19 mai, 2012

Psy tout-terrain !


Le vendredi je déjeune toujours dans le même petit restaurant. Pour un prix ridicule on y mange très bien et on a l'impression à la longue d'être en famille. Et puis comme c'est un vrai lieu de convivialité comme on dit aujourd'hui, il y a une vraie solidarité. C'est l'endroit idéal pour demander une bonne adresse, qu'il s'agisse d'un plombier, d'un mécanicien, d'un bon notaire ou de tout un tas d'autres trucs très rigolos dont je ne parlerai pas ici. 

C'est un peu un reliquat de la France des années cinquante, un petit café-restaurant dans lequel on finirait presque par avoir son rond de serviette. On verrait s'asseoir Gabin que ça n'étonnerait personne. En plus,   comme je suis un homme d'habitudes je m'y sens très bien parce que c'est le seul endroit où l'on puisse me dire "Philippe je t'ai mis une milanaise" sans que j'aie besoin de commander ou que l'on n'ait besoin de me faire changer mes goûts. Je précise que la milanaise en question est une escalope et non une salope. Que les choses soient claires.

Bref à force d'y avoir ses habitudes, tout le monde connait tout le monde, on se rend service et on se démerde entre nous. Pensez-donc que j'ai pu obtenir l'adresse d'un excellent serrurier qui ne soit pas un de ces ouvreurs de portes et voleurs habituels qui vous fracassent une serrure pour deux-cents euros en échange de quoi, j'ai refilé l'adresse du meilleur généraliste du coin, et le tout de gré à gré sans l'immixtion de l'état, de ses collectivités ou établissements publics.

Le prix à payer, c'est qu'il faut plaire au patron, avoir l'esprit maison, c'est à dire ni se la péter ni au contraire être un pauvre clodo. C'est vrai que c'est un peu un milieu d'hommes où les gars jouent au poker, parient aux courses, parlent de gonzesses en termes peu élogieux, fument des clopes en se jurant d'arrêter l'an prochain et boivent sec en faisant des pauses pour se ménager. Et finalement si l'ambiance est parfois un peu frustre, les gens sont largement moins cons qu'il n'y parait. Vu la béhème du tôlier, on se dit qu'il n'est sans doute pas diplômé de l'IEP mais qu'il sait s'y prendre pour faire de l'oseille. C'est clanique et rigolo, on en est ou on n'en est pas. 

Moi bien sur, je ne vais pas y jouer la grande gueule, le fort des halles ou l'ouvraillon de base. Moi, je suis le mec qui a fait des études,  une sorte de docteur pour la tête. Et si je pense qu'ils détestent ma profession qu'ils jugent naze au regard de l'image qu'en donnent moult confrères à la télévision, ils m'aiment bien. J'emploie les mêmes codes qu'eux, je clope, je bois la tournée du patron et quand un pote surnommé l'ingénieur parce qu'il a fait l'X ramène son tord-boyau du pays, je vide mon verre comme un grand. Bref, je suis un peu l'intello mais l'intello correct qui ne méprise pas le bon peuple et possède les bons codes sociaux comme on dit dans les universités où ce qu'on apprend les mots savants.

Bien sur j'ai eu le droit aux tests à la con parce qu'on voulait savoir ce que j'avais dans le ventre. Pour eux, la psy ça doit être comme la plomberie : utile ! Alors il fallait faire mes preuves autrement qu'en bavassant et en alignant des concepts fumeux et inopérants. Ces mecs là, vous ne les séduisez pas avec de jolis mots mais avec des capacités; Ce n'est pas tant qu'ils détestent les intellos, c'est qu'ils ont vu trop de branleurs se payer de mots pour finalement se payer sur leur boulot pour les respecter totalement. 

Ainsi, alors que je passais régler la note, le patron lâche son comptoir et sa machine à PMU pour me demander carrément ce que je pense de lui et si je suis capable de deviner qui se dissimule derrière sa carapace de patron de bar. Comme j'adore profiler, je me suis exécuté et j'ai fait un sans fautes. Pour moi, cela ne consistait qu'à assembler en une histoire cohérente un maximum d'information verbales et comportementales que j'avais glanées mais pour lui c'était presque de la magie ou du moins la preuve pleine et entière que mon job n'était pas du vent mais du concret. Alors je suis devenu le psy.

Et comme je suis le psy parfois on me demande si je ne voudrais pas parler à untel ou untel. Et moi comme j'aime bien mon boulot et que la plupart de ces mecs sont plutôt touchants, je m'exécute. Je me suis retrouvé  une ou deux fois dans un coin à une table où on me paye le coup ou le café pour une séance express. En vingt minutes, je dois deviner ce qu'on me demande et filer un conseil avisé. Bien sur il ne s'agit pas de me faire une clientèle parce que ces gens là ne seront jamais des patients de psy, mais simplement de filer un coup de main utile, un truc qui leur permettra de relativiser ce qui les touche ou plus simplement de les inciter à parler à leur médecin parce qu'on a le droit d'être mal dans sa tête sans être pour autant pédé.

Dernièrement, on m'a demandé si je ne pourrais pas écouter une jeune femme qui avait de gros problèmes. J'ai dit que j'étais ok et comme j'y viens le vendredi, après que j'aie bouffé, on m'avait aménagé une table en terrasse avec café à volonté et j'ai écoute la femme en question. D'après ce que l'on m'avait raconté du cas, je savais que c'était une phobie, un truc relativement simple à traiter en cabinet mais plus difficilement à une table de rade de banlieue; 

Bon, j'avais le droit à l'hypersensible habituelle, la nana à qui on ne raconte pas n'importe quoi parce que sinon elle va monter dans les tours et se faire du mouron comme on disait dans l'ancien temps. J'ai un peu expliqué ce qu'était une phobie et comment ça fonctionnait. Je ne suis pas sur qu'elle m'ait totalement compris. La seule chose que j'ai pu lui assurer, c'est qu'alors qu'elle tremblait à l'idée de se suicider, je lui ai dit que ce ne serait pas le cas. Ça j'en étais sur. Elle m'a demandé si j'étais sur et certain et les yeux dans les yeux je lui ai dit que oui. Pour faire bonne mesure, je lui ai dit d'aller voir son généraliste et de se faire prescrire un petit ISRSNA. 

Sa phobie avait commencé avec la crainte d'avoir chopé le SIDA après avoir été blessée à son boulot. C'était venu comme cela parce que cela avait réactivé une peur ancienne due au fait que sa propre mère avait chopé une infection assez grave de cette manière. Et puis c'était passé à peu près et elle vivait correctement.

Mais voici quelques mois, une anxiété massive s'était ajoutée à cette phobie latente. C'était du à un médecin qu'elle avait vu pour son gosse âgé de 3/4 ans. Ce blaireau plutôt que de se taire et d'attendre  d'en être sur, lui a annoncé que son môme était certainement autiste. S'il y a bien un diagnostic ardu c'est bien celui d'autisme. Parce que la vision que l'on a de cette pathologie a tellement évolué qu'il est impossible de parler d'une seule forme d'autisme : on parlera plutôt de spectre autistique. Enfin parce qu'il serait même peut-être possible que l'autisme soit parfois une question de degré. Et puis plus qu'une maladie, l'autisme est une différence avant tout avec des tableaux cliniques variés qui n'engagent pas forcément un pronostic sombre pour l'enfant.

Ainsi moi qui vous parle et qui suis pourtant doté de toutes mes facultés, si on m'avait vu pré-adolescent les doigts plein de peinture comme un goret en train de tenter de faire une maquette d'avion, on aurait pu me juger autiste ou débile mental comme on disait méchamment à l'époque. Ben non, je ne le suis pas ou peut-être pas suffisamment en tout cas pour en souffrir. 

Je lui ai expliqué ce que je connaissais un peu de l'autisme à cette brave dame. Mais elle a tenu à me montrer son mouflet. Il dessinait assis à une table du bistro. Il avait une bonne tête. Quand je lui ai parlé il m'a regardé, il n'était pas très souriant et il s'est remis à dessiner. Bon c'est sur que côté contact social, il n'était pas champion; Et alors ? Il pouvait être né sous le signe du capricorne ou peut-être qu'il fera une école d'ingénieur. Si à chaque fois qu'on n'est pas super sociable, que l'on souffre de "déficit des interactions sociales", on devait se coltiner l'étiquette d'autisme ce serait une épidémie. Moi qui vous parle, je suis réservé mais pas timide et avant de lâcher, j'adore mettre au point mes petites équations pour savoir comment un environnement social fonctionne.

Alors comme j'étais surtout là pour la rassurer et non pour épiloguer, je lui ai dit que son fils était très mignon et que je ne le voyais pas autiste. Et puis je lui ai filé l'adresse d'un bon pédopsychiatre qui pourrait lui confirmer ce que je disais. Ça je n'en sais rien s'il confirmera mon diagnostic fait à l'arrache à une table de café ; je n'en ai aucune idée. En tout cas, ce que je sais c'est que c'est un praticien honnête et sympa et qu'il ne balancera pas un diagnostic dans la gueule de la mère comme ça. Déjà il s'appuiera sur des tests tels que des jeux, des examens neurologiques, un EEG, etc., et non sur une vague impression. Il édulcorera le diagnostic en fonction de données. Et puis il proposera quelque chose de concret, il ne la renverra pas dans ses pénates avec des angoisses.

Parce que bien souvent ce sont les parents qui se doutent d'un truc, qui voient bien que leur moutard est différent des autres. Et dans ce cas là, le diagnostic doit être annoncé aux parents de la manière la plus claire possible par des professionnels très expérimentés et non par un charlot de généraliste un peu hâtif. Comme c'est un diagnostic très douloureux pour les parents, il faut l'associer à une prise en charge du handicap de leur enfant en les associant pleinement à ce qui sera mis en oeuvre. On se doit aussi de veiller à prendre en charge l'anxiété bien naturelle des parents et à détecter une éventuelle fragilité.

Bref, on ne balance pas dans la gueule d'une mère super anxieuse que son morpion est sans doute autiste pour la raccompagner ensuite à la porte du cabinet sans rien proposer d'autre que d'attendre pour voir l'évolution des troubles. Bref, je n'ai pas fait grand chose d'autre que de l'écouter, la rassurer et lui refiler des adresses de pros efficaces et humains. J'aurais bien aimé faire plus mais en vingt minutes c'est difficile d'être efficace.

Mais c'est finalement marrant de trouver sa place avec la profession qui est la mienne au milieu de tous ces machos. A défaut d'avoir été d'une grande efficacité, ça prouve que je suis un bon clinicien tout-terrain.

1 Comments:

Blogger El Gringo said...

Bon, ma p'tite dame, j'vais y soigner son "otisme" là, à ton morpion mais après faudra qu'tu sois gentille hum? ;-)
(gros clin d'oeil égrillard)

22/5/12 11:22 AM  

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