Armistice et cérémonie personnelle !
Aujourd’hui c'est le 11 novembre, le jour où l'on commémore l'armistice de la première guerre mondiale. Souvenons-nous que Paul Valéry expliquait que la guerre, c'est le massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas.
Autant la seconde guerre mondiale ne m'a jamais passionné, autant la première me passionne. Allez savoir pourquoi ? Sans doute parce qu'elle est un trait d'union entre une époque révolue et la période moderne. Commencée avec nos pioupious habillés avec leur pantalon garance, elle s'achèvera par des combats de chars. Elle signe la fin de la belle époque, d'un monde digne des livres d'histoire pour inaugurer le monde moderne tel qu'on le connait avec l’avènement de l'Amérique.
Et puis comme mes gouts littéraires me portent plus vers Alain Fournier, Charles Péguy que vers les contemporains, il était bien normal que cette boucherie me passionne. Il faut dire aussi que ma grand-mère paternelle possédait tous les exemplaires du Miroir, un journal de guerre, reliés et que dès mon plus jeune âge, je me suis délecté à lire cette propagande macabre de guerre dans laquelle les boches étaient des salauds infanticides tandis que les français étaient nécessairement courageux.
Je remarque d'ailleurs que mourir pour la république est toujours la pire chose qui soit parce que celle-ci a tôt fait de vous oublier, une fois enterré avec les honneurs. C'est ainsi qu'à côté de la tombe de mon arrière-grand-père, est une tombe abandonnée qui risquait d'être reprise par la commune. On a beau parler de concession à perpétuité, dès qu'ils le peuvent les corbeaux communaux se ruent vers les vieilles pierres tombales moussues ou rouillées pour en flanquer les occupants dans une caisse en sapin à la fosse commune et relouer la place à des nouveaux !
Comme la plupart de ces vieilles sépultures, il s’agit d'une simple bordure de ciment dans laquelle sont scellés quatre poteaux de fonte supportant une chaîne faisant le tour de la tombe. La seule ornementation est une croix en métal ainsi qu'une plaque sans doute obligeamment fournie par la France sur laquelle figure deux drapeaux entrecroisés ainsi que le nom et le grade du type ayant perdu la vie à 21 ans en 1915 sans doute au cours de la bataille de l'Artois à moins que ce ne soit aux Eparges.
Le pauvre gars enterré là depuis bientôt cent ans n'avait évidemment plus personne pour fleurir sa tombe. Et bien entendu, bien qu'étant passé mille fois devant ce cénotaphe, je n'avais jamais pris garde qu'un poilu y était inhumé, la plaque émaillée étant passée depuis longtemps et les inscriptions difficiles à déchiffrer.
Mais comme c'était le onze novembre et que je me trouvais là par hasard, je me suis fendu d'une cérémonie personnelle consistant à redresser la croix, ce qui redonna à l'endroit une bien meilleure allure tandis qu'un coup de kleenex permettait de redonner quelque brillant à la plaque. Et comme le temps était encore clément et que la Toussaint avait eu lieu voici dix jours, les chrysanthèmes avaient bien résisté et encore fière allure.
Ce qui me permit d'en piquer fort joli un sur une tombe voisine qui croulait sous les fleurs afin de le déposer sur la tombe de ce jeune gars. C'est mal et très vilain de piquer des fleurs mais l'occupant des lieux m'aura bien sur pardonné de lui avoir soustrait un pot parce que c'était pour une bonne cause. L'an prochain je le paierai de ma poche, c'est promis. En attendant c'est en socialiste occasionnel que je me suis permis cette redistribution d'une tombe qui en possédait trop vers une autre qui n'avait rien. Jaurès a du être fier de moi !
Les morts bougeaient. Les nerfs se tendaient dans la rainure des chairs pourries et un bras se levait lentement dans l’aube. Il restait là, dressant vers le ciel sa main noire tout épanouie ; les ventres trop gonflés éclataient et l’homme se tordait dans la terre, tremblant de toutes ses ficelles relâchées. Il reprenait une parcelle de vie. Il ondulait des épaules, comme à son habitude d’avant quand sa femme le reconnaissait au milieu des autres, à sa façon de marcher. Et les rats s’en allaient de lui. Mais, ça n’était plus son esprit de vie qui faisait onduler ses épaules, seulement la mécanique de la mort, et au bout d’un peu, il retombait immobile dans la boue. Alors les rats revenaient.
Jean Giono, Le grand troupeau
4 Comments:
"...c'est en socialiste occasionnel..."
Tu vois bien que tu as des similitudes avec tes patients de gauche, finalement.
@Chaton : occasionnellement oui et quand ça m'arrange !
Beau geste affectif. Avez-vous lu "au revoir là-haut" de Pierre Lemaitre? Votre récit m'y fait un peu penser... Les poilus et leurs tombes...
Giono, je ne l'imaginais pas aussi énorme.
La différence entre un vivant et un mort ne mesure que quelques millimètres, la dilatation complète des pupilles.
Dans les films le mourant fait "argh" et sa tête tombe sur le coté.
En vrai, rien qui ne ressemble plus à un vivant qu'un mort, sur l'instant la différence est subtile.
"Qu'est-ce que tu fous, tu vois bien qu'il est plein phare."
Je ne crois pas que l'on honore les morts, on rend hommage à la vie qui les a habités. Avant.
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