19 novembre, 2007

La clandestinité !


A l'heure où se déroule le procès d'Yvan Colonna, je ne peux que me sentir proche de lui. Retranché dans mon cabinet parisien, comme lui naguère dans sa bergerie du maquis, je tourne en rond. Pas de télévision, un espace restreint, des tas de livres de psychopathologie et de philosophie qui tapissent les murs, mais aucun bon polar à me mettre sous la dent. La vie est dure. A deux reprises je me suis senti proche de craquer.

Pauvre Yvan, pauvre colonel Biscotte, tous deux murés dans leur solitude du fait de la violence de l'état ! Bon, je ne sais pas vraiment si Colonna a buté le préfet Erignac ou pas, mais ayant épousé une corse, c'est un sujet avec lequel je ne plaisanterai pas.

Je regardais un vieux balai Bissel abandonné dans la cuisine de mon cabinet, et des idées stupides me venaient en tête. Je me voyais arracher les poils du balai, me les coller sur le sommet du crâne en un assemblage approximatif de dreadlocks sales comme en portent si souvent des petits blancs déculturés. Ensuite, hop un vieux pull, un livre de Lacan qui prend la poussière sur une de mes étagères, un exemplaire de Libé récupéré dans une poubelle parisienne, et j'aurais nuitamment rejoint une faculté quelconque, Censier ou Tolbiac. Je suis sûr qu'en ce moment même une AG houleuse a lieu.

Les facultés sont tellement grandes que j'aurais forcément trouvé un groupuscule quelque part. Je leur aurais dit que j'étais Philippe, étudiant en deuxième année de psycho à quarante ans. Et alors ? Si j'ai envie d'être étudiant, bande de fascistes, c'est pas vous qui allez m'en empêcher ! Je l'emmerde moi votre monde de marchands ! J'aurais serré des mains, sorti mon laïus anti-sarko de base, vomi sur le libéralisme, dit que l'UNEF et Bruno Julliard étaient vendus au grand capital, et c'était bon.

Je me retrouverais au chaud avec des gens, en train de boire une kronenbourg tiède et de refaire le monde. Je suis suffisamment tchatcheur pour affirmer que j'aurais réussi à en entraîner un groupe dans une gare quelconque. On aurait fraternisé avec des cheminots et on aurait mangé des merguez. Parce que même si les grévistes m'emmerdent, j'avoue une capacité à m'entendre avec plein de gens différents.

C'est si bon de parler, de refaire le monde, d'être avec des gens. Mais, dorénavant, et ce jusqu'à demain dix heures du matin (rendez-vous compte !?), c'est un plaisir qui m'est interdit. Je suis seul, je dois rester seul, tout seul.

Depuis que j'ai rejoint mon cabinet, je suis entré dans la clandestinité. Déjà une heure que je suis seul et je commence à parler aux murs. Tout à l'heure, ivre de douleur, je me suis accroupi par terre, le dos calé contre le mur, et je me suis surpris à me balancer d'avant en arrière, dans un mouvement quasi-autistique. Je me suis dit que là, je comprenais enfin l'enfer des QHS. Des images carcérales me venaient en tête. Des matons syndiqués (SNEPAP-FSU), me rouaient de coups en me traitant de "sale libéral". J'ai immédiatement réagi pour ne pas sombrer. J'ai puisé en moi toute la force nécessaire pour ne pas craquer.

C'était dur car, alors les matons syndiqués disparaissaient, aussitôt remplacés par des images d'amphis remplis de monde, où la kronenbourg tiède coulaient à flot s'imposaient à moi. A d'autres moments, je me voyais parlant à mes nouveaux amis cheminots, partageant la merguez de l'entente cordiale. L'image obsédante de Christian Mahieux, secrétaire fédéral de Sud Rail, m'appelant à les rejoindre, à cesser le combat, s'imposait à moi. Une vision de brasero posé sur des rails et entourés de gaillards virils la remplaça aussitôt symbolisant à n'en pas douter la chaleur humaine qui me manque tant.

Puisant dans mes ressources mentales formidables, je décidai de chercher en moi la force de combattre tout cela et de rester à mon poste, solitaire et abandonné de tous. Ce furent le Christ et Charles de Gaulle, deux illustres prédécesseurs, qui m'apparurent et me parlèrent. Tandis que le Christ m'expliquait que j'étais Philippe et que sur ce Philippe, il construirait des transports publics enfin libérés du communisme, Charles de Gaulle apparut à un balcon en tonnant : "Vive la SNCF libre !". Sentant que ma misérable personne était l'enjeu de forces qui me dépassaient, je n'eus aucune peine à vaincre et à repousser les images d'AG étudiantes amicales et de réunions syndicales chaleureuses.

Enfin libéré, je me levais en hurlant : "Charles, Christ, mon Dieu, faites ce que vous voudrez de moi !". Mon voisin du dessus, sans doute un odieux gauchiste en profita immédiatement pour taper sur le sol en m'intimant l'ordre de faire moins de bruit !

A partir de ce soir et pour les jours qui viennent, je suis un loup solitaire et les plaisirs de la meute me sont interdits.

6 Comments:

Blogger Alexis said...

"partageant la merguez de l'entente cordiale"...Je suis mort de rire.

19/11/07 11:53 AM  
Blogger philippe psy said...

La merguez est un outil politique que devraient étudiés nos chercheurs en sociologie.

Est-ce que les avancées sociales auraient pu être identiques sans la merguez ?

19/11/07 4:13 PM  
Blogger Anna said...

Un loup solitaire ? Ca fait rêver !

19/11/07 4:49 PM  
Blogger El Gringo said...

"Un loup solitaire ? Ca fait rêver !"

Surtout quand ce loup est le sosie de George Clooney en mieux!!!

19/11/07 7:06 PM  
Blogger philippe psy said...

Pauvre Clooney !il a de la chance que je ne vive pas à Hollywood

20/11/07 5:59 PM  
Blogger Laurence said...

Même à Hollywood y'a des grèves ;))

http://tf1.lci.fr/infos/culture/cinema/0,,3611362,00-greve-qui-panique-hollywood-.html

20/11/07 7:13 PM  

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