Les mots pour le dire !
Récemment, un de mes ex patients est revenu me voir pour un rendez-vous m'a fait part d'un drame atroce parvenu à l'un de ses amis voici quelques temps. Alors en bref, le gamin schizophrène de son ami, a tué sa grand-mère au cours d'une crise à coups de couteau. La grand-mère étant donc la mère de son ami et non la mère de mon ex patient si vous avez ien suivi !
Bref, le type en question se trouve donc à aller aux obsèques de sa chère maman assassinée par son propre fils. Vous imaginez un peu l'ambiance ? L'assassin de sa mère est son propre fils. Bien sur, ce dernier est manifestement l'un de ces rares schizophrènes dangereux mais cela n'enlève rien au drame. C'est d'autant plus monstrueux, que manifestement, d'après ce que m'expliquait mon ex patient, personne n'ignorait l'état du jeune homme en question. Plusieurs appels à l'aide avaient été lancés auprès des services compétents pour une demande d'internement, lesquels étaient restés lettre morte.
Face à ce drame, mon ex patient n'a pas su comment réagir. L'ayant appris voici une dizaine de jours, il n'a pas su quoi dire et je le comprends. Et alors, il m'a demandé ce qu'il pourrait bien dire à son ami. Il m'a avoué qu'il avait été tellement tétanisé par la nouvelle, qu'il n'avait pas su quoi lui dire et avait préféré garder un silence dont il se sentait coupable. Comme il me l'expliquait, il aurait aimé trouver des paroles réconfortantes qu'il ne parvenait pas à formuler.
Et moi, fort de toute mon expérience, je lui ai dit, qu'il n'y avait sans doute aucun mot capable d'atténuer l'état de son ami. et que pas plus que lui je n'aurais su trouvé les bons mots face à un tel drame. Il aurait aimé que je l'aide à formuler quelque chose qui puisse aider son ami ami mais je lui ai dit, qu'il n'y avait sans doute aucune parole qui dans ces moments aussi proches du drame sauraient atténuer la réalité de ce qu'il vivait.
Les mots ne sont pas magiques. Je sais que beaucoup pensent que la psychologie doit agir un peu comme le feraient des formules magiques et qu'en choisissant les bons mots, on devrait parvenir à atténuer les traumatismes vécus par les gens. C'est évidemment faux, sauf dans les fictions ou le psy, soit compatissant, soit très malin, prononce des paroles lourdes de sens qui calment d'emblée la personne assise en face de lui en l'amenant à réfléchir sur ce qu'il vient de vivre.
Dans la vraie vie, quand un drame atroce vous atteint, la plupart du temps, seuls les anxiolytiques à plus ou moins forte dose ont l'effet escompté. On vous défonce à un degré plus ou moins important et on avise une fois que la crise s'atténue un peu pour vous parler. Parce que parfois la réalité semble si terrible que seul le Dalaïlama, si tant est qu'il soit dans la vraie vie aussi si zen qu'il le montre, pourrait y résister. De toute manière, le Dalaïlama, n'ayant ni parents, ni enfants, il n'est pas concerné par tout un tas de trucs. Ce n'est pas lui qui vivra le deuil affreux occassionné par la mort subite du nourrisson par exemple.
La sidération, la stupeur ou l'immense colère ou chagrin provoqué par un drame ne sont pas vraiment les terrains les plus adéquats sur lesquels le gentil psy puisse venir poser ses gentils mots ou ses raisonnements intelligents. Il est fort à parier qu'il ne serait au mieux pas entendu et au pire qu'on l’enverrait se faire foutre, ce qui serait amplement mérité. Face au drame soudain, on ferme sa guule, on compatit et on ne dit rien parce que les mots ne sont rien.
C'est peu ou prou ce que j'ai expliqué à mon ex patient parce que cela lui semblait le plus sage. Comme je lui disais : tu penses que le pouvoir de tes mots bien choisis est tel que dès qu'il va les lire, ton pote va immédiatement aller mieux ? Et puis, l'ami de se dire : ah voilà des mots qui font du bien, merci, ça va déjà mieux, je trouve déjà du sens dans l'expérience atroce que je vis, tu es vraiment doué, à croire que tu es la réincarnation de Jésus ! Et puis après, son ami l'aurait appelé pour le remercier et lui dire que g^race à ses mots magiques, il allait bien mieux et que ce serait sympa qu'ils se fassent un bon restau pour oublier tout ça parce qu'après tout la vie continue.
C'est bien ce que pensait mon ex patient et c'est pour cela qu'il est resté silencieux. Alors il m'a demandé ce qu'il pourrait bien dire ! Parce que ne pas trouver les mots, c'était bien beau, il y avait déjà songé tout seul et que mon aide serait de l'aider à trouver les bons mots justement. Alors je lui ai martelé qu'il n'y avait pas de bons mots, juste la bonne attitude consistant à convaindre son ami qu'il était là, proche de lui, et qu'en cas de besoin, il serait là pour l'épauler.
Je lui ai alors dicté à peu près cela : je viens d'apprendre le drame affreux qui te touche. Aucun mot ne saurait apaiser la douleur qui doit être la tienne. Sache simplement que je suis là et qu'en cas de besoin tu peux compter sur moi. Voilà, point, c'est tout. Qu'il tourne ceci comme il le voudra en comprenant qu'il n'existe aucune formule magique et que dans ces cas, on traduit simplement son amitié en envoyant un mot pour faire comprendre qu'on a pris connaissance de la situation et qu'on est disponible en cas de besoin. Mon ex patient a aquiescé et m'a dit qu'il dirait la même chose, en substance à son ami.
Effectivement, si cet ex patient était venu chercher la formule magique pour apaiser la douleur de son ami, il en aura été pour ses frais. Je ne suis pas magicien et si j'aime les mots, je sais qu'ils sont bien peu de choses dans certaines situations. Le silence est parfois préférable.
C'est ce qu'expliquais un jour Le Touffier, gynécologue obstétricien, quand quelqu'un lui a demandé quels mots il employait en cas de décès d'un bébé. J'avais beaucoup aimé quand il avait dit qu'à la porte de la chambre de la parturiente, quand celle ci se demande si les pédiatres ont pu sauver l'enfant qu'elle vient de mettre au monde, il prenait sa respiration et entrait d'un coup pour lui asséner la terrible votre sentence avec ces simples mots : je suis désolé mais votre enfant est mot.
Comme il le disait, sa formule pouvait sembler lapidaire et inappropriée mais dans les faits, il allait juste asséner un grand coup de batte de base-ball à la dame, alors même repeinte en rose avec des petites fleurs, ça allait faire mal. Et comme il l'avait rajouté, son rôle était juste de rester sans rien dire dans la chambre, le temps de s'en prendre plein la figure parce qu'il servait alors de bouc émissaire pour toute la rage et le désespoir de cette femme. Voilà, dans certaines circonstances, les mots sont inutiles. On n'es pas au cinéma.
Quoiqu'au cinéma et notamment dans les polars, cela soit assez bien rendu quand un inspecteur de police doit annoncer à la famille qu'un des membres, mari, épouse, enfant, vient d'être assassiné. On voit souvent le type frapper à la porte annoncer la nouvelle sobrement et recevoir le déluge d'émotions dans la figure. Parfois c'est suivi d'un hurlement terrible et de coups, parfois c'est simplement la sidération et le silence. Chacun fait comme il peut face au chagrin.
Moi-même lorsque mes parents sont décédés, j'ai repris le travail immédiatement sans rien dire. Ma mère est décédée un dimanche et le mardi, le temps de faire les démarches, je reprenais mes consultations. Mon père, c'était un lundi et le lendemain j'étais à mon cabinet. Non parce que je suis un surhomme mais parce que je me vois mal chouiner comme un nourrisson alors qu'une part de mon métier est d'aider les gens se trouvant face au deuil. Et puis à quoi aurait servi 'avoir tant lu, Épictète, Sénèque et Cicéron, si c'est pour tout oublier devant les épreuves.
Ce n'était d'ailleurs pas de la froideur de ma part. Je parle beaucoup de moi mais rarement de ce qui me touche. Et surtout, je crois que les paroles de gentillesse m'auraient ennuyées plus qu'autre chose sur le moment parce qu'il aurait fallu que je me montre aimable à mon tour en expliquant combien ces paroles m'aidaient, ce qui aurait été évidemment faux. Je crois que mon état d'esprit c'était plutôt : foutez moi la paix, ça va passer, merci. Taire les choses étaient donc la meilleure stratégie.
Ce n'est que quelques semaines après que les patients que je connais bien l'ont appris. D'une part parce que j'ai parlé de mes chiennes alors qu'en fait j'avais juste récupéré celles de mon père. Quelques uns, très gentils et très compatissants m'ont demandé pourquoi je n'en avais pas parlé auparavant. Je leurs ai dit que c'était eux qui venaient me consulter et non l'inverse et que justement, si je n'arrivais pas à surmonter les épreuves de la vie, je n'avais rien à faire assis à ma place. Certains trouveront mon attitude orgueilleuse et idiote et d'autres au contraire la jugeront adaptée. Je n'en sais rien, je vis les choses telles que je suis conformé psychologiquement.
Face aux épreuves, un capricorne se doit d'être un roc qui sert toujours de repère dans les tempêtes et non un sucre qui fond dans un café. Et puis je dois vous dire que je suis assez con et orgueilleux pour me trouver grand quand j'agis ainsi. Moi qui panique face à n'importe quel formulaire Cerfa que je dois remplir et qui appelle ma femme à l'aide, je sais rester stoïque face aux coups du sort !
Et pensez vous que le grand Sénèque dont j'ai tant admiré les consolations, les ait envoyées au moment du drame. Certes non ! Le temps de les penser, d'en dresser le plan et de les écrire, il s'était écoulé un certain moment avant que les personnes en deuil les reçoive. Pensez_vous que Marcia aurait adoré que Sénèque lui écrive que perdre son fils n'était pas un drame au regard de la philosophie stoïcienne ? Je pense qu'elle l'aurait envoyé balader avec pertes et fracas !
Bien au contraire, il aura fallu trois années avant que Sénèque ne fasse parvenir à Marcia cette fameuse consolation qui nous reste et dans laquelle il aborde le deuil.
Les mots ne sont pas magiques, la psychologie n'est pas magique. Il n'y a que des processus qui se mettent à l’œuvre pour rendre vivables les épreuves de la vie. Se taire et juste signaler qu'on est là, est souvent la meilleure des choses dans l'instant.
1 Comments:
A voir également le film "Senèque" avec Henri Virlogeux dans le rôle de Senèque.
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