28 octobre, 2010

Troubles somatoformes (1)


Pour une médecin, rien de pire que de constater que toute sa science ne sert à rien. Souvent, plutôt que de s'avouer vaincu, il multipliera les examens à l'envi ou pire psychiatrisera le patient soudainement comme on jetterait un rebut dans une poubelle. Dès lors, la psychiatrie n'est plus une aide efficace mais simplement une voie de garage que l'on propose au patient, lequel sera médicalisé sous une autre forme et abandonné à son triste sort. De malade incurable, il devient cas pathologique, son état se détériore jusqu'à son complet dysfonctionnement.

Évidemment, tous les médecins ne sont pas ainsi, et il en existe d'excellents qui savent rendre la main intelligemment en estimant qu'ils sont allés au bout de leurs compétences et que d'autres peuvent aider leur patient. Leur problème est alors de savoir substituer pour ces patients difficiles une autre forme de traitement sans tomber dans la charlatanerie.

C'est ainsi que j'hérite parfois de cas agaçants les médecins avec qui je collabore. Ainsi, cette année j'ai eu le droit à une curieuse personne. Il s'agit d'une jeune femme âgée d'une trentaine d'années dont le médecin se plaint. Elle consulte depuis six mois pour des douleurs. Tout d'abord c'est une fibromyalgie qui l'amène à consulter. Le genre de pathologie dont on sait qu'elle existe mais dont on a du mal à savoir pourquoi et comment elle survient. La prise en charge comprendra des piqures de calcium tous les jours. 

Puis, après que cela soit traité, ce sont des douleurs terribles qui réveillent cette patiente au petit matin. Compte-tenu de la localisation de cette douleur aux hanches, le diagnostic de spondylarthrite ankylosante (SPD) est posé et le traitement mis en place. Comme le mal persiste, des examens sont mis en place et notamment une scintigraphie qui ne révèle aucune trace d'inflammation. Des antidouleurs sont toutefois maintenus. En revanche, devant l'irruption de ces symptômes sans cause, rien n'est proposé au plan psychologique. 

Le médecin qui me l'envoie se doute que quelque chose ne va pas mais me propose cette patiente comme si il me disait "allez vas-y moi je n'y comprends rien". Pourtant, le diagnostic aurait du être clair et posé assez précisément. Cependant, à force d'en rester au somatique sans s'intéresser au plan psychologique, le médecin connait tout du corps de sa patiente sans rien savoir de sa vie.  Or, même si le concept de maladie psychosomatique doit être manié avec doigté pour ne pas sombrer dans l'explication fourre-tout, il ne faut pas l'obérer. 

Mais pour ce médecin, par ailleurs excellent praticien, le fait de ne pas trouver est pour lui la preuve que sa patiente n'a rien et qu'elle simule. Et c'est bien là que se pose le problème, à ce carrefour dans lequel on est forcé de se demander si en raison de l'absence de lésions vérifiables, on est en face d'une simulatrice ou d'un autre cas. Le schéma ci-dessous illustre fort bien le chemin à suivre.



D'un côté le patient est conscient que c'est un processus psychologique qui l'amène à produire ses symptômes et sait qu'il "trompe" le médecin. Et on est face à des simulateurs classiques (demande d'arrêt de travail, etc.) soit pire encore face à des troubles factices que l'on connait mais dont l'origine est inconnue (Munchausen, syndrome de Lasthénie de Ferjol, etc.) et qui seront difficiles à traiter.

De l'autre coté, la sincérité du patient n'est pas à mettre en doute. Les douleurs sont réelles et il ne peut en expliquer l'origine. Et il n'a aucune conscience qu'il pourrait produire lui-même ses symptômes. Il se trompe de bonne foi et sa détresse est réelle. Il n'a pas conscience de vouloir être pris en charge et  de tenter d'intéresser son entourage par la production de symptômes parce que ces symptômes  existent et il ne les invente pas.

En ce cas, on est face à un trouble somatoforme qui est une maladie psychosomatique dans laquelle, le corps "parle" à la place du patient. La caractéristique essentielle est l’apparition de symptômes physiques associés à une quête médicale insistante, persistant en dépit de bilans négatifs répétés et de déclarations faites par les médecins selon lesquelles les symptômes n’ont aucune base organique- S’il existe un trouble physique authentique, ce dernier ne permet de rendre compte ni de la nature ou de la gravité des symptômes, ni de la détresse ou des préoccupations du sujet-

Selon la classification internationale des maladies (CIM-10), les troubles somatoformes sont «caractérisés par des symptômes physiques associés à des demandes d'investigation médicale, persistant malgré des bilans négatifs répétés. La présence avérée d'un trouble physique authentique ne permet pas de rendre compte de la nature ni de la gravité des symptômes du patient. Le patient s'oppose à toute hypothèse psychologique pouvant expliquer ses troubles, même quand le contexte l'évoque ou qu'il existe des symptômes dépressifs ou anxieux manifestes». La CIM-10 spécifie, par ailleurs, «que ces patients présentent souvent un comportement histrionique et essayent d'attirer l'attention d'autrui, notamment quand ils ne réussissent pas à convaincre leur médecin de la nature essentiellement physique de leur maladie et de la nécessité de poursuivre les investigations et les examens complémentaires».

Les deux grandes classifications utilisées en psychiatrie, à savoir la CIM-10 et le DSM-IV, sont globalement superposables en la matière, hormis en ce qui concerne les troubles de conversion qui sont considérés comme troubles dissociatifs selon la CIM-10 (survenant en relation temporelle étroite avec des événements traumatiques, problèmes insolubles ou insupportables ou relations interpersonnelles difficiles). Selon le DSM-IV, ils sont classés dans les troubles somatoformes. Le critère de troubles histrionnique est donc à prendre avec du recul car si on peut imaginer que la prise en charge par les médecins intéresse la personne, ce n'est pas non plus le seul motif de consultation.
 
Sont donc communément admis comme étant des troubles somatoformes : la somatisation, le trouble hypocondriaque (incluant la dysmorphophobie), le trouble somatoforme indifférencié, le dysfonctionnement neurovégétatif somatoforme, le syndrome douloureux somatoforme persistant, et selon les classifications, les troubles de conversion. En bref tous ces maux que l'on ne peut pas nier parce qu'ils existent mais dont on ne connait pas l'origine par des examens médicaux poussés.

On retrouve dans les troubles somatoformes les troubles somatisation, les troubles de conversion, les troubles douloureux, l'hypocondrie et la peur d'une dysmorphie corporelle (ou dysmorphophobie).
  • Le trouble somatisation : antécédents de plaintes somatiques débutant vers l'âge de 30 ans. Les symptômes surviennent à n'importe quel moment et ne sont jamais produits intentionnellement. Il y a des symptômes douloureux (tête, dos, articulations, extrémités, poitrine, rapports sexuels...), symptômes gastro-intestinaux, symptômes sexuels autre que la douleur et des symptômes pseudoneurologiques.
  • Les troubles de conversion: un ou plusieurs symptômes ou déficits touchant la motricité volontaire ou des fonctions sensitives ou sensorielles suggérant une affection neurologique ou médicale générale. Il y a des facteurs psychologiques associés aux symptômes ou aux déficits (conflits ou autres facteurs de stress). Ils ne sont pas produits intentionnellement.
  • Les troubles douloureux: douleur dans une ou plusieurs localisations anatomiques, d'intensité suffisante pour justifier un examen clinique. Non intentionnels.
  • l'hypocondrie : Crainte d'être atteint d'une maladie grave fondée sur l'interprétation erronée par le sujet de symptômes physiques. C'est une préoccupation persistante non délirante et ce malgré un bilan médical rassurant.
  • La dysmorphophobie : préoccupation concernant un défaut imaginaire de l'apparence ou préoccupation manifestement démesurée d'un léger défaut.
Tous ces troubles peuvent être à l'origine d'une grande souffrance et entraîner un nomadisme médical pouvant aller jusqu'à l'intervention chirurgicale.


Dans tous ces cas, lorsqu'aucune piste physiologique n'a été déocuverte, une prise en charge psychologique est nécessaire. Ces troubles seront alors spectaculairement diminué par une thérapie quelle soit sa forme.  Il peut s'agir parfois simplement de retrouver du soutien social. On notera toutefois que quelle soit la forme suivie de thérapie suivie par ce type de patient, l'importance pour eux de s'engager dans un processus au cours duquel elles investissent le thérapeute qui pourra être n'importe quelle personne qu'elles revêtent de cette qualité.

Il semble que pour ces personnes, l'important soit de s'engager dans un processus, de persévérer et d'y trouver de la reconnaissance. Ainsi, à côté des formes classiques de thérapie comme celle que je pratique, certains patients souffrant de troubles somatoformes trouveront leur équilibre dans la pratique d'une activité associative, d'un sport ou en se mettant en couple.

L'important, c'est de se souvenir que dans les troubles somatoformes, c'est le corps qui parle à la place du patient et que dès lors, tous les moyens sont bons à envisager pour favoriser l'expression du patient. L'amour, le sport, les activités associatives, par l'engagement qu'ils requièrent sont d'autres formes de thérapies ou plutôt des soutiens à ne pas négliger.

1 Comments:

Blogger Unknown said...

Bonjour, votre article est très intéressant ! Je me permet de vous poser quelques questions en espérant qu'elles retiendront votre attention. Est-il possible de souffrir de ce syndrome à partir de 40 ans ? Des paresthésies aux 2 mains peuvent-elles faire parti des symptôme de cette "maladie" ? Quel traitement à effet rapide préconisez vous ? Merci par avance pour vos réponses

3/9/16 9:56 AM  

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