30 janvier, 2007

L'érotomanie !

Dans la série « Méfions-nous des témoignages prétendument vrais », voici les délires non schizophréniques. Plantons le décor, et pour commencer une petite histoire !

Voici environ un an, un de mes amis guitaristes était en tournée avec son groupe plutôt célèbre. Revenu quelques jours, il passe déjeuner en ma compagnie. Nous papotons de tout et rien et il me parle de la tournée. C’est un type extrêmement gentil qui n’a pas du tout la grosse tête mais plutôt le cœur sur la main. De fil en aiguille, il me raconte que les fans sont en général fidèles, et qu’il a même constaté qu’il y avait une femme, d’après lui âgée d’environ 35/40 ans qui était venu à douze reprises les voir jouer, n’hésitant pas à faire des milliers de kilomètres rien que pour les entendre.

Comme il est adorable, il m’explique que la prochaine fois, il donnera des instructions au service d’ordre afin de la faire inviter à l’after, après le concert, afin qu’elle puisse papoter avec les membres du groupe, en buvant quelques coupes de champagne. Comme c’est un grand sensible, il poursuit en m’expliquant que, "la pauvre", elle le mérite bien et qu’elle doit être bien seule pour les suivre ainsi de ville en ville. Il la trouve même touchante cet idiot. Il me la décrit comme étant presque extatique, connaissant toutes les paroles de toutes leurs chansons et toujours au premier rang, coincée contre la scène. Là, je lui expose méthodiquement mon point de vue.

Je lui dis que compte tenu de son âge, cette femme semble avoir une vie étrange pour pouvoir les suivre ainsi de ville en ville. De plus, je lui demande si il trouve le comportement de cette femme cohérent et normal ? S’il estime, malgré son indéniable talent, qu’il est normal et non pathologique, de se taper des milliers de bornes simplement pour les voir jouer alors qu’il existe des DVD et des CD ? S’il ne trouve pas que c’est un comportement qu’on peut éventuellement admettre d’un fan adolescent, et encore, mais que c’est tout de même étonnant à l’âge de cette femme ?

Je lui fais ensuite part du risque qui existe, d’avoir à faire à ce que l’on appelle une érotomane. L’érotomanie appartient à ce que l’on nomme les délires passionnels, eux-mêmes faisant partie des délires chroniques non schizophréniques.

Les délires passionnels regroupent l'érotomanie, les délires de jalousie et les délires de revendication. Ils ont été regroupés et qualifiés de passionnels du fait de la nature des thèmes qui les inspirent. Ces états ont en commun d'être des états délirants chroniques débutant généralement brusquement par une interprétation ou par une intuition délirante. Ils peuvent secondairement s'enrichir de nombreuses interprétations délirantes et comportent en général une forte participation affective pouvant être à l'origine de passages à l'acte. Ils se développent plus volontiers chez des patients, âgés en général de plus de trente-cinq ans, présentant un trouble de personnalité de type paranoïaque, dont les principaux traits sont représentés par l'hypertrophie du moi, la fausseté du jugement, la méfiance excessive, la psychorigidité et l'orgueil. Des traits hystériques peuvent coexister.

Les délires passionnels ont une construction dite « en secteur » car ils ne s'étendent pas à l'ensemble de la vie psychique, affective ou relationnelle du sujet, les idées délirantes restant circonscrites sur l’objet et la thématique quasi unique du délire incriminé.

L'érotomanie c’est lorsque la personne érotomane a l'illusion délirante d'être aimé par un individu. La description clinique définitive de ce trouble a été réalisée en 1921 par Clérambault. C’est pourquoi on nomme aussi l’érotomanie « syndrome de Clérambault ».

Le délire érotomaniaque touche plus fréquemment les femmes et l’objet de l’érotomanie tient souvent une position sociale élevée et enviée (prêtres, médecins, etc.). Ce trouble débute par un postulat fondamental, formé par une intuition délirante, au cours duquel l’objet de l’érotomanie déclarerait son amour. Pas besoin de mots ou de gestes spécifiques voire ambyvalents puisque tout va être interprété dans le sens de son délire par l’érotomane. Ainsi, un regard à priori banal, une poignée de main classique, pourront donner à penser à l‘érotomane que l’objet de son amour lui a adressé un signe d'encouragement. L’érotomane interprètera tous les signes, mêmes banaux, émis par l’objet de son amour pour alimenter son délire.

L’évolution de l’érotomanie se fait en trois stades successifs : espoir, dépit, rancune. Au cours de ces deux derniers stades, des actes auto et surtout hétéroagressifs sont à craindre. Il n’est donc pas à exclure que l’érotomane, comprenant qu’elle ne pourra pas obtenir les faveurs de celui qu’elle aime, passe à l’acte en l’agressant de toutes les manières possibles mais toujours avec acharnement, plaintes pénales abusives, calomnies, destruction de ses biens, mais aussi parfois agression physique pouvant conduire au meurtre !

J’ai expliqué cela calmement à mon ami guitariste et je crois qu’il a compris car il n'a pas invité cette femme à l'after. Si vous souhaitez appréhender plus spécifiquement ce trouble extraordinaire, alors il y a deux films excellents à voir :

Le premier intitulé Play Misty for me, a été réalisé par Clint Eastwood. Ce film expose le cas de David Garver (Eastwood), l’animateur d’une station de radio spécialisée dans le jazz qui reçoit chaque soir l’appel d’une étrange admiratrice, Evelyn Draper (Jessica Walter), lui demandant de passer Misty, un thème d'Errol Garner. Cette obsession les mènera à une relation ambiguë que David n’a aucunement l’intention de prolonger. Mais Evelyn commencera à empiéter sur la vie de ce dernier en se manifestant sous la forme de crises de jalousie et de sautes d’humeur des plus inquiétantes. Le film finit extrêmement mal.

Le second film s’intitule A la folie pas du tout, et a été réalisé par Laetitia Colombani. Angélique (Audrey Tautou), une jeune fille à priori insouciante, partage sa vie entre ses études aux Beaux-Arts et son travail de serveuse dans un bar. Un jour, elle tombe follement amoureuse de Loïc (Samuel Le Bihan), un cardiologue dont l'épouse attend un enfant, et tente l'impossible pour séparer le couple. Le film est extrêmement bien réalisé et vaut tous les cours de cliniques. La manière originale dont il est traité le rend étonnant.

Regardez absolument ces deux films. Ce genre de délires n’est pas aussi rare qu’on l’imagine et ceux qui en sont victimes sont relativement bien socialisés. Ne vous attendez pas à des personnes éructant, la bave aux lèvres. Il s’agit justement de personnes qui ne sont pas schizophrène et offrent donc peu de symptomatologie. Or, Internet, par l’anonymat qu’il offre, est extrêmement propice aux mises en scène de ce type de délire. La maîtresse flouée, la patiente abusée, l’amoureuse éconduite, autant de thèmes récurrents sur les forums psys de l’Internet. La prochaine fois que vous lirez ce genre de témoignages vécus, posez-vous cette question :

« Ce qui est écrit est-il réel ou est-ce un délire ? »

Avant de prendre pour argent comptant tout ce que vous voyez, lisez ou regardez, demandez vous toujours si c’est réel et ne tombez pas dans le panneau de la compassion.

8 Comments:

Anonymous Anonyme said...

d'abord docteur, je fais mon outing. je suis passée par chez vous par le biais du mot érotomanie.en fait, à la suite d'une conversation avec quelqu'un et qui ne me concernait pas...à priori.
puis ensuite,j'ai préféré douter et vérifier. selon moi, ouf!
deuxième outing, j'ai donc mis votre lien chez moi par ce que votre blog ne parle pas de santé mentale froidement et ça me convient.
par contre, votre photo est totalement décridibilisante.

j'espère que vous trouver chez moi ne vous ennuiera pas et n'y voyez aucune érotomanie là dedans contrairement aux apparences :-)

oh et puis aprés tout, c'est vous le psy...

12/7/07 3:28 AM  
Blogger Tiphaine Violette said...

Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

25/11/07 5:01 PM  
Blogger Eliane said...

Bonjour Monsieur,
Pourriez-vous s'il vous plaît décrire plus précisément les autres délires passionnels (le délire de jalousie et le délire de revendication)?
J'aimerais essayer de savoir si c'est ce dont souffre une personne dont on m'a parlé. En effet, j'ai un ami qui se fait harceler par une femme avec qui il a eu une brève liaison. Il a mis fin à cette liaison il y a une année déjà, mais elle n'a cessé depuis de le harceler et de le surveiller. Elle est entrée deux fois de force chez lui, elle a sonné toute une nuit à sa porte, elle l'a submergé de courriels et de SMS, elle va se poster devant chez lui pendant des heures et si elle voit une femme chez lui elle se précipite, fait irruption chez lui et va se présenter à la femme qui est là en tant que "l'amie de XX depuis X mois" (elle se présente donc comme "la légitime". Elle lui a d'ailleurs souvent écrit qu'elle était "sa femme" quoi qu'il arrive). Elle l'a menacé ("tu ne t'en tireras pas comme ça" et "tu vas me le payer"); elle a aussi annoncé dans un courriel qu'elle se suicidait, ce qui a décidé mon ami à alerter la police pour qu'ils aillent vérifier chez elle qu'elle ne passait pas à l'acte. Ce qu'on sait de cette femme sur le plan psychologique c'est qu'elle a une relation extrêmement difficile avec sa mère, qui, pendant son enfance, la rabaisssait et lui préférait sa soeur. Elle est suivie par une psychothérapeute depuis plusieurs années mais elle dit que ça ne lui apporte plus rien.
Pensez-vous qu'il puisse s'agir d'un délire de jalousie et/ou d'un délire de revendication? Mon ami est-il en danger?
Il rechigne à porter plainte mais en même temps la vie devient impossible, il s'enferme chez lui, n'ose plus recevoir une femme chez lui, vit la plupart du temps volets clos, etc. Il espère toujours que les choses s'apaisent d'elles-mêmes.
Qu'en pensez-vous?
Merci pour votre aide.

21/7/08 9:43 PM  
Blogger Elise said...

Bonjour,

Je pense que ma soeur est l'objet "d'amour" d'un érotomane. C'est un ancien camarade de lycée pour elle mais rien ne s'est jamais passé entre eux. Comme elle a changé tous ses numéros ou adresses mails il me contacte moi, sa soeur. Ce sont des messages un peu dans le vide, car je ne répond jamais mais on y sent clairement un problème.
Pensez vous que je dois chercher de l'aide? Pour ce gars? pour ma soeur? Actuellement nos vies ne sont nullement affecté par cette personne, excepté un ou deux mails par mois. Mais votre description donne à penser qu'il pourrait être dangereux pour lui-même ou pour ma soeur...?

D'avance merci

24/7/09 9:24 AM  
Blogger Unknown said...

Bonjour,
merci pour cet article passionnant. J'ai connu un érotomane et sa façon de compartimenter ses délires et le reste de sa vie, sa froideur, sa rigidité m'ont fascinée. Évidemment, je n'étais pas son objet d'amour. J'étais fascinée, mais aussi horrifiée et terrifiée.

Merci !
http://pandabox33.wordpress.com
http://bazookah5.wordpress.com

17/10/09 3:49 PM  
Blogger gege said...

Je suis victime d'un érotomane. Ce qui est terrifiant, c'est que la gendarmerie, le procureur, qui l'a convoqué,ne lui font pas peur. Il continue à un rythme régulier, de me suivre, et de vérifer mon emploi du temps. Mon entourage comprend que je suis face à un malade, mais ne peut rien faire. Quant à son entourage (parents), ils l'encouragent en niant son problème et en s'en prenant à moi, participant ainsi à son délire. Que faire??? Si quelqu'un a réussi à résoudre un tel problème, j'aimerais une réponse.

4/12/09 2:35 PM  
Blogger Unknown said...

Vous n'avez pas évoqué le film "Anna M." (2006), avec Isabelle Carré et Gilbert Melki, qui sur le sujet est saisissant.

25/3/10 8:19 PM  
Blogger Marie2 said...

Bonjour je suis victime actuellement d un erotomane. Je sais que votre​ commentaires date de plusieurs années mais avez vous réussi à vous en débarrasser? Cordialement

9/8/17 5:04 PM  

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