Carrière ou destin !
Photo à la con, illustrant le monde de l'entreprise, ça fait rêver !
Aujourd'hui, je recevais de nouveau un patient, un bon petit gars sorti de Sciences-po mais de la véritable école, celle de la rue Saint-Guillaume et non d'un ersatz de province. On s'entend bien et je l'apprécie parce que justement, il a commencé à déprimer dès le premier trimestre après être entré à Sciences-po. Il s'était donné à fond, il avait même fait la préparation au concours durant son été, sacrifiant ses vacances au profit de ce rêve : entrer à Sciences-po et devenir quelqu'un d'important. Sitôt entré, il a du saisir que ce n'était pas pour lui.
C'est vous dire s'il croyait en lui. Et c'est sans doute là que le bât blesse parce que si l'on croit en soi, si l'on sent vraiment que l'on a un truc, un quelque chose, un petit machin en nous qui brille et qui nous donne l'impression que l'on a quelque chose à offrir au monde, il ne faut rien attendre d'une formation. Où que vous alliez, si vous êtes doué, vous réussirez, plus ou moins rapidement en fonction des réseaux que vous aurez tissés mais vous réussirez. Quand on mise tout sur une école, c'est que l'on n'a pas grand chose dans les tripes et que l'on attend tout de la formation que l'on convoite, on espère juste sortir du bon moule.
J'imagine aisément mon pauvre patient qui arrivé là a du se faire à l'idée que durant de longues années, il devrait fréquenter ces jeunes déjà un peu vieux qui ont des avis sur tout et on déjà en tête leur carrière. Imaginez vous, mes chers lecteurs brillants, que vous deviez fréquenter une personne dont la seule ambition serait de devenir fonctionnaire international à la Bruxelles ou encore assistant parlementaire ne espérant que ce marchepied puisse lui permettre à son tour de devenir député. Entrevoyez vous le drame que provoquerait l'obligation de fréquenter cette personne, tout entière tournée vers sa fausse vocation ?
Car je parle bien sur de plans de carrière en tant que fausse vocation, pour ne pas les confondre avec les vraies vocations toujours plus altruistes même si elles comportent souvent un volet narcissique. Mais si je peux comprendre quelqu'un qui voudrait créer un nouveau vaccin, devenir le nouveau Pasteur ou Salk, j'ai toujours plus de mal celui ou celle qui après une première expérience réussie au sein d'un important cabinet d'audit, souhaite intégrer une banque afin d'y développer ses compétences-métier. Bien sur, quand on est comme cela, on obtient tout, la bagnole, la fille, le fric, le bureau d'angle, les vacances de rêve dans des pays lointains et la quarantaine passée, on est bien content au volant de son Audi sur le chemin du retour vers son appartement du beau dix-septième ou son pavillon de Sèvres d'avoir fait les bons choix.
Encore faut-il être taillé pour ! Comme avait dit un psychiatre de l'armée de l'air avant d'accepter la démission de mon copain pilote "certains sont faits pour le vol en escadrille d'autres pour le solo". Voilà toute la différence et elle est de taille parce qu'entre avoir une carrière et un destin, on ne choisit pas, la vie nous l'impose. Mais gare à vous si vous vous trompez. Si vous pensiez avoir un destine t que vous n'êtes fait que pour une carrière, vous serez comme ces cadres supérieurs qui vers la cinquantaine décident de se réaliser pour monter leur boite et regrettent bien vite la quiétude de leur ancienne vie. En revanche, si vous êtes fait pour avoir un destin et que vous vous entêtiez à avoir une carrière, vous vous sentirez vite gêné aux entournures. Très vite, les convenances, le conformisme, vous feront souffrir et vous déprimerez.
C'est ce qui s'est passé pour mon pauvre patient dès le deuxième jour de son entré dans cette école tant convoitée. Mais il s'est acharné parce qu'il ne pressentait pas qu'il pourrait exister d'autres possibilités. Et puis, il y a sans doute une part d'escalade d'engagement qui fait que quand on commence un truc pour lequel on a fortement investi, on a des chances d'aller au bout quitte à ne rien gagner.
Et une fois son diplôme en poche, il a cru que c'était gagné et que le monde du travail lui offrirait enfin des gratifications. Hélas quand on est diplômé de l'IEP de Paris, on postule et on est recruté à des postes et dans des boites qui sont taillées pour ce type de diplômés et on a toutes les chances de finir dans le tertiaire dans un métier mal défini, une fonction où en costume cravate on exécute des tâches mal définies dont on ne comprend pas toujours la finalité. Si on est carriériste résolu, on s'en fout, on se tape les powerpoints stupides demandés, en se moquant de savoir à quoi cela sert, parce qu'on sait qu'on joue une comédie durant laquelle, c'est au savant dosage de servilité et d’audace que l'on pourra accéder à l'échelon supérieur jusqu'à devenir directeur de quelque chose.
Si on est un peu différent et que l'on sent confusément qu'on a besoin d'exister, que l'on devine tout au fond de soi que l'on n'est pas né pour faire des powerpoints idiots, on commence à comprendre que quelque chose ne va pas, que l'on n'est pas à sa place. On commence alors à ruer dans les brancards et ma hiérarchie vous fait vite comprendre que vous n'êtes pas là pour réfléchir mais pour faire comme si vous réfléchissiez. De toute manière quoiqu'on vous en dise, gérer une boite n'a rien de compliqué et on complexifie à outrance pour faire croire que c'est difficile, cela donne justement du boulot aux carriéristes. Les powerpoints et les réunions ne sont là que pour permettre aux carriéristes de faire croire qu'ils ont une utilité.
Alors une fois qu'on l'eut gentiment remis en place à base de conseils et d'entretiens d'évaluation (l'arnaque) durant lesquels on pointa du doigt tout ce qu'il aurait à changer pour se couler dans le moule, mon patient se mit à déprimer. Simplement parce qu'il avait compris que quoiqu'il fasse, malgré toute sa bonne volonté, sa lucidité sur le monde et l'idée diffuse qu'il pourrait avoir un destin ne lui permettrait jamais de ressembler à ses collègues :il était fait pour le vol en solo.
Et pourtant durant nos entretiens, sans doute parce qu'il me prenait pour une sorte de coach dont la mission aurait été de le conditionner pour le faire entrer dans le moule, le rendre performant (seconde arnaque), il s'est entêté à faire de son mieux avec autant de talent qu’un cul de jatte s'alignant à un marathon. Bien sur, cela n'a pas marché, à l'instar de l'albatros de Baudelaire, ses grandes ailes l'empêcheraient toujours de marcher en rang.
Ceci dit, il est jeune et il a du temps devant lui. Moi j'ai attendu pour ne pas le brusquer, jusqu'à ce qu'il arrive à ses limites, jusqu'à ce que dégouté à l'extrême par ce qu'il fait mais aussi des gens avec qui il le fait, il en vienne à déprimer encore plus gravement. Le fruit étant mur, on a pu entrer dans le vif du sujet. Le pauvre bonhomme était dans un tel état qu'il devenait plus réceptif à des alternatives de vie qui lui permettraient d'être plus heureux. De doute manière, tant qu'il me voyait en coach, en directeur de la norme, cela n'aurait pas marché. On cesse ses conneries, qu'il s'agisse de boire, de fumer, de se droguer, ou d'avoir un emploi débile, quand on a touché ses limites.
Il est pourtant talentueux le bougre et pour son âge, il fait preuve d'une très étonnante maturité. A tout ceci s'ajoute un réel talent artistique pourtant en jachère. Sans doute qu'il aurait été mieux inspiré de faire une école d'art, ou du moins quelque chose de plus créatif, que de perdre son temps à l'IEP même si le fait d'en être sorti n'implique aucunement le fait de choisir d'autres carrières. Mais la crainte de ne pas réussir, lui a fait préférer une formation roborative dont le seul diplôme est généralement un aller simple vers le succès indépendamment de son talent parce que justement, c'est fait pour faire carrière dans des trucs où le talent est inutile.
Alors on a commencé à bien discuter, à aller plus au fond des choses. Moi qui fait des TCC, je connais pourtant assez bien Jung et je lui ai parlé de l'individuation. Le concept lui a plu non parce qu'il serait narcissique comme ces crétins qui à force de se vouloir différents en viennent à adopter des comportements moutonniers (tatouages) mais parce que tout au fond de lui, il sent qu'il a une bonne main, un truc à jouer, pour le meilleur ou pour le pire et que s'il ne la joue pas, il aura perdu sa vie.
Oh bien sur, je lui ai parlé de destin, de changement de vie, et de tous ces trucs un peu vagues mais mon but n'est pas de projeter quoi que ce soit sur lui mais de lui proposer des alternatives à sa vie de misère. De toute manière, il est intelligent et a du caractère et n'est pas du genre à obéir à des injonctions, fussent les miennes ! Et puis, je ne lui apprends rien en fait. Je ne l'ai qu'à révéler au grand jour ce qu'il sent confusément depuis toujours et que toute sa vie atteste, cette petite différence qu'il ne pourra pas ignorer. Ce qui lui manque c'est de se passer de béquilles pour marcher de manière autonome.
Où ira-t-il je n'en sais rien mais il ira, pour le meilleur ou pour le pire. A ce niveau, justement parce que je ne suis pas un coach chargé de rendre les gens plus performants, je m'en fous qu'il réussisse ou échoue. L'important c'est qu'un jour, quels que soient ses succès ou ses échecs, il se dise qu'il ne regrette rien et qu'il a vécu.
Il m'a demandé comment on faisait pour changer devie et enfin décoller alors je lui ai donné la recette de mon pote le pilote qui lorsque j'avais l'âge de mon patient et les mêmes problèmes me disait : "décoller c'est simple, moteur à fond face au vent et tu lâches les freins".
Comme il n'est pas idiot mon petit patient, il m'a demandé comment on savait d'où venait le vent. Et là, sans le vouloir, j'ai été un peu mystique, et je lui ai dit que d'où venait le vent, quand on est comme lui, on le sait depuis toujours, depuis tout petit mais qu'effrayé par ce que cela implique, on fait tout pour l'oublier. Bref la vie est plutôt simple.
Je rajouterait que je n'ai rien contre les carriéristes et que je pourrais aussi être un très bon coach. Les querelles picrocholines de bureau, j'adore ça de même que les problématiques issue d'une prise de poste et de manière générale, ce genre de conneries. Je suis quelqu'un de très adaptable mais je prends plus cher comme coach que comme psy.
12 Comments:
mon psy me fait payer les seances plus cher depuis peu, pourtant ce n'est pas l'aide d'un coach que je recherche auprès de lui;qu'est que cela signifie dans sa demarche d'aide à mon égard?puisqu'il a su me montrer qu'elle était ma voie dans ma vie, puisqu'aujourd'hui j'arrive à marcher sans béquilles grace à lui et à être autonome dans mes choix, puisque j'ai su liquider ce transfert si fort que j'avais fait avec lui, que peut'il m'apporter de plus aujpurd'hui?et moi, a part de l'argent, je ne peux rien lui donner d'autre,alors pourquoi accepte t'il de me recevoir encore en "therapie"?est ce dans le but de me faire souffrir et de raviver ce transfert ou ai je tous simplement à faire à un escroc, un gourou ou je ne sais quoi encore?
@F et D : aucune idée :) Je ne comprends pas ce genre de démarche. Moi les honoraires sont affiches dans le cabinet et puis voilà. Demandez lui directement, il ne vous mangera pas.
c'est ce que je viens de faire sur sa boite mail;j'espère qu'il repondra cette fois....Merci pour votre réponse, je vois qu'il reste tout de même des psy honnêtes sur cette terre!dommage que je n'ai pas vos coordonnées, j'aurai pris RDV de suite pour me remettre de ma première thérapie...
@FetD : c'est triste de faire une thérapie pour se remettre d'une thérapie :)Pour le reste, quand un truc ne vous semble pas clair, demandez et puis voilà.
ben oui, je suis tout a fait d'accord avec vous c'est triste, mais vous voyez je lui ai poser la question il y a une heure par mail et il ne me repond pas; inutile que je l'appelle, je tombe sur sa messagerie; il m'a interdit toute prise de rdv avant l'encaissement de 2 seances que je lui dois car je n'avais pas pu y assister vu que mon mari était à l'hopital et que je me retrouvais seule à tous gérer à la maison;comme je ne l'ai pas averti 5 jours avant de mon absence(je n'ai su que la veille que mon mari rentrait aux urgences)il me reclame 160 euros..alors que faire pour avoir reponse à mes questions?
@F et D : ce que je vais vous dire n'est pas très confraternel, mais vous pouvez aussi l'envoyer se faire foutre :) Rassurez vous dans la mesure où vous n'avez pas de contrat signé, il ne vous enverra une mise en demeure.
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@F et D : vous faire interner parce que vous avez raté deux numéros ? :) Je ne pense pas.
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Écrivez moi sur pa6712@yahoo.fr ce sera plus simple que de débattre de votre vie privée en public.
Le mouton phénicien vous salue cher Philippe! : D
C'est toujours un plaisir de vous lire
"On cesse ses conneries, qu'il s'agisse de boire, de fumer, de se droguer, ou d'avoir un emploi débile, quand on a touché ses limites."
J'adore que vous mettiez sur le même plan drogues, alcool et emplois débiles !
Mais quand on n'a aucune perspective de carrière, qu'on n'est de toute manière pas carriériste, qu'on ne se sent pas le moins du monde destiné à faire quelque chose de spécial et qu'on a plus l'impression d'avoir les ailes du pigeon moyen que celles de l'albatros, on fait quoi ? Qu'est-ce qui reste comme option tenable ?
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