05 novembre, 2006

Hubris et Némésis !

Voici quelques mois, j’ai eu rendez-vous avec un cadre supérieur d’une grande entreprise française, désirant me recruter comme coach. Je ne suis pas fana de coaching mais cela nourrit bien son homme. De plus, en cadrant bien son intervention, et ne confondant pas cela avec une vraie thérapie, on peut être efficace. Et puis, quitte à faire un coaching, autant le faire avec moi, ou d’autres confères sérieux, cela évitera aux coachés de tomber sur un crétin qui va les gaver avec du développement personnel à deux balles ou une théorie à la noix sur les performances optimum.



Ce cadre sup’, appelons-le André, m’apprécie sinon il ne me ferait pas travailler. Il m’a connu parce qu’un de ses amis et ex-patient a fait de la pub pour moi. Toutefois André a des tendances narcissiques un peu pénibles à supporter. Gros salaire, grosse voiture, grand bureau, tous les attributs sont là pour vous faire comprendre, ou plutôt me faire comprendre que je suis à son service. Bienveillant et souriant en façade, sa mise en scène ne m’a jamais trompé : je suis presque son égal mais pas vraiment, presque son égal, et c’est ce presque qui est important ! Dans les faits, André me fait comprendre que si nous devions collaborer ensemble, il restera mon donneur d’ordres et moi un exécutant. Son genre, c’est « on se tutoie, on est cools, mais tu n’oublies jamais qui je suis, petit con ».

C’est une situation pénible à vivre pour deux raisons. La première, est que je suis habitué à régner d’une poigne de fer dans mon cabinet aussi l’impression d’être une sorte de vassal m’est-elle parfaitement intolérable. Enfin, si ce brave André est narcissique moi je suis terriblement orgueilleux, même si je masque cela derrière une façade de fausse humilité savamment travaillée ! Aussi suis-je tout à fait contre-indiqué pour jouer le rôle de faire-valoir de ce gros con suffisant ! Bien entendu, le terme gros con est employé ici de manière très affectueuse !

Mais au-delà de ces considérations primaires, il faut aussi entrer plus profondément dans l’analyse de cette relation humaine. Comme bon nombre de personnes, André considère que notre profession est utile mais pas pour lui bien sûr. Il est vrai qu’on reçoit plus souvent les victimes des narcissiques que les narcissiques eux-mêmes. Notre profession est donc utile pour les individus moyens, les personnes comme André étant bien au-delà de la thérapie car ils vont forcément bien et, de toute manière, même s'ils n'allaient pas bien, leurs troubles seraient bien au-delà de l'aide que des minables comme nous peuvent leur apporter ! Donc André me prend pour un brave type compétent, intelligent mais rien de plus. Pour lui, je suis une sorte de balai, un ustensile utile mais en un peu mieux car on peut parler avec moi et on peut aller déjeuner ce qui ne serait évidemment pas possible avec un balai. André est persuadé que mes connaissances sont rigolotes mais sans plus, mais il ne leur octroie pas réellement de valeur car André est au-delà de la psychopathologie faite essentiellement pour les individus désespérément moyens ou médiocres comme je l'expliquais. En plus, André étant pingre il ne m’offre jamais de bons restaurants arguant du fait qu’ici, dans son sinistre bouiboui, on sera plus tranquilles pour travailler. Par contre, si j’invite André, là, pas de problème, il apprécie les bonnes tables et les bons vins.

Pour les amateurs de transfert et contre-transfert, férus d’analyse, je pensais qu'André faisait un mauvais transfert à mon encontre et mon contre-transfert était aussi déplorable. En effet comme bosser avec un mec qui vous prend pour un brave con et à qui on a envie de mettre une droite. Bien sûr, moi, pétri de stoïcisme, j’aurais pu citer par cœur des phrases de Sénèque ou de Marc-Aurèle m’enjoignant de prendre les choses avec philosophie mais parfois je n’ai pas du tout envie d’être philosophe.

De manière plus professionnelle, je dirai que même si j’interviens en tant que coach et non comme psy, mes fonctions restent spécifiques et qu’il est nécessaire que j’aie des relations respectueuses avec mon donneur d’ordre. Il n’est pas question, pour des raisons déontologiques et éthiques que je m’achemine dans une direction galvaudant la spécificité de la relation humaine que j’aurais à créer avec les futurs coachés en apparaissant comme le sbire du patron. L’autonomie et l’indépendance sont les gages d’un bon coaching. Ou alors André aurait été capable de ma demander carrément ce que les gens m’avaient dit en entretien parce qu’un larbin doit forcément rendre des comptes !

Mais, ça, c'est en surface car je soupçonne aussi André de faire ami-ami avec moi pour tenter de devenir mieux que mon égal : mon supérieur. André, je le devine, a finalement un peu peur de moi sinon il ne tenterait pas chaque fois de m'écraser sous ses attributs du pouvoir tels que son grand bureau et son jargon. Au-delà des apparences, André n'est pas si sûr de lui, à défaut de nous consulter, André doit se dire qu'apprivoiser un psy et en faire sa chose est une manière de conjurer ses problèmes du genre "Moi ? Mais je n 'ai pas de problèmes ! Regardez, pff je suis même pote avec un psy et je le domine même !".

Dès lors vous l’aurez compris, un bon transfert revenait à ce qu’André me respecte ! Et, ma foi pour se faire respecter soit, il faut se faire admirer, soit se faire craindre, soit les deux !

En bref André m’emmerdait depuis un certain temps, à me déconsidérer alors qu'en plus je voyais plutôt clair en lui et je me disais qu’un jour, je lui mettrais sa petite branlée à ce connard. Encore une fois, le terme connard est employé ici de manière est affectueuse et branlée signifie une correction fraternelle par laquelle on fait avancer un ami surle chemin de la sagesse! "Si quelqu'un t'a offensé, ne cherche pas à te venger. Assieds toi au bord du fleuve et tu verras passer le corps de ton ennemi", me répétais-je, tout pénétré de la sagesse orientale de Lao Tseu que j'étais !

***

Or donc, voici qu’un matin, je retrouve André dans un estaminet parisien afin que nous validions une de mes futures interventions. André s’écoute, se la raconte et comme d'habitude, joue le beau. Moi, je reste stoïque à ses côtés riant mollement de ses vannes éculées et prévisibles en pensant au chèque que je vais encaisser et en me disant «vas-y mon con, continue, tu vas voir comment je vais te niquer toi». Et voici que nous en venons à parler de psychopathologie. Il me parle soudain d’une personne et me demande ce que cette personne pourrait être. Je lui dis que sans l’avoir vue c’est toujours difficile à dire mais qu’à mon avis cette personne est hystérique.

Ah bon me dit-il ? Hystérique ? Pourtant elle est plutôt calme en fait. Je lui explique alors qu’une femme hystérique n’est pas forcément une femme qui crie et gesticule beaucoup, qu’une femme qui crie beaucoup est une femme normale. Que l’hystérie est quelque chose de très particulier, de difficile à diagnostiquer justement. Je lui cite de mémoire les traits diagnostiques du DSM IV afin de lui préciser ce que l’on entend par hystérie (histrionisme comme on doit maintenant dire). Il me fait préciser les choses et je lui explique ce que l’on sait de cette pathologie etc.

D’un seul coup, d’un seul, ce crétin me dit : « Tiens c’est drôle, ma copine est exactement comme cela. Elle est hystérique alors ? ». Je le regarde abasourdi et lui dis qu’à priori si elle correspond au portrait que je viens de lui faire, alors elle est peut-être hystérique.

Et là, assez cruellement je dois l’avouer, je précise : « Mais méfie toi ne donne jamais ce genre de renseignements ». « Pourquoi » me dit-il soudain en alerte. «Parce que si tu donnes des renseignements aussi précis sur la femme avec laquelle tu vis, te dévoiles toi aussi. On ne vit jamais avec une hystérique par hasard ». Alors là, le brave Dédé s’affole un peu et perd de sa superbe. Je l’ai inquiété avec mes propos et il me demande ce que je pourrais connaître de lui rien qu’avec ce type de renseignements.

« Ce que je peux savoir à propos de toi via ce simple renseignement ? Mais tout André ou presque tout ». Je le sens mal à l’aise et il me demande en riant jaune mais en tentant de jouer le mec pas affecté et indifférent : « euh tout, tu veux dire des choses très intimes ? ». « Bien sûr, lui réponds-je calmement, surtout des choses intimes, tu sais dans mon métier, ce qui m’intéresse ce sont les choses intimes. Et si par intime tu penses à des sujets d’ordre sexuel, alors oui, ils ‘agit bien de cela. Mais n’étant pas un de mes patients, il serait mieux qu’on en reste là pour ne pas nuire à notre relation ».

Vous auriez vu la tête du Dédé ! Bon, comme tout bon narcissique qui se respecte, il s’est recomposé rapidement mais depuis cette discussion, André ne me regarde plus de la même manière et se montre très déférent.

Rien de pire pour un narcissique d’être percé à jour ! Beaucoup de narcissiques souffrent de dysmorphophobie. Ce terme désigne à l’origine la peur qu’a un individu d’être monstrueux. Cette pathologie parfois grave, toujours en général les femmes qui se plaignent de la taille de leurs seins, de leurs fesses etc., ce qui conduit un bon nombre d’entre elles à faire des régimes ou des opérations de chirurgie esthétique. La dysmorphophobie, est plus rare chez les hommes. Mais lorsqu’elle est présente, alors dans 99% des cas, l’homme est persuadé d’avoir un sexe trop petit. Et souvent, ces individus développent des traits narcissiques pour compenser leurs troubles réels ou supposés de virilité. L’adage « grosse voiture, petite bite » reste donc de la sagesse populaire.


Et comme, il faut finir culturellement, ce post nous permet d’introduire la notion grecque d’hubris ou hybris (les deux orthographes sont valables). L’hybris pour les grecs est une sorte de folie des grandeurs impardonnable qui appellera le châtiment des dieux en retour sous la forme de Némésis qui représente la justice distributive et le rythme du destin. Par exemple, elle châtie ceux qui vivent un excès de bonheur chez les mortels, ou l'orgueil excessif chez les rois.


« Regarde les animaux qui sont d'une taille exceptionnelle : le ciel les foudroie et ne les laisse pas jouir de leur supériorité ; mais les petits n'excitent point sa jalousie. Regarde les maisons les plus hautes, et les arbres aussi : sur eux descend la foudre, car le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure »
Hérodote


Et pour trouver un parallèle avec notre histoire, et bien, j’étais le roseau, André était le chêne et le roseau a résisté. Némésis intervient toujours, ou du moins espère-t-on qu'elle interviendra toujours, c'est la jsutice immanente.

Quant à ceux qui diront que j’ai outrepassé mes droits en faisant de l’analyse sauvage. Je leur répondrai qu’André n’est pas un patient, et qu’en faisant cela, j’ai sans doute contribué à l’aider en insinuant le doute chez lui, en brisant légèrement sa carapace. Il ne s’agit pas d’une décompensation brutale. Dès lors, peut-être traitera-t-il mieux ses subordonnés ou peut-être même envisagera-t-il un travail sur lui-même. Et si, comme moi, vosu aviez vu défiler les victimes des personnalités narcissique,s peut-être que lrosque vous pouvez vosu en payer un, vous n'hésiteriez pas. Prends-ça dans la gueule André, c'est pour machin, truc et machin. Et toc !


("La chute d'Icare" par Jacob Peter Gowi 1636)