Et Dieu lui apparut !
On va l'appeler Franck pour respecter l'anonymat. Et puis Franck est un prénom franc comme celui qu'il porte en réalité. Donc Franck souffrait de problèmes d'alcool. Franck est un type éminemment sympathique et intelligent, une sorte de mélange entre une bourrinitude assez incroyable, une sensibilité exacerbée et une intelligence très vive. Si en plus vous saupoudrez le tout d'un humour acide et d'un réel talent d'acteur, ça donne un type assez incroyable.
Lui et moi on s'entendait plutôt bien vu qu'on a des bases communes et que de plus, il déteste les socialistes parce qu'il a eu des parents communistes, des vrais, qui lui faisaient lire Fils du peuple de Maurice Thorez quand il était tout jeune.
En revanche, là où on ne s'entendait pas c'était sur la marche à suivre. Moi je lui disais d'arrêter de picoler et que de ce fait la plupart de ses problèmes cesseraient tandis que lui, voulait l'inverse, arguant du fait que c'était parce qu'il avait des problèmes qu'il buvait. Moi, j’étais opposé parce que je connais mon boulot et que ce n'était pas lui, quelle que soit son intelligence, qui allait me l'apprendre.
Et puis, en fils de militants cocos, il voulait en chier, on lui avait appris jeune que les classes laborieuses obtenaient les choses par la lutte et que seuls les nantis pouvaient se laisser aller. Or moi, je suis un psy plutôt cool qui pense qu'une thérapie doit aller toute seule, sans éclats de voix, sans pleurs ou autres débordements. Bien sur, cela arrive parfois qu'il y ait des moments difficiles, des pilules à avaler. Mais dans les faits, on s'aperçoit souvent que tout va mieux alors qu'on l'a pas l'air d'avoir tant bossé que cela pour obtenir les résultats. Je suis pour la voie de la moindre résistance, c'est de la feignasso-thérapie.
Alors bien que je sache qu'il avait de l'affection pour moi et sans doute un minimum de respect pour mes idées, je comprenais que je ne lui convenais pas. Un cabinet où l'on vous offre le café et où l'on peut cloper, ce n'était pas dans ses idées. Il lui aurait fallu soit un psychanalyste revêche ne pipant mot ou bien un psychiatre soviétique rigide mais pas un gars comme moi. Je sentais qu'il allait me lâcher même si je trouvais cela un peu con parce que je savais ce que j'aurais pu faire pour lui. Mais bon, les patients ça va, ça vient et comme je le disais dans un article précédent, même si je suis le bon gars, j'ai aussi des principes.
Donc un jour il n'a pas repris rendez-vous, sans rien dire. Puis un soir, croyant sans doute que je faisais un gros dodo, il m'a balancé un SMS vachard dans lequel il me disait tout le mal qu'il pensait de ma pratique. Moi, j'ai lu le SMS et je lui ai répondu immédiatement un truc du genre : alors gros lâche on profite du fait d'être bourré et qu'il soit deux heures du matin et que tu me croies endormi pour le cracher ton venin à la gueule ?". Parce que manque de pot, moi je suis un gars plus du soir que du matin. Donc on s'est frité par SMS interposé puis on a fait une séance entre 2h30 et 3h30 du matin. Il était un peu énervé mais bon, je sais qu'on s'aime bien quand même.
Puis, on s'est revu de temps à autre mais jamais en séance, il passait parfois au cafing mais sporadiquement parce qu'il n'était pas dit qu'il pourrait admettre qu'on pourrait bien s'entendre. On ne se perdait pas vraiment de vue quoi. Puis voici que jeudi il m'appelle et me dit qu'il sera dans mon coin et veut savoir si on peut déjeuner ensemble. Ca tombe bien vu que je viens d'avoir un déjeuner annué avec un médecin. Je lui dis donc que je serais disponible à 13h00, ce qui, compte tenu de mon retard chronique, devrait faire du 13h20/13h30.
Et hop, nous voici assis en terrasse au rade où se déroulent habituellement les séances de cafing. Et là, il me dit qu'il a cessé de boire depuis quarante-sept jours ; le décompte est strict. Il a toujours sa bonne tête de brute et son air sympa. En tout cas, ce n'est pas un hipster. Mais il a un peu dégonflé, on sent l'arrêt de la picole, c'est vrai. Il m'explique alors qu'il trouve que le baclofène est génial. Mais ça je m'en fous un peu parce que quelle que soit la technique que l'on emploie pour cesser de picoler, moi ce qui m'intéresse c'est le "pourquoi" un jour on s'est dit que ça suffisait et qu'il fallait arrêter. Après le reste c'est de la technique.
Il m'explique donc qu'un soir tandis qu'il allait acheter sa flasque de vodka favorite chez l'épicier arabe il s'était senti anxieux à l'idée qu'il n'y en ait plus assez. Tant et si bien que jouant des coudes, il s'était montré grossier, n'hésitant pas à bousculer un homme un peu âgé qu'il m'a décrit comme ayant la tronche de Morgan Freeman ! Mais il s'en fout, il veut picoler et il achète sa vodka qu'il va boire chez lui tout seul.
C'est alors qu'il ressort et va cuver tranquillement chez lui. Toujours est-il que revenu de sa nuit d'ivresse et se réveillant le lendemain pas frais il repense à ce qu'il a vécu et se dit qu'il a encore du pot d'être en vie. Et puis, sans qu'il sache pourquoi, il repens eà ce vieil homme, Morgan Freeman, avec qui il s'est montré grossier. La gueule de bois s'accompagnant souvent d'anxiété, il s'habille alors en vitesse et se décide à le retrouver coute que coute pour lui présenter ses excuses. Il ne sait pas pourquoi lui mais il sent qu'il doit le faire.
Il passe donc l'après midi dans son quartier à la recherche du type, se disant qu'il doit vivre dans le coin. Après quelques heures passées à arpenter le bitume jusqu'à ce qu'il voit enfin son homme sortir d'un pressing. Il se précipite alors vers lui et honteux lui présente ses excuses pour la manière inqualifiable dont il est conduit la veille. Et voilà ce qui se passe ensuite, ce qui l'a fait changer.
Le type, Morgan Freeman, lui prend la main droite dans la sienne et lui tient un temps considérable. Mon patient en est gêné mais il n'ose pas la retirer et le type lui dit alors : "rassurez vous je comprends et je vous pardonne parce que je suis chrétien et qu'il appartient aux chrétiens de pardonner". Puis, il lui lâche la main.
C'est décontenancé par cette scène que mon cher patient rentre chez lui. Il se remémore la scène sans savoir ce qui le touche même s'il apprécie l'attitude que ce type a eue. Sans doute que cette idée de pardon, ce qu'il n'arrive pas à faire vis à vis de ses parents, pas plus que vis à vis de lui l'a profondément touché.
Toujours est-il que le lendemain, il va à l'église la plus proche de chez lui et qu'il demande à se faire baptiser. En même temps, il commence son traitement au baclofène qu'il avait depuis quelques temps chez lui mais qu'il n'avait jamais pris. Il poursuit actuellement son catéchuménat qui durera deux ans jusqu'au baptême qu'il espère ardemment. Il admet que l’arrêt de l'alcool a résolu l'essentiel de ses problèmes. Quant à moi je pense au mec qui devra le porter sur les fonts baptismaux avec sa petite robe de baptême parce que ça reste un gros bébé !
Et croyez-moi quand on connait le mec, la vie qu'il a eue, qu'on voit sa tronche, on se dit que ce n'était pas gagné. Quand je lui demande alors pourquoi il sait si bien qu'il en est à quarante sept jours d'abstinence, il me répond qu'il est entré dans l'église le vendredi saint et qu'il y a quarante jours jusqu’à l'ascension et sept jours jusqu'à aujourd'hui.
Encore un de sauvé même si je n'y suis pas pour grand chose. J'espère juste avoir allumé la flamme, mais après ce n'était plus de mon ressort. Encore un signe eschatologique qui ne cesse de me passionner. Ceci dit, il m'a promis que si par le plus grand des hasards ce baptême était suivi d'actes incroyables qui le conduisent à la sainteté, il condescendrait à me faire figurer sur les vitraux le représentant sous forme de marcassin !
Poutine, l'ancien colonel du KGB, se retire dans un monastère et les fils de militants staliniens se font baptiser. En vérité mes soeurs et mes frères, l'apocalypse n'est pas loin !
2 Comments:
tres belle histoire...
a quand un prochain article Philippe, depuis mai vous n'avez rien posté; vous nous manquez!
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