rencontres, capable de boucles, de tonneaux et de barriques, passant du double Immelman au huit cubain en un tournemain, mon cher patient eut donc tôt vite fait de persuader la belle venue faire son marché sur Adopteunmec qu'il était la promotion du siècle, le mec parfait, beau gentil et brillant à mettre rapidement dans le caddie sous peine de rater une belle occasion. 

Sauf qu'une fois en face de la donzelle, tel un pilote amateur ayant tout juste son BB en poche, voici que mon cher patient se rendit compte que du virtuel au réel, il y a un pas conséquent à franchir. Ainsi, si sur Flight Simulator, faire le con en Cessna en passant sous des ponts ou en prenant des virages serrés autour de buildings, ne pose pas de problèmes, dans la réalité il en irait autrement. C'est exactement la même chose pour une messagerie ou n'importe qui n'a rien à redouter d'une galerie de photos mises par la belle d'autant plus qu'il jouit de tout le temps nécessaire pour peaufiner et ciseler des mails pleins d'esprit.

Face à la personne, les émotions reprennent le dessus. La fille s'anime, sourit ou non et surtout vous regarde, vous observe et le risque est grand de vous dire qu'elle est en train de vous classer, de vous juger pour savoir si elle devra poursuivre ou bien prétexter n'importe quoi pour ne plus jamais vous revoir en ayant au moins la politesse après s'être levée et vous avoir fait la bise de vous dire "c'était sympa, on s'appelle ?". 

Là effectivement pour toute personne un peu fragile narcissiquement, c'est la claque assurée. Le naturel se trouve parasité par les questions que l'on se pose sans cesse et c'est cuit. Il faut dire que si l'on se sent peu sur de soi, le fait de passer du simulateur à la pratique sans préparer un peu sa mission, revient à surcharger son appareil d'un poids supplémentaire celui de son gros et parfois très gros complexe d'infériorité : après un décollage pénible, ce sera le décrochage assuré alors qu'on est encore trop près du sol. 

Passer pour un con quand la personne a déjà eu la preuve de vos qualités est déjà assez pénible alors imaginez la même chose tandis qu'on en vous connait pas encore. On manque alors de l'altitude nécessaire pour rendre le manche et rattraper le décrochage et amorcer une ressource. La terre arrive à toute vitesse et c'est mort. Si le BEA enquêtait, il conclurait après analyse que l'appareil était en bon état mais que le pilote manquait de l'expérience nécessaire pour ce type de vol.

Bref, avant d'être sur de pouvoir "choper" la belle fille de vos rêves, il ne suffit pas de l'avoir impressionnée sur le net, ou vous n'avez validé que le théorique, c'est ensuite dans la vie réelle que tout se passera. Faites d'abord quelques tours de pistes, des petits voyages, prenez de l'assurance et n'oubliez pas que dans la vraie vie, les double immelmans sont plus compliqués à réaliser que planqués devant votre ordinateur où tout ou presque est permis.

Et dites vous que si le départ, s'il n'est pas défendu de savoir se vendre, s'il y a dans votre description (âge, poids, taille, études, etc.) le moindre mensonge éhonté, c'est que réside en vous un gros complexe d'infériorité. Alors si vous vous avisiez de décoller avec ce fardeau à bord, la mécanique du vol aura tout fait de vous rappeler que quand le poids l'emporte sur la portance, l'avion se casse la gueule

Bref, c'est bien de vouloir la chef des pompom-girls encore faut-il avoir les moyens de l'avoir en ayant pour soi l’assurance du quaterback de l'équipe de foot du lycée comme on voit dans les films américains pour adolescents. Jouer le quaterback caché derrière un écran pour apparaître ensuite comme un membre du club philatélie, c'est être assuré de courir à l'échec. Au pire si la fille est un tant soit peu maternelle, vous n'en prendrez pas plein la figure mais vous serez traité comme un gosse un peu malhabile. 

Quand au reste, les sites dédiés à la séduction regorgent de conseils plus ou moins utiles pour se préparer et surtout comprendre les erreurs à éviter si l'on veut ne pas se fracasser au sol. Mais je pense que le meilleur conseil est venu un jour de mon copain Jeff le Corse qui m'expliqua un jour doctement :

"Les belles filles n'aiment pas les beaux hommes, elles aiment juste les hommes qui s'y connaissent en belles filles".