23 décembre, 2006

Profession de foi d'un trou du cul ! Mon bistrotier a des idées !

Tous les matins, en sortant du métro, je m’arrête dans mon rade favori pour boire un petit noir, fumer une clope, et lire le Parisien. Je fais en sorte de pouvoir y faire un arrêt de vingt minutes pour me vider la tête après le métro et être frais et dispos pour mon premier patient.

L’ancienne gérante était une jeune femme sérieuse, suffisamment sympathique pour adresser un petit mot à ses habitués mais suffisamment commerçante pour éviter d’ouvrir sa gueule à tort et à travers. Son successeur, lui, a décidé de prouver à sa clientèle, que même s’il débite des express, des demis, et sandwiches toute la journée, il aurait quand même pu faire de sacrées études et qu’il est malin.

A l'instar de plein de gens qui ouvrent leurs gueules sur un sujet sans rien en connaître, mon bistrotier qui a un avis sur tout et se mêle des conversations des consommateurs, est contre les médicaments ! A la limite, qu’il se mêle de ma conversation, pourquoi pas ? Etant plutôt froid lorsque je ne connais pas les gens, il vaut mieux que ce soit lui qui me parle en premier, parce que sinon, je pourrais prendre un café tous les matins, durant vingt ans, sans prononcer d’autre phrase que : « un café, s’il vous plait, merci ».

Voici qu’un jour, je discute avec une autre habituée qui m’explique qu’elle doit prendre l’avion pour les tropiques et qu’elle est angoissée. Je lui explique que la peur de l’avion est une phobie classique et qu’il est possible de la désensibiliser. Elle m’explique, que partant la semaine prochaine, elle voudrait un traitement plus rapide. Alors, je lui dis que le mieux est de consulter son généraliste favori qui lui prescrira un anxiolytique, qu’elle prendra un peu avant de monter dans l’avion, voire la veille si l’angoisse est forte et que cela marche très bien. Je rajoute que si elle ne prend l’avion qu’occasionnellement, c’est bien suffisant dans la mesure où sa phobie ne constitue pas un handicap social, pas comme si les trajets aériens étaient nécessaires à l’exercice de sa profession. Je lui dis d’en parler à son médecin, et qu’il lui prescrira sans doute un truc genre Lexomil ou Xanax, qu’on appelle des benzodiazépines.

Nous entendant, parler, Ducon, le patron du rade, s’immisce dans notre conversation et de l’air averti de celui à qui on le fait pas, nous explique doctement, que lui il est contre les médicaments. Vient ensuite, le laïus classique, selon lequel, en France, on pendrait trop de psychotropes (il a du entendre le nom aux infos) mais que la volonté et des moyens naturels suffisent. Je l’écoute patiemment débiter ses lieux communs et quand je parviens à en placer une, je lui explique que dans le cas présent, il ne s’agit pas de devenir dépendant à un anxiolytique mais de parer au plus pressé et que c’est une stratégie plus maligne que de passer dix heures dans le zinc les ongles plantés dans les accoudoirs du fauteuil comme des punaises dans un tableau d’affichage en se chiant dessus. Ducon ne semble pas convaincu alors même que la jeune femme lui explique mon métier. Monsieur Je-Sais-Tout, fronce les sourcils et fait la moue de celui qui doute et qui se méfie du baratin des psys. Il veut me prouver qu’il a un jugement autonome.

Je le laisse braire car il ne rentre pas dans mes attributions de rendre ce naze plus intelligent. Je lui dis juste que j’espère que jamais dans sa vie, il ne connaîtra ni anxiété ni dépression parce que sinon, avec ses idées rigides, il risque d’en chier. Cet idiot finira par m’avouer qu’il a déjà pris un antidépresseur à un moment grave de sa vie. Disons que lui, il a des moments graves qui justifient le recours aux anti-dépresseurs tandis que les autres sont peut-être des fiottes faiblardes.


Ceci dit, je ne lui en veux pas particulièrement, tant son point de vue sur les médicaments est partagé par un nombre de personnes important. Cet âne a du se dire que cela faisait intelligent de répéter ce qu'il avait lu dans Libé peut-être. Comme si lire Libé rendait intelligent, cela se saurait et ce journal ne serait pas à moitié en faillite.

Que mon cafetier dise des conneries, c'est normal, il n'a pas fait l'X, et on en reste aux discussions du type café du commerce qui n’engagent à rien. Mais quand les journaleux, écrivant dans de grands magazines, disent la même chose, cela devient dangereux ! Surtout quand ces ânes de journaleux, font la fine bouche devant du Prozac™ mais se la jouent "tolérants" concernant le shit, ignorant que les deux sont des psychotropes.

Je me souviens, d’une patiente, genre greluche bossant dans la mode, un peu hype, me disant alors qu’elle était très déprimée, que le prozac lui faisait peur pour tout un tas de raisons. Ayant écouté son laïus, je lui répondis que moi aussi j’avais lu l’article dans le Elle, de la semaine parce que mon épouse y est abonnée. Effectivement, dans ce numéro de Elle, une journaleuse avait fait feu sur le Prozac en expliquant, comme si c’était une nouveauté, les risques qu’il y avait à prendre ce médicament. Si cette feignasse, avait lu la notice dans la boîte, elle aurait vu que les juristes du laboratoire Eli Lilly les avaient déjà fit figurer dans les risques. De plus, un médicament étant une substance active, croire que c’est sans danger dans cent pour cent des cas, relève de la crétinerie absolue. Toutefois, les autorisations de mise sur le marché, les AMM, sont suffisamment rigoureuses dans les pays occidentaux pour que les risques sanitaires liés à une molécule soient rarissimes ; bien sûr, il en est des médocs comme des trains, on parle toujours de ceux qui arrivent en retard jamais de ceux qui arrivent à l’heure.


Dans les faits, rassurez-vous, je ne suis pas payé par les labos pharmaceutiques puisque je ne prescris rien. Sachez que je le regrette parce qu moi aussi j’aurais eu la visite de petites visiteuses médicales canons qui m’auraient offerts des cadeaux d’entreprises, blocs, stylos, et même des stages de formation dans des pays où il fait toujours beau. Dans les faits, je me contente d’envoyer certains patients chez le médecin lorsque je juge leur état trop grave pour que je sois seul aux commandes.

Dans les méthodes de thérapie modernes, on privilégie l’approche biopsychosociale. C’est à dire, qu’on ne fait plus de la psycho à Grand-papa, en niant la réalité biologique de l’organe qu’est le cerveau. Au contraire, on tente, lorsque c’est nécessaire, de travailler en équipe, avec un médecin voire d’autres intervenants, le but étant d’aider de remplir notre obligation de moyens vis à vis du moyen et non de rester fidèle à des dogmes idiots !

J’ai parfois reçu des gens tellement atteints dans mon cabinet, qu’au bout d’une demie heure d’entretien, je téléphonais aux médecins que je connaissais pour qu’ils aient un rendez-vous immédiat. Il m’est même arrivé d’accompagner des gens à la station de taxi proche de mon cabinet en donnant l’adresse du médecin au chauffeur. Il ne s’agissait pas de scrupules idiots de ma part mais d’une réalité.

Parfois, les gens, obéissant à des dogmes, qui leur font dire, que ce n’est rien et qu’ils s’en sortiront seuls, consultent en dernière extrémité et décompensent dans mon cabinet. Les cas de dépression anxieuse notamment, provoquent des symptômes terribles. La souffrance est telle que le raptus suicidaire est à envisager. Or, comme les médecins, j’aime à me souvenir, qu’à défaut de tout soigner, je me dois au moins de ne pas nuire à ceux qui me font l’honneur de leur confiance.

L’angoisse comme la dépression, n’est pas forcément grave et parvient souvent à se traiter sans médicaments. Toutefois, l’issue finale, dans les cas les plus graves, s’appelle le suicide et c’est un risque que je ne suis pas décidé à courir. Bien sur, tant que cela n’est pas nécessaire, pas besoin de médicaments, évitez les. Mais le jour où les idées noires se bousculent dans votre tête et font ressembler votre état de pensées à ces vers du Spleen de Baudelaire :

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Alors, courez chez votre médecin, qui saura diagnostiquer une bonne vieille dépression et vous prescrira les médicaments adaptés. Si vous vous noyez, une bouée ne vous ramènera jamais au rivage mais vous aidera à maintenir votre tête hors de l’eau : un antidépresseur a le même usage. Si vous n’arrivez pas seul, à revenir au rivage, évitez de prendre des antidépresseurs à vie et une thérapie sera peut-être nécessaire.

Et à l’avenir, que ceux qui n’ont jamais expérimenté eux-mêmes ce que peuvent être l’angoisse ou la dépression ferment leurs gueules et s’abstiennent de leurs conseils à deux balles. Et que ceux qui en souffrent se soignent car il s’agit de maladies dûment décrites et non le fait d’une quelconque faiblesse. Prendre lorsque c’est nécessaire des médicaments, n’est pas un aveu d’impuissance, mais une nécessité. Et souvenez-vous que l'alcool, le chichon comme la came en général, en tant que produits modifiant l’activité psychologique et mentale sont des psychotropes aussi et non des trucs sans dangers. Et il est bien plus facils de se sevrer d'un antidépresseur que de l'alcool. Décidément mon bistrotier est un con.


Avant d’écouter les conneries des gens, reportez vous à ces deux articles, forts bien faits sur WIKIPEDIA, un peu technique, ou sur DOCTISSIMO, plus abordable. Vous saurez tout sur les psychotropes.