31 août, 2007

Consultants ou con-sultants ?!

Robert Georges Nivelle, un grand manager !

Voici quelques temps, je reçois une jeune femme chef de produit dans une grande multinationale. Diplômée d'un doctorat scientifique et d'un master d'une très grande école de commerce, on lui avait promis une promotion de chef de service où elle aurait à encadrer des chefs de produits.

Dans les faits, elle occupe ces fonctions depuis près d'un an déjà et encadre trois chefs produits. Finalement, rémunérée comme un simple chef produit, elle a les fonctions d'un chef de service, ce qui représente une substantielle économie pour sa société qui ne la paye pas en conséquence.

Jusque là, je n'ai rien à redire, si ce n'est qu'elle aurait peut-être pu s'affirmer afin que son titre et son salaire correspondent effectivement aux fonctions réelles qu'elle exerce. Manifestement, puisqu'elle est dans ce no man's land depuis bientôt un an, c'est qu'elle fait l'affaire. Je n'imagine pas qu'une société aussi importante que la sienne, lui aurait laissé les rênes d'un service, si elle n'en avait pas montré les capacités !

Tout semble rouler jusqu'à ce que le directeur de la division dans laquelle est intégré ce service, se souvienne que son cas n'est pas très clair. Qu'un chef de produit puisse effectivement gérer un service, n'est pas fait pour lui plaire. Ce monsieur aime l'ordre et les choses carrés. Un chef produit est un chef produit et s'il gère un service, alors il doit être chef de service, point barre ! On ne badine pas avec l'organigramme !

On pourrait imaginer que ce monsieur, constatant les bonnes performances de la demoiselle, va simplement entériner sa situation de fait en la nommant chef de service. Au pire, on peut estimer qu'il al recevra pour lui faire un laïus lui expliquant tout un tas de trucs sur son nouveau statut, histoire de marquer le coup et d'obéir à un petit rituel.

C'est évidemment oublier que l'on n'est pas dans la PME du coin mais dans une multinationale qui se targue d'être à la pointe des RH et du Management avec un grand M. Alors puisque la demoiselle vient de prouver durant presque un an qu'elle avait effectivement fait preuve de compétences en gérant un service, sans rien demander à personne, tout cela semble trop simple. Il faut la tester et être vraiment sur qu'elle ait les capacités. Parce que dans ce genre de boîtes, tant qu'on n'a pas dûment testé et validé, on n'est jamais sur de rien.

Alors, ni une ni deux, notre directeur adresse immédiatement cette demoiselle a un cabinet de consultant spécialisé en management. Certes, me direz-vous, elle avait fait ses preuves durant près d'un an, alors à quoi bon, est-ce vraiment utile d'aller claquer du fric chez un consultant ? Je vous répondrai qu'à mon avis, ce n'est pas nécessaire et qu'à la place du directeur, constatant qu'elle avait fait ses preuves, je me serais contenté de la maintenir à son poste, en lui filant le titre et le salaire correspondant.

Aussitôt dit, aussitôt fait, on adressa la demoiselle à un cabinet spécialisé en RH et plus particulièrement en Assessment, anglicisme foireux qui une fois traduit perd de sa superbe puisqu'assessment signifie tout bêtement évaluation, estimation. C'est une simple mise en situation, cela s'est toujours pratiqué, notamment pour les métiers manuels plus faciles à évaluer. Mais bon, comme les spécialistes en RH, et consultants de tout poil, n'ont pas inventé la poudre et adorent se gargariser et se faire mousser, ils sot persuadés que l'assessment est un truc vachement moderne. C'est ainsi qu'un spécialiste qui enfonce des portes ouvertes et s'ingénie à réinventer l'eau chaude, sur ce site, précise :

"L'assessment permet d'apprécier avec une grande fiabilité l'adéquation entre les comportements d'une personne, liés à sa personnalité et à son expérience, et les exigences de ses futures missions."

Ben oui, tu l'as dit bouffi, si tu veux recruter un bon maçon, tu peux effectivement le tester en lui demandant de monter deux rangées de parpaings, tu verras immédiatement s'il est vraiment maçon ou si c'est un tâcheron, et tu seras content car tu seras devenu par la même occasion, un spécialiste en assessment pour maçon ! Sur ta jolie plaque de crétin, en bas de ton immeuble, tu pourras mettre ton nom suivi de la mention ! Bricklayer Assessment Specialist !

Ma patiente n'y coupa pas et se trouva donc engagée dans un processus d'assessment, non parce que c'était utile, puisqu'elle avait prouvé son efficacité depuis un an, mais simplement parce que cela fait bien et moderne. Précisons, qu'elle fut envoyée dans un cabinet spécialisé, sans qu'on la prévienne de ce qui allait lui arriver.

Elle se présenta donc au jour et l'heure dites à ce cabinet où elle fut reçue par un spécialiste autoproclamé, ayant sans doute suivi une formation sur deux jours à l'assessment, afin d'être évaluée. De ce qu'elle m'a dit, l'accueil fut froid, à la limite de l'amabilité. On lui expliqua qu'on allait la tester, ce qui déjà représente un stress, vous en conviendrez. L'assessment se déroula comme ce site très drôle l'explique avec force mots savants et creux, ne reposant sur aucune validation scientifique. Quand Diafoirus est aux commandes, cela fait toujours rire !

On lui donna ensuite trois cas de management, qu'elle était sensée retrouver dans l'exercice de ses futures fonctions de manager, en tant que chef de service. Elle analysa les situations intelligemment, n'y trouvant aucun lien avec ce qu'elle vivait quotidiennement dans sa vie professionnelle, et y répondit du mieux possible, continuellement observée par deux clampins moroses et malaimables. Après deux jours passés à faire ces conneries, elle revint dans son entreprise et n'eut plus de nouvelle du fameux assessment.

Ce n'est qu'un peu plus d'un mois après qu'elle fut convoquée par son directeur qui lui remit le résultat de l'assessment qu'elle avait raté. On lui communiqua un compte-rendu dans lequel il s'avérait que la pauvre fille était aussi faite pour le management que François Hollande pour gagner les présidentielles. De ce que j'ai lu et pu comprendre, ce qu'on lui reprochait était son manque de fermeté. Le tout était ficelé dans un jargon pseudo-scientiste faisant appel à moult termes psychopathologiques tentant d'esquisser un profil psychologique. On la jugeait trop souple et apte à la négociation, mais en plus on lui taillait un joli costard sous forme de diagnostic abusif.

Personnellement, je ne vois pas en quoi ces qualités nuisent à un bon management, sachant, et cela a été suffisamment démontré, qu'il peut exister plusieurs types de management. De plus, compte-tenu de la spécificité de sa société et des gens qu'elle encadrait, tous titulaires d'un doctorat et d'un mastère d'une grande école, elle n'aurait jamais été confrontée à des bourrins mais plutôt à des profils de spécialistes, que l'on n'a pas besoin de gérer à coups de gueule. Il ne s'agissait pas d'encadrer une section de légionnaires !

De plus, comme je ne cesse de le répéter, elle avait assumé ces fonctions durant près d'une année sans aucun problème, réussissant à fédérer les énergies autour de sa gentillesse authentique. C'est d'ailleurs une demoiselle qui m'avait été adressée par une patiente ayant été sous ses ordres. Cette précédente patiente, à l'époque où je la recevais, n'avait d'ailleurs jamais tari d'éloges concernant sa responsable, m'expliquant que même si elle manquait de poigne, sa volonté d'aplanir sincèrement les conflits, faisait qu'on se pliait en quatre pour lui faire plaisir.

J'ai donc reçu cette demoiselle peu de temps après qu'elle ait été avertie du résultat de l'assessment et de son échec. Elle, qui pensait qu'elle serait jugée équitablement sur ce qu'elle avait produit, et qu'elle pourrait légitimement enfin, accéder au poste de chef de service, fut mise en pièces par la décision. En effet, en grand pervers, en bon salaud ordinaire que l'on retrouve si souvent à ce genre de poste, son directeur lui avait expliqué que compte-tenu de son échec à la procédure d'assessment, il ne pouvait la nommer chef de service, mais qu'elle restait en poste, c'est à dire qu'elle continuait à faire fonction de chef de service en gardant le grade et le salaire de chef produit.

Le travail thérapeuthique que j'ai fait avec elle, a simplement consisté à retrouver l'estime d'elle-même afin de ne plus jamais se retrouver dans ce genre de situation ou du moins à pouvoir s'en sortir. En effet, si personne ne pouvait lui garantir que jamais plus elle ne se retrouverait face à ce genre de directeur tordu et pervers, elle pouvait apprendre à les détecter et à déjouer leurs manoeuvres en se montrant plus ferme.

Elle a admis qu'elle aurait pu, après avoir constaté que l'assessment n'avait aucun lien avec sa pratique quotidienne, l'expliquer aux consultants et refuser de s'y soumettre. Enfin, même si elle avait suivi cet assessment, elle aurait du immédiatement après avoir eu connaissance du résultat, contester ce résultat en argumentant par écrit, en exigeant de connaitre les qualifications réelles des consultants qui avaient osé émettre des avis aussi tranchés sur elle, quitte à menacer l'employeur des prud'hommes ou à exiger un rendez-vous avec le supérieur direct de son directeur.

A un moment donné, elle aurait simplement du se souvenir que la gentillesse ne doit jamais devenir de la faiblesse et que bon et con, sont deux mots bien différents ! Que même s'il est vrai qu'on n'est jamais trop gentil, il faut se souvenir qu'au quotidien, de grands méchants risqueront toujours d'exploiter cette gentillesse. Je lui ai aussi proposé une liste d'ouvrage sur le management rédigés par des spécialistes mondialement reconnus afin qu'elle se rende compte, qu'elle avait toutes les aptitudes pour manager.

Mais tout est bien qui finit bien, puisque la multinationale en question, reine de l'assessment, a connu récemment sept départs de salariés hautement qualifiés travaillant sous les ordres de ce directeur. Le service de ma patiente n'existe plus car les trois chefs produits ont démissionné, et elle-même a présenté sa démission, car elle a été recrutée par un concurrent direct.

De plus, connaissant une personne à la DRH de cette multinationale, je sais qu'actuellement, devant l'hémorragie de sa division dont les effectifs ont fondu des deux tiers, et l'extrême difficulté à recruter dans ce secteur d'activité hautement concurrentiel, le directeur est sur la sellette et qu'il ne devrait pas tarder à être lourdé.

Ce pauvre con ayant décidé de jouer les durs, de se comporter comme un pervers dénué d'empathie, sera limogé. Avant lui, on avait déjà fait l'expérience du désastre que peuvent provoquer ce genre de crétin stupide, sur de lui et fermé aux autres.

Un des plus illustres représentant de cette caste de nazes qui ne devraient jamais avoir de postes de commandement parce qu'ils n'en ont pas les capacités humaines, s'appelait Robert Georges Nivelle, et on lui doit le désastre du Chemin des dames en 1917, qui occasionna 30 000 morts français (360 000 morts alliés) pour cinq-cents mètres gagnés au lieu des dix kilomètres annoncés. Pour prendre le plateau de Craonne, on compta plus de 100 morts à la minute. En raison de ce grand succès militaire, il fut limogé.

1 Comments:

Blogger Maxime said...

Ce pauvre con de directeur a peut-être utilisé l'assessement comme on l'utilise dans ces milieux-la : pour se couvrir. "Hé, ce n'est pas moi qui le dit que X n'est pas faite pour ce poste, mais le cabinet spécialisé la-dedans". Il y a beaucoup de sociétés ou ce qui compte pour obtenir de l'avancement n'est pas son jugement, mais de faire les choses selon les règles prescrites. La créativité n'y a aucune place. Qu'importe la validité de ces règles d'ailleurs, la normopathie et le respect des règles reigne en maître dans les grandes entreprises. C'est comme ça qu'en respectant toutes les règles de la même manière, toutes les banques se sont foutus dans la merde de la façon dans la crise des subprimes.

"la pauvre fille était aussi faite pour le management que François Hollande pour gagner les présidentielles."

Non seulement ils se sont plantés sur le cas de ta patiente, mais, et l'histoire le prouve, également sur celui de François Hollande. Peut-être aidé par une femme de ménage et un président qui n'avait de cesse de faire chier son électorat, mais président quand même.

8/9/15 4:21 PM  

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