05 septembre, 2012

Le militaire dans sa tête !


Ça y est, je suis de nouveau dans le bain depuis hier. Il a suffit d'une journée de travail pour que mes rêveries bucoliques cessent. Tel un boeuf que l'on viendrait d’enchaîner à son joug, je n'ai plus pour horizon que le bout du champ que je vais parcourir de long en large tout au long de l'année jusqu'aux prochaines vacances qui me mèneront peut-être si Dieu le veut jusqu'à Aubusson ! 

Hier, j'avais programmé uniquement des patients que je connaissais déjà pour ne pas me mettre trop de pression. Moi qui suis un homme d'habitudes, je n'allais pas recommencer une année de labeur en me confrontant dès la rentrée avec de nouvelles têtes. Alors j'ai revu des habitués, des gens sympas que je connaissais bien. Je me suis particulièrement attaché à bien sélectionner mon premier patient.

Ce doit être une vieille superstition mais je ne me vois pas commencer l'année avec une nouvelle tête ou avec quelqu'un que je n'apprécierai pas particulièrement. Cette année mon premier rendez-vous était avec un scénariste que j'apprécie. Je l'appelle maître et il m'appelle professeur, on s'entend bien. Il est rigolo et cultivé. Il ambitionne depuis un an d'écrire LE polar, une somme définitive, une sorte d'opus à la Ellroy. Comme il sévissait auparavant dans le domaines des maths pures, il est spécial, très analysant mais avec un beau souffle épique qui ôte tous les travers communs à ce type de caractère. 

Nous sommes très différents et pourtant, c'est amusant parce que j'aurais pu avoir la même idée que lui mais j'aurais construit mon roman différemment. Si nous étions peintres, je pense que lui et moi aurions partagé le goût des toiles monumentales. Mais tandis que j'aurais rapidement esquissé ma toile en soignant les détails par la suite, lui fait le contraire, comme s'il commençait à peindre dans un petit coin et qu'il tente ensuite couvrir tout le reste. Nous sommes très différents. 

Aujourd'hui, j'ai reçu un nouveau. Tandis que je lui expliquais à l'interphone que mon cabinet était situé immeuble de droite, deuxième étage droite, il m'a répondu affirmatif. C'est fou comme les gens qui pensent se cacher habilement peuvent se traduire avec un seul mot !

Affirmatif, c'est un terme militaire que l'on imagine employé par un militaire en campagne recevant un ordre de son QG. On visualise bien la scène, le type en treillis, les armes, l'ennemi qui guette tout proche. Mais là en pleine journée en plein Paris, quelle drôle d'idée d'employer ce terme. Je crois que c'est la première fois qu'on me le sort. Habituellement quand je précise la localisation de mon cabinet, les nouveaux patients se contentent d'un d'accord ou d'un laconique ok merci

J'ai entendu la porte du rez de chaussée s'ouvrir quand j'ai appuyé sur l'interphone et l'espace de temps qu'il lui a fallu pour monter jusqu'à mon cabinet, je me suis plu à l'imaginer tel que je le ressentais. Je l'ai imaginé petit, complexé, frustré de ne pas avoir une vie à la mesure de ses rêves de gloire. J'ai su immédiatement qu'il me jouerait une scène dans laquelle il feindrait d'être un soldat, un type au clair avec lui-même, qui ne se cache rien et auquel on ne doit rien cacher non plus. Je l'ai vu sous les traits d'une sorte de grand sensible, refusant ses émotions et vivant dans des rêves enfantins peuplés de héros. Et j'étais persuadé que ce type n'avait jamais porté aucun uniforme de sa vie, même pas celui de Mc Do.

Je ne me suis pas trompé. Il s'est assis, j'ai fait mon travail. J'ai bien pris garde à ramener la voilure au minimum, à ne pas le brusquer, à l'accompagner dans ses rêves, à feindre d'y croire comme lui y croyait. On s'est bien entendu. Tant et si bien qu'à la fin de l'entretien, il avait compris que je n'étais pas son ennemi. Il s'est un peu ouvert, il m'a avoué des choses intimes. Pas des choses graves pour le commun des mortels mais pour lui si. J'ai même vu des larmes briller dans ses yeux.

Il a semblé content de l'entretien puisqu'il a repris rendez-vous. Il m'a dit alors à mercredi prochain et moi je lui ai répondu en souriant affirmatif. Il a souri parce qu'il a su immédiatement que je savais ce qu'il voulait que personne ne sache.