27 novembre, 2011

Prédire la dangerosité ! Première partie



Le meurtre récent d'Agnès a mis en relief la difficulté qu'il y avait à prédire la dangerosité d'un individu et peut être plus encore plus la difficulté pour ceux qui sont chargés de ces expertises la difficulté d'accepter leurs responsabilités en cas d'erreur d'appréciation manifeste.

Qu'il s'agisse du juge s'appuyant sur l'expert pour rendre justice, ou de ce dernier qui nous explique qu'il n'offre qu'un soutien à la décision mais qu'elle n'appartient qu'au juge, personne n'endosse aujourd'hui la responsabilité de ce qui aurait pu être évité si on avait su prévoir la récidive chez Mathieu, le jeune violeur et assassin d'Agnès.

La définition de ce qu'est un criminel « dangereux » est simple puisqu'il s'agit d'une personne ayant une forte probabilité de commettre à nouveau un acte de violence ou de destruction. C'est la dangerosité qui retient notre attention plus que le crime en lui même. Car si la peine peut sanctionner le crime, elle doit aussi prévenir la dangerosité de la personne emprisonnée en prenant en compte sa propension à perpétrer de nouveau un acte de violence.

En effet, condamner un criminel dangereux à cinq, dix, quinze, ou vingt années d'emprisonnement n'aurait aucun sens si une fois libéré, nous sommes sûrs que cette personne recommencera ce pourquoi elle fut emprisonnée. Et bien entendu, cette notion de probabilité de la récidive est à prendre particulièrement en compte chez les criminels sexuels dans la mesure où leurs actions ne sont pas mues par des motifs d'enrichissement comme chez un braqueur mais plutôt par un système pulsionnel qui les fera tôt ou tard repasser à l'acte. Il s'agit donc pour prédire la dangerosité d'un individu, de savoir quel est "le risque que cette personne adopte un comportement violent au cours d'une période définie, dans un contexte défini"

Comme l'écrit le psychiatre Michel Bénezech :dans le domaine de la psychiatrie et de la criminologie, on pourrait définir la " dangerosité " comme la capacité d'un individu ou d'un groupe à présenter un risque de violence et de transgression, physique ou psychologique, ou encore comme une disposition, dans un contexte donné, à passer à l'acte d'une manière violente et transgressive. En effet, s'il existe des troubles exposants, il existe aussi des situations à risque ou des représentations sociales qui génèrent des comportements de violence ou en activent la disposition chez les individus. Or, l'identification d'un risque implique de l'évaluer, d'en analyser les déterminants et de le prévenir.

Il existe deux grandes catégories de méthodes d’évaluation de la dangerosité, les méthodes cliniques et les méthodes actuarielles. Tandis que les premières utilisent des notions psychopathologiques pour dresser un profil de la personne et donc un diagnostic, les seconds s'appuient sur des statistiques de manière à mesurer de manière dynamique la probabilité que la personne aura ou pas de perpétrer d'autres violences.

Parmi les évaluations cliniques, seuls les entretiens semi-structurés, c'est-à-dire guidés par des outils validés internationalement, ont un certain succès prédictif. En revanche, les entretiens cliniques seuls peuvent manquer de validité dans la mesure où sans méthode, il est probable qu'un lien se tisse entre l'expert évaluateur et l'évalué et que l'entretien se mue en pseudo-thérapie où l'on cherche plus à comprendre qu'à évaluer le risque. Je ne doute aucunement de la probité des experts mais uniquement de la capacité humaine à ne pas faire preuve d'empathie pour se transformer en "entomologiste" froid uniquement axé sur l'étude de la personne.

Les outils d'analyses sont nombreux : PCL-R, HCR-20, SVR-20, etc. Pour soutenir le jugement clinique, divers instruments ont été développés depuis le début des années 1980. Dans le champs du comportement criminel, l'échelle de psychopathie de Hare (PCL-R) s'avère particulièrement utile. Il s'agit d'une grille d'analyse développée pour cerner les des traits de personnalité (facteur 1) mais aussi les comportements antisociaux ou les comportements associés au comportement antisocial, tel par exemple l'impulsivité (facteur 2).

On a pu constater que les psychopathes, diagnostiqués sur la base de cet instrument, récidivent davantage, plus rapidement et sous une forme violente en comparaison des non psychopathes. L'évaluation de la psychopathie demeure un aspect important dans l'évaluation des risques posés par un individu atteint d'un trouble mental sévère et persistant. Car c'est bien la psychopathie qui pose le plus souvent problème dans la mesure où ces individus dénués d'empathie ne seront jamais capables d'apprécier les conséquences morales de leurs actes. Dès lors, vivant sous la seule règle du "je veux/je prends", il y a fort à parier qu'ils récidivent.

L’outil le plus utilisé en Europe dans le cadre de du diagnostic de psychopathie est l’échelle HCR-20, qui permet de récolter des informations sur le passé, le présent et le futur de la personne que l'on cherche à évaluer. C'est l'analyse du présent qui fait l'objet d'entretiens cliniques, l'expert étant guidé par la méthode.


Ces méthodes sont utiles mais restent toutefois sujettes à caution dans la mesure où il s'agit d'une observation effectuée par un être humain avec toute la subjectivité que cela provoque. Et puis, il n'est pas interdit au sujet subissant cet examen de mentir pour se concilier les bonnes grâces de l'évaluateur. Et l'on sait que le psychopathe est un menteur et un manipulateur patenté.

On a donc coutume d'estimer que les méthodes les plus prédictives en termes de fiabilité restent toutefois les calculs actuariels, car uniquement basés sur des statistiques. Elles nécessitent toutefois d'être complétées par une évaluation dans la mesure ou aucun taux de corrélation fourni ne permet d'établir une prédiction absolue proche de la certitude. S'agissant de justice et de réinsertion possible, il s'agit de laisser "une chance" à la personne qui subit l'entretien. En effet, l'engagement de la personne dans un traitement thérapeutique mais aussi la prise de médicaments ou la prise en compte d'autres éléments biographiques tels que le soutien social (amis famille) ou des modifications de son environnement (travail) permettent aussi d'analyser plus finement ces prédictions statistiques.

Le VRAG (Violence Risk Appraisal Guide) est un des outils actuariels les plus utilisés en matière de prédiction d’actes de violence avec une variante spécifiquement élaborée pour les violences sexuelles (S.O.R.A.G.) . Comme le montre le tableau ci-dessous, il comprend « des variables diagnostiques (trouble de la personnalité, schizophrénie, score de psychopathie) à côté de variables de type démographique (statut conjugal, âge lors du dernier délit) ou criminologique (antécédents de délits non violents, victimes de sexe féminin) »



Tout instrument, quel qu'il soit, ne peut évidemment faire abstraction de l'analyse du clinicien. Un risque important serait de se reposer totalement sur la technique psychométrique pour pallier le déficit d'analyse personnelle. Parce que justement, l'analyse personnelle, cette activité clinique nécessaire, doit permettre de prendre en compte des éléments contextuels comme l’état émotionnel du patient, son implication dans un traitement, ainsi que sa situation future (retour dans la communauté, possibilité de traitement, etc.). Ces outils ne sont que des outils.

Enfin, l’intérêt des évaluations cliniques est qu’elles permettent aussi de gérer (et non pas seulement de prédire) le risque en définissant un traitement adapté. Ainsi, malgré leur extrême dangerosité lorsqu’ils sont laissés sans soins, les schizophrènes paranoïaques ne le sont plus une fois sous neuroleptiques. Ainsi, en fonction des pathologies, l'internement ou la prison à vie ne représentent pas la panacée parce que parfois seule une surveillance suffit. Le vrai problème vient en fait des psychopathes et des criminels sexuels et globalement de ces personnes capables de s'intégrer superficiellement, capables même de fournir le discours qu'un psy chargé de les évaluer attend d'elles, dont on ne sait pas s'ils passeront à l'acte ou non.

On voit bien que loin de remplacer l'expertise clinique, l'ensemble de ces instruments extrêmement utiles ne sont que des moyens de standardiser la démarche d'évaluation et aussi des guides permettant à l'expert de se référer à un cadre. Ils ne constituent que des outils d'aide à la décision. La faculté de jugement reste donc au centre de la démarche consistant à prédire la dangerosité d'un individu. Dans l'affaire du meurtre abominable d'Agnès force est de constater que l'ENM et le doctorat de médecine ne fournissent parfois que des connaissances mais aucune faculté de jugement.

En ce qui concerne Mathieu l''assassin d'Agnès, et au regard des renseignements que l'on a pu lire dans la presse (et sous réserve qu'ils soient vrais), on ne peut que regretter non pas un concours de circonstances comme ont tendance à l'affirmer magistrats, psychiatres et élus fuyant leurs responsabilités mais un véritable scandale. Mathieu avait déjà violé avec une sauvagerie inouïe une adolescente de quinze ans l'année précedente.

Ainsi, un article du Figaro, nous révèle que : De façon plus sourde, ce petit fumeur de joints est tenaillé par des perversions sexuelles longtemps inassouvies. En août 2010, il est accusé du viol d'une adolescente de 15 ans de son village. L'agression, d'une violence inouïe, a déjà été orchestrée à l'avance. Mathieu avait notamment préparé les liens pour l'entraver et la bâillonner. Mis en examen pour viol avec violences, le lycéen purge quatre mois de détention provisoire avant d'être libéré en novembre. Pendant sa première incarcération, quatre experts diligentés par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), dont un psychologue, l'ont visité en cellule avant de pondre un rapport d'investigation et d'orientation éducative (IOE). Bien qu'assez fouillé et destiné à éclairer les magistrats dans leur décision, ce document épais de plusieurs dizaines de pages n'a, à aucun moment, décelé la venimosité latente du personnage. Dans leurs conclusions, les experts psychiatriques avaient jugé le garçon «réadaptable, réinsérable et ne présentant pas de dangerosité ».

On constate donc que l'on n'a manifestement pas à faire une "banale affaire de mœurs", une sorte de flirt qui aurait "mal tourné", d'un "problème de jalousie" mais à la mise en oeuvre d'une vraie préméditation de la part d'un prédateur dangereux. De plus, au fur et à mesure que les langues se délient on constate que le chérubin, ainsi libéré par un magistrat soucieux de sa réinsertion, n'était pas le petit ange que l'on pensait comme l'affirment ses camarades qui l'ont fréquenté au quotidien et qui livrent leurs réflexions aux journalistes.

On est en droit de se demander de quel acte criminel abject on doit se rendre coupable pour bénéficier d'un diagnostic de psychopathe de la part de ces quatre experts, puisque préméditer un viol sauvage comme le ferait n'importe quel serial-killer ne suffit pas. Quant aux magistrats qui ont rendu leur décision, gageons que s'ils ne donnent que quatre mois de prison préventive pour un viol aussi monstrueux en permettant au coupable de retourner à l'école comme si de rien n'était (dans un établissement mixte), ils seraient par contre sans pitié pour un dépassement de limitation de vitesse !

N'importe quel adolescent boutonneux se passionnant pour le phénomène des tueurs en série depuis la sortie du Silence des agneaux et ayant lu les ouvrages de Robert Ressler, de John Douglas, voire même ceux du médiocre Stéphane Bourgoin auraient compris qu'il se trouvait face à un dangereux personnage.

Et puis, au-delà de toutes ces réflexions et de ces débats d'expert, c'est avant tout un problème de morale. On ne peut pas moralement, il doit être impossible de relâcher un tel criminel avant qu'il ne soit jugé aux assises et ce quelque soit son âge. Penser à la réinsertion du criminel à ce stade, c'est mettre la charrue avant les bœufs et finalement nier la souffrance de sa victime : on marche sur la tête. Un juge n'est pas lié aux conclusions de l'expert et quelle que soit le résultat de l'expertise, il m'aurait semblé normal que ce jeune homme reste incarcéré simplement parce que moralement, c'était normal qu'il le soit vu la gravité des faits !

Je plains d'autant plus les parents d'Agnès qu'il me semble que cela n'aurait jamais du arriver. Cette affaire est purement monstrueuse.


(sources : Gilles Côté, Xavier Bébin, Michel Bénézech)

5 Comments:

Blogger 100hp said...

Je partage votre colère. Nul besoin d'être psychologue pour comprendre qu'un individu capable de perpétrer un viol violent et prémédité, dont la victime elle-même ne se voyait pas ressortir vivante, est dénué d'empathie et dangereux.

27/11/11 3:06 PM  
Blogger Lucie Trier said...

Voilà. Merci.

27/11/11 6:23 PM  
Blogger V. said...

Oui.
La question qui demeure est : comment devient on comme ça ? Est ce qu'on ne le devient pas et qu'on le demeure (pour paraphraser qqn...) ?
Bien sûr on peut s'en foutre.
Le monstre est à abattre et c'est tout.
Mais comment se fabrique l'abominable ?
Comment peut on éviter de le fabriquer ?

28/11/11 10:14 AM  
Blogger Lousk said...

"Actuariel"... On retrouve l'économiste !

Merci pour cette très bonne série d'articles, à bientôt.

30/11/11 1:22 AM  
Blogger yan.M said...

J'ai lu la première partie après la deuxième et je suis tout à fait d'accord,surtout avec le point suivant:"Un juge n'est pas lié aux conclusions de l'expert et quelle que soit le résultat de l'expertise..."Je pense aussi qu'en effet face à des individus dénuées d'empathie,la moindre des choses est de leur rendre la pareille(bon,ce n'est pas une apologie de la "peine de mort"ou de la loi du talion bien évidemment)Il est important aussi de se consacrer aux faits,à savoir la gravité des crimes commis dans un contexte de gratuité livrée aux seules pulsion.ça permet en tout cas de ne pas tomber dans le piège de la relativisation.Enfin,s'il existe des criminels qui tentent d'instrumentaliser le psy et un éventuel suivi thérapeutique,il existe aussi des délinquants sexuels(qui n'ont en général pas un profil de psychopathe,eux)qui sont sincèrement demandeurs de thérapies.Je pense à certaines catégories de pédophiles pulsionnels ayant conscience e ce qu'ils font subir(j'en ai eu un il y a quelque temps,un prêtre)Or,d'un point de vue thérapeutique il n'existe que très peu de choses pour eux.La plupart des psys que je connais n'en veulent pas.S'il est évident qu'un outils diagnostique et statistique fiable s'impose pour les psychopathes,on manque aussi cruellement de réponses pour ceux qui sont récupérables ou que l'on assimile à tort aux premiers.

2/12/11 7:14 PM  

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