08 juin, 2012

Ducati vs XlS 500 et incarnation !


Voici quelques temps, Lapinou qui est devenu motard tentait de me convaincre d'acheter une Ducati Panigale, une sorte de monstre de 195cv limitée à 315km/h en vitesse de pointe pour la bonne raison qu'aucun constructeur de pneus ne sait offrir une monte permettant de dépasser cette vitesse à moto sur route.

Moi je lui ai répondu que je la trouvais jolie mais qu'assis dessus, j'aurais l'air d'un con, un peu comme ces quinquagénaires issus de grandes écoles et occupant de hautes fonctions qui s'offrent une Harley-Davidson. Ce qu'achète simplement l'argent n'a véritablement aucune valeur à moins que cela ne corresponde à une tentative désespérée d'exister en comblant de gros complexes.

L'idée d'être un fake, de sombrer dans le narcissisme le plus puéril ne m'enchante pas. Je suis trop vieux pour poser mon cul sur une Ducati en imaginant que je vais avoir l'air d'un mec sportif. Non, comme je le disais à Lapinou, moi ce que j'aime ce sont les gros trails et encore les vieux gros trails. Le genre XT500 me plait beaucoup, bien que je lui préfère encore la bonne vieille 500XLS sa concurrente malheureuse qui n'aura jamais réussi à la détrôner du podium. C'est tout moi ça, ma sensibilité me joue des tours même avec les bécanes. Je suis capable de détourner les yeux de la belle Yamaha pour me concentrer sur la Honda mal-aimée. 

Et puis, j'ai peur de la vitesse. Ce n'est pas du tout mon truc. Pour tout vous dire, la dernière fois que j'ai trouvé que je roulais un peu vite en ville, j'ai regardé mon compteur et j'étais à soixante-dix kilomètres/heure ! Bon certes, c'était sur une portion limitée à trente mais tout de même, ce n'était pas l'approche du mur du son. Je crois être une sorte de gros bovidé placide alors ce qui me convient c'est un "gromono" qui a suffisamment la pêche pour me propulser à cent-trente sur autoroute mais certainement pas une bombe qui lève à chaque rapport ! Je dois admettre que je suis une sorte de Gringeot civilisé et rien d'autre et en aucun cas le rival de Giacomo Agostini

D'ailleurs depuis que j'ai admis cela, j'ai tendance à ne fréquenter que des gens cools et sympathiques et les concours de bites m'ennuient. J'aime bien fréquenter des gens qui connaissent leurs limites et leurs points forts, on fait le tour d'eux-mêmes et dont l'envers est identique à l'endroit. D'ailleurs récemment, le seul coup de gueule, et encore fut-il timoré, a été à l'encontre d'une personne, d'un gentil qui aime à se faire passer pour un méchant. Si j'accepte l'immaturité psycho-affective dans mon cabinet, elle m'ennuie prodigieusement dans l'intimité. Le côté cubique du Gringeot est rassurant à la longue. 

Tenez, un autre truc, souvenez-vous de mon éditrice à qui je n'ai d'ailleurs donné aucune nouvelles ! Plus jeune, j'aurais été capable de danser sur son bureau avec une plume dans le cul rien que pour avoir l'insigne honneur d'être édité dans une maison aussi prestigieuse. Et là, j'ai juste fait un rapport coût / bénéfice pour me dire que j'allais vraiment me faire chier pour pas grand chose. Bon, j'aurais pondu un livre avec mon nom sur la tranche au dessus de leur logo prestigieux et je me serais fait dix-mille euros dans le meilleurs des cas, et alors ? Mon livre ce serait retrouvé dans un bac de solde deux ans après pour finir ensuite dans une caisse en plastique sur l'étal d'un improbable vide-grenier à moins qu'il n'ait servi à caler une armoire bancale. Bonjour la gloire !

C'est ma manière de m'incarner; Récemment, je demandais à un jeune ingénieur très brillant de me faire un texte dans lequel il se présenterait. Et j'ai eu le droit à un texte désespérant d'une vingtaine de lignes ne présentant que des informations factuelles digne de l'état civil ou encore d'un gamin à qui son instit' demanderait de remplir une fiche : il ne manquait que le nom de son animal familier du genre Bouboule mon cochon d'inde !

C'est marrant parce que je me suis amusé à faire le même exercice que lui et moi sur ma fiche, j'avais juste mis "gros garçon surprenant". C'était ma manière à moi de m'incarner en présentant mes points faibles, passivité, placidité, fainéantise, tout en m'assurant de mes points forts, vivacité d'esprit, intelligence et sensibilité. Bref, je peux avoir l'air d'un gros con mais je ne le suis pas. Je crois que j'aime bien cette définition. Elle me correspond, je m'y incarne pleinement. Quand je me flatte je me dis que j'ai un côté Orson Welles, enfin sauf que le cinéma le fait un peu chier et surtout le sien. Parce que pour m'être tapé Citizen kane et son lancinant Rosebud, La dame de Shangaï et la fin avec les miroirs cassés ou encore La soif du mal avec son interminable traveling du début, je n'ai pas été enthousiasmé. Mais bon, il a fait ce qu'il a voulu, il était passionné et aimait bien bouffer, cela nous fait pas mal de points communs.

A propos d'incarnation, un freudien vous dirait qu'il faut renoncer au moi idéal pour se plonger dans les délices de l'idéal du moi qui n'a rien à voir avec le surmoi. Vous noterez au passage que j'ai tout de même des rudiments sérieux de freudisme bien qu'il m'emmerde le père Sigmund. Bon tout cela est assez vrai mais ça reste mécanique, c'est un boulot de tâcheron analysant, de petit médecin déterminé à pondre une théorie qui le rendrait célèbre.

Bien avant lui, Saint Austin édictait son célèbre "aime et fais ce que veux" qui d'une manière lapidaire expliquait ce que l'on pouvait foutre sur terre en insistant à la fois sur la nécessaire coopération avec nos congénères (aime) tout en n'oubliant pas de nous faire plaisir (fais ce que veux). Plus tard, le bon Rabelais nous explique dans Gargantua qu'il pourrait existe une abbaye de Thélème dans laquelle, plutôt que de se conformer aux règles strictes d'un ordre monastique culpabilisateur, le seul mot d'ordre serait "fais ce que voudras". 

Sauf qu'à défaut de faire ce que l'on veut de manière erratique en luttant contre soi pour tenter de devenir celui que l'on n'est pas, il s'agit juste de tellement se laisser aller que la volonté divine, ce thélème dont on parle dans le nouveau testament, se manifestera chez l'homme sans qu'aucune raison n'intervienne. Bref il ne s'agit pas de vouloir envers et contre tous mais juste de vouloir ce que la nature veut pour nous, de nous laisser gagner par une sorte d'instance supérieure qui fasse qu'à un moment, quelques soient nos défauts (je ne parle pas de tares ou de vices bien sur), on se sente suffisamment bien pour se dire qu'on est à sa juste place. Ce n'est que la volonté humaine du mystique, un truc bien compliqué qui se vit et que j'aurais bien du mal à expliquer par des mots. Le truc qui une fois que vous l'avez chevillé au corps vous fait vous dire que cela ne vaut pas la peine de se casser le cul pour être édité parce que justement ce que l'on aime, ce pour quoi on est fait, s'accomplit toujours sans vraiment d'efforts.

Tout récemment, j'avais avec un de mes chers patients une discussion sur ce sujet, je lui disais qu'il souffrait parce qu'il ne voulait pas s'incarner. Il se rêvait peintre de talent ou encore rock star adulée alors que dans les deux disciplines, je ne suis pas sur qu'il aurait eu le succès escompté. En revanche, il écrit fort bien, je l'ai noté. Il a un beau brin de plume et je ne doute pas qu'en travaillant un tout petit peu, il aurait pu devenir un écrivain estimé. Je suis sur que son registre parfait serait celui d'écrivain pour minettes, une sorte de Guillaume Musso ou de Marc Lévy mais en bien mieux. 

Peut-être serait-il aujourd'hui une sorte de Françoise Sagan au masculin pourvu qu'il cesse de se lamenter de ne pas être celui qu'il voudrait être pour se laisser saisir par son thélème justement en laissant libre court à son dandysme naturel. En plaisantant avec lui, je lui disais que s'il s'était vraiment laissé aller, s'il avait oublié ces combats d'arrière-garde perdus d'avance, il aurait pu lui aussi écrire une phrase du genre "Elle était belle.  Elle était intelligente. Elle aimait Mozart, Bach, les Beatles et moi" voire carrément lui aussi donner dans les sentences philosophiques lourdes de sens en balançant un "l'amour c'est ne jamais avoir à se dire qu'on est désolé". Bref, ce serai un Erich Segal version 2000 à la française, il aurait vendu des millions de livres, fait vendre des millions de kleenex pour essuyer les larmes des filles toutes les  gonzesses seraient folles de lui.

Mais non, ce crétin (c'est affectueux) s'ingénie à travailler contre lui un peu comme si je m'achetais cette Ducati Panigale en espérant qu'elle me conférera l'aura du gentleman driver comme si j'étais Barry Sheene  ou Graham Hill ! De frustration en frustration, sa vie se délite et il vivote. On sent son potentiel et on attend qu'un jour il le concrétise. Le pire est qu'il sait tout cela, que c'est le genre de type, dont je suppose qu'il m'aime bien (allez savoir car il est un peu froid) mais à qui je ne ferai jamais aucune révélation sur lui-même vu qu'il a eu vingt ans pour se regarder le nombril.

Peut-être que justement la seule fois où j'ai réussi à le toucher, c'est lorsque je lui ai dit qu'il devrait s'incarner pour être heureux et cesser de vivre de ce monde où il se fantasme sans qu'il ne traduise rien de tout cela dans la réalité. Et cette fois-ci encore, il a eu le mot de la fin avec une formule lapidaire. Il m'a expliqué qu'il savait ce que je lui disais depuis vingt ans et que j'avais entièrement raison que finalement ce dont il souffrait ce n'était que cela. Mais il a aussitôt rajouté : "je sais qu'en m'incarnant, je devrais en passer par une grande humiliation et je ne suis pas prêt pour cela".

Putain quelle belle phrase pleine de sagesse ! On savait, tant la phrase a été rabachée que "choisir c'est renoncer" on sait maintenant que "s'incarner c'est accepter l'humiliation". Mais de quelle humiliation parle-t-on ? De renoncer à n'être qu'un petit narcisse des temps modernes, une forme de Narcisse anxieux ne correspondant pas aux canons médiatiques pour n'être que soi-même mais heureux.

C'est amusant parce qu'on pensait que Loft Story ce n'était qu'à la télé et on appelait cela de la télé-réalité. Loft story, c'est vraiment dans toutes les têtes dès lors que l'on vit sous la dépendance du jugement d'autrui. En définitive pour être heureux, il faut que s'accomplisse quelque chose qui nous dépasse, "que ton règne vienne et que ta volonté s'accomplisse" (Mt 6:10).

Voilà, c'est la fin de ma demie-heure mystique et je redescends sur terre. Pour conclure, non pas une citation pompeuse mais une belle vidéo présentant la bonne vieille XLS 500 qui a une sacrée gueule en plus d'être fiable, increvable, raisonnable et adaptable. Si je deviens animiste, je me réincarnerai en Honda 500 XLS. Vous voyez que j'ai des ambitions modestes et que je ne crains plus d'accepter ce que d'aucun appelerait l'humiliation pour m'incarner fut-ce en moto !

1 Comments:

Blogger El Gringo said...

La 500 XLS, ce n'est pas toi.
Fine et haute sur pattes, c'est un petit pose-cul étroit qui tangue au gré des ondulations et malgré son monocylindre, c'est un multisoupapes qui doit chanter dans les aigus pour se faire entendre.

De la même fabrique et vers la même époque, je te verrais plutôt en 1000 Goldwing. Large, lourde, mais bien plus agile qu'il n'y parait c'est l'engin fiable et déconcertant par excellence. Ce n'est pas la grosse bête que l'on croit voir au premier abord. Sous l'imposant réservoir se cache bien autre chose qu'un gros bidon et quand on la détaille, on découvre tout un tas de caractéristiques qui sortent de l’ordinaire. La 1000 Goldwing, c'est la force à laquelle on ne prête pas attention au premier regard mais qui captive à l'usage.

PS: Dis à Lapinou qu'il arrête de se branler sur les suppositoires à camion!

26/6/12 7:27 PM  

Enregistrer un commentaire

<< Home