05 octobre, 2015

Difficulté du diagnostic et écoutel !


Je reçois souvent du courrier à propos de Jésus. Effectivement le cas n'est pas banal Ou plutôt si, il l'est dans la mesure ou il présente une symptomatologie si riche qu'on pourrait retrouver Jésus dans différentes catégories. Les plus expéditifs le classeront chez les schizophrènes tandis que d'autres verront en lui un cas banal de trouble bipolaire de type 2 au cours duquel l'état maniaque crée des délires et des hallucinations. Quant aux plus astucieux, ils croiront voir un cas de syndrome de Stendhal suivi d'un trouble schizo-affectif donnant à penser à une schizophrénie alors que ce n'en est pas une. On peut aussi envisager le TDAH, pathologie dont les symptômes sont assez proches de l'état maniaque.

Malgré la consultation de quatre psychiatres et de deux neurologues, personne n'a tranché, aucun diagnostic franc n'a été fait et il est reparti avec différents médicaments qu'il n'a jamais voulu prendre. Dans un cas, c'était de la Clozapine et dans l'autre du Xeroquel. Il ne m'appartient pas de juger les prescriptions des médecins. Toujours est-il que Jésus n'a eu qu'à lire les "effets secondaires" de ces molécules pour ne prendre aucune d'elles.

Poser un diagnostic est rendu difficile dans la mesure ou l'on e rend compte qu'il n'existe aucune frontière étanche entre la schizophrénie, la dépression et les troubles bipolaires mais qu'il existerait une sorte de continuum entre ces pathologies. De plus, alors qu'on tend à classer les troubles bipolaires en fonction de la fréquence et l'ampleur des changements d'humeur, certains chercheurs émettent l'idée que cette dichotomie est fausse et que l'on pourrait passer d'un trouble bipolaire de type 1 à un type 2. 

Bref, vous l'aurez compris, c'est un peu le bordel et une chatte n'y retrouverait pas ses petits. On a aujourd'hui l'idée de créer des centres experts qui permettrait de poser un diagnostic sur. Le tout est bien sur d'y faire entrer les patients. Et c'est là que cela se complique.

Car s'il est aisé d'interner ou de contraindre à la consultation un patient qui a une symptomatologie riche et invalidante avec par exemple un vrai délire au sens que l'émettait Karl Jaspers, il est plus compliqué d'y contraindre un individu au motif qu'il aurait des pensées baroques.

Pour qu'une pensée soit qualifiée de délire, il faut quecertains critères soient réunis :
  • le fait d'être sûr de cette croyance tenue avec une conviction absolue ;
  • le fait que la croyance ne puisse pas être changée par des contre arguments convaincants ou par la preuve du contraire ;
  • la fausseté ou l'impossibilité de la croyance.
Le diagnostic est donc délicat à établir du fait que chacun de ces critères peut être plus ou moins ambigus. Si je prends le cas "Jésus", il est sur à 99,99% de ce qu'il avance mais admet face à moi qu'il pourrait se tromper. Et si je lui demande par exemple "et si tu te trompais et que la fin des temps n'ait pas lieu", il me répond qu'il en serait ravi et serait délivré d'une grande angoisse. Sa réponse est calme et dénuée d'angoisse et je n'ai pas face à moi un grand délirant. De la même manière, il accepte le débat sauf si l'on tente de faire usage d'argument d'autorité. Mais peut-on en vouloir à Jésus dans la mesure, ou ancien étudiant en philosophie, il sait fort bien qu'un argument d'autorité n'en est pas un. Enfin dans ce qu'il avance, même si cela semble un peu "fou", il n'y a rien d'impossible. Après tout c'est écrit dans la Bible et des centaines de millions de gens y croient.

C'est même le cœur du problème, à savoir que si Jésus peut parfois sembler un peu hors de la norme, il ne fait exprimer que des croyances et non un délire. On pourrait dire que Galilée qui combattait les thèses héliocentristes aux dépens de la thèse géocentrisme fut condamné en 1633 par les autorités ecclésiastiques. Plus près de nous, le docteur Semmelweiss qui posa les bases de l'asepsie fut lui aussi moqué par les autorités médicales et mourut dans la misère. L'histoire est pleine de ces "génies méconnus" s'étant heurté à l'imbécillité de l'autorité.

C'est sans doute là que résidé tout l'art du diagnostic psychiatrique dans la mesure où il faut séparer le bon grain de l'ivraie, c'est à dire la singularité de l'individu des symptômes. Or, j'ai pu constater que par manque de temps, mes confrères psychiatres ne prenaient pas tout le temps pour écouter le patient, pour en saisir l'originalité et replacer les symptômes à leur juste place. C'est d'ailleurs pourquoi Jésus ne veut plus entendre parler de médecine psychiatrique. Non qu'il n'y croie pas mais qu'il se soit senti jugé et totalement dévalorisé par un système d'état qui amalgamait sa singularité et sa souffrance. 

Là où il aurait fallu tenter d'atténuer les symptômes tout en respectant l'originalité de Jésus, même si l'on n'y adhère pas personnellement, il n'a perçu qu'une entreprise de normalisation tentant coûte que coûte à le faire entrer dans un moule dans lequel il aurait perdu toute originalité et se serait renié. Si Jésus explique qu'il ressent des douleurs comparables à celles qu'évoque Padre Pio, il faut alors tenter de le comprendre et non de penser automatiquement au délire. On peut être croyant sans être fou.

Toute manifestation hors du commun n'est pas de l'hystérie et c'est justement à la psychiatrie de marquer les bornes de ce qu'il faut rendre à César ou à Dieu, sous peine de devenir un ersatz de psychiatrie soviétique qui jugeait que tout individu anti-communiste était un déviant sévère méritant la camisole. Cela pose sans doute la question de la sélection des médecins et du scientisme ambiant. Il faut parfois admettre que l'on ne sait pas et faire de son mieux pour apaiser le patient. Cela nécessite d'établir un dialogue, de nouer une vraie relation thérapeutique et non de se comporter en médecin lors d'un conseil de révision.

C'est vrai qu'aujourd'hui Jésus va mieux. Mais il aurait pu aller beaucoup mieux encore et surtout plus rapidement. Sans doute que certaines molécules, à définir, lui ferait du bien et lisserait son humeur. Une amphétamine s'il est réellement atteint d'un TDAH ? Un anti-épileptique s'il a un trouble bipolaire ? Un antidépresseur tricyclique s'il ce n'est qu'une dépression ? Je n'en sais rien et il ne m'appartient pas de faire de l'exercice illégal de la médecine.

Tout ce que je sais, c'est qu'à moins de l'y contraindre par la force, Jésus ne mettra plus jamais les pieds dans le cabinet d'un psychiatre. Récemment encore, son généraliste, sans lui demander son avis, lui avait pris rendez-vous avec un grand spécialiste des troubles bipolaires. J'étais plutôt content de cette idée mais j'aurais juste voulu que son médecin en discute avec lui et moi plutôt que d'autorité, il prenne ce rendez-vous.

D'une part, c'était nier le travail spécifique que je fais avec Jésus et que l'on pourrait appeler de la thérapie psycho-éducative, au cours de laquelle je l'entraine à vivre au mieux avec ses symptômes. Enfin, c'était user d'une grande violence à l'égard de Jésus dans la mesure où ce rendez-vous était pris sans qu'il n'ait été mis au courant, comme on emmènerait un chien chez le vétérinaire. Jésus et moi avons d'excellents rapports et j'aurais pu le persuader d'honorer ce rendez-vous.

Au lieu de quoi, lorsque je l'ai revu la semaine passée, il allait très mal parce qu'il avait imaginé que j'étais de mèche avec son médecin. Il a fallu que je jure sur ce que j'avais de plus cher que je n'étais pas au courant de cette initiative pour que Jésus admette que j'avais été moi aussi gardé dans l'ignorance totale de la démarche de son généraliste. J'ai vu des mois de progrès constants balayés par une démarche arbitraire d'un médecin qui s'entête à voir en Jésus une sorte de "fou" simplement parce qu'il ne partage pas ses idées.

Chaque fois que j'ai reçu des patients, j'ai toujours tenté de percevoir en eux, la partie saine de leur psyché sur laquelle j'allais m'appuyer pour créer l'alliance thérapeutique et avancer. J'ai toujours pris garde de les juger et ai toujours mis en avant mes failles(lubies, cigarette, etc.) afin de leur offrir un rapport d'humain à humain et non exclusivement de "sachant" à "paumé" parce que justement je déteste ceux qui font "peter leurs galons" pour faire usage d'arguments d'autorité.

Écouter un patient n'est pas si difficile. Faire la part entre la singularité de la personne et ses symptômes est juste une question de discernement. De mon côté, j'ai toujours jugé qu'on ne pouvait décemment pas faire de psychologie en ignorant les données physiologiques à moisn de sombrer dans le psychologisme. L'inverse est aussi vrai et il me semble difficiel de faire de la psychiatrie efficace en niant la psyché du patient et sa singularité.

Aujourd'hui, je me retrouve un peu paumé simplement parce que Jésus est fâché avec la médecine qui aurait vraiment pu lui être utile. Et ce n'est vraiment pas de sa faute !

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

"Pour qu'une pensée soit qualifiée de délire, il faut que certains critères soient réunis :
le fait d'être sûr de cette croyance tenue avec une conviction absolue ;
le fait que la croyance ne puisse pas être changée par des contre arguments convaincants ou par la preuve du contraire ;
la fausseté ou l'impossibilité de la croyance."

Pourquoi cette description me fait furieusement penser au socialisme ?

5/10/15 7:54 PM  
Blogger Le Touffier said...

Cher Monsieur Philippe,

Je comprends bien l'utilité de lister des critères pour chaque pathologie, j'ai apprécié encore une fois votre sens de la nuance dans votre approche thérapeutique, je ne souhaite pas débusquer la petite bête pour le plaisir, mais quand vous écrivez :

Pour qu'une pensée soit qualifiée de délire, il faut que certains critères soient réunis :

le fait d'être sûr de cette croyance tenue avec une conviction absolue ;
le fait que la croyance ne puisse pas être changée par des contre arguments convaincants ou par la preuve du contraire ;
la fausseté ou l'impossibilité de la croyance.
,

j'ai l'impression que ces critères peuvent s'appliquer à 95 % des gens qui m'entourent, et pas seulement les femmes ou les socialistes.

A croire que c'est la nature de la croyance qui définirait le délire. Croire en la parole divine peut aujourd'hui être considéré comme un délire. Par contre, croire que ceux qui nous gouvernent se préoccupent de nous autres, manants, est une déraison socialement répandue et même encouragée, qu'il est impossible de nuancer par des contre arguments convaincants ou par la preuve du contraire.

5/10/15 8:51 PM  

Enregistrer un commentaire

<< Home