23 décembre, 2007

La paranoïa !

Bogart interprétant le Capitaine Quigg, dans "Ouragans ur le Caine",
personnage paranoïaque parfait !

Lorsque je me suis installé, j'avoue avoir eu un peu peur parce que j'imaginais courir des risques physiques en recevant des cas gravissimes. Je me souviens qu'à l'époque, je m'en étais entretenu avec un vieux psychiatre à qui j'avais demandé son avis. Fort de plus de quarante ans d'expérience à cette époque, il m'avait aussitôt rassuré.

Dans les faits, m'expliquait-il, bien qu'il ait eu une clientèle variée, comportant quelques cas très durs, il n'avait jamais été le moins du monde inquiété. Il m'avait cependant mis en garde contre ceux qu'il considérait comme les plus dangereux : les paranoïaques. Il m'avait dit de toujours avoir le portrait clinique du paranoïaque en tête pour le démasquer, si d'aventure l'un d'eux venait me consulter.

Dans la pratique, me rassura-t-il, il est rare qu'un paranoïaque consulte, puisqu'il est sur d'avoir raison contre tout le monde. Toutefois, c'est un cas à prendre en compte. Il m'expliqua qu'un de ses amis, psychiatre lui aussi, avait été tué par un de ses ex-patients, alors qu'il ne l'avait pas reçu depuis trois ans. Ce patient, avait vu sa haine monter. Dans sa structure mentale malade, c'était ce psy qui était devenu le responsable de tout, et il avait alors décidé de le tuer. En embuscade dans sa voiture, il avait simplement attendu que ce psy sorte de son cabinet pour le renverser.

J'ai donc toujours eu une nette aversion pour les paranoïaques dont la méchanceté est légendaire. Ce sont des cas que l'on traite difficilement. Et comme me le racontait ce vieux confrère, il n'y a qu'une recette qui marche, celle que lui avait enseignée l'un de ses maitres alors qu'il faisait son internat de psychiatrie. Quand un paranoïaque vous fait peur, il faut lui faire dix fois plus peur.

Ayant reçu à deux reprises des paranoïaques, ce qui est peu en dix années d'exercice, j'ai eu la possibilité de constater que cette recette marchait. elle n'est pas très déontologique, mais elle permet d'éviter de mettre sa vie en danger. Car les paranoïaques, sont des gens potentiellement dangereux.

Je n'ai pas souhaité poursuivre avec ces deux patients, qui de toute manière, n'avaient aucune envie de suivre une thérapie. Le premier venait par colère, puisqu'il était persuadé que je couchais avec sa copine qui était l'une de mes patients, tandis que l'autre était venu chez moi, parce que son médecin l'avait très vivement, sans doute trop, incité à venir me voir. Si je n'ai eu aucune nouvelle du second lequel était moins gravement atteint, j'ai appris que le premier avait été interné, ce qui ne m'étonne pas.

Le trouble de la personnalité paranoïaque se signale par un sentiment de méfiance. Pour le paranoïaque, le doute n'est pas permis. L'autre dérange, désorganise, manipule car il est forcément sournois et capable de trahison.

Pour le paranoïaque, la gentillesse ne peut exister, parce qu'elle dissimule forcément quelque chose, un but caché. Le paranoïaque est secret car toute faiblesse pourrait être utilisée contre lui. Il a tendance à rendre méfiant son entourage et, méfiez-vous car la critique le renforce dans ses croyances.

Le paranoïaque qui réussit, est à la tête de son groupe, sa "secte" qui ne le critique pas, même si le monde entier le condamne. Son modèle d'expression est "souffrance, sérieux, sermon et plainte". Le rire, la joie, tout se qui permet de s'ouvrir aux autres, etc., est banni par le paranoïaque.

Il a une haute image de lui-même et se croit logique mais dans une logique partiale et partielle, qui se démarque des faits, une logique totalement déviante. Le paranoïaque se considère honnête, droit, innocent, noble alors qu’il est tout le contraire, à savoir retors, compliqué, vicieux et agressif. Il ment, il dupe, mais ces défauts il ne les voit que chez les autres.

Sa cible, ce sont les supposés "faibles" car les "forts", il les respecte, les admire et les jalouse même secrètement. Dans les faits, lorsqu'on lui ôte sa carapace, le paranoïaque est un peureux, un être vil et lâche. A ce titre, souvenons-nous d'Hitler préférant se suicider plutôt que d'affronter sa défaite cuisante.

A noter de plus qu'il est quasi du domaine de l'impossible qu'un paranoïaque non traité puisse se reconnaitre comme tel du fait de sa paranoïa, cela remettrait en question toutes ses théories. Mais il en est tout autrement de son entourage qui pourra le reconnaitre. Dans la pratique, il est rare que les paranoïaques consultent, mais on reçoit souvent leurs victimes.

Aaron T. Beck, l'un des promoteurs des thérapies cognitives et comportementales, a estimé que dans la personnalité paranoïaque, des croyances préétablies (cognitions) existaient du type :
  • Je suis vulnérable ;

  • Les gens sont des adversaires potentiels ;

  • Je ne peux pas faire confiance aux autres personnes :

  • L'autre a des motivations cachées. ;

  • Si quelqu'un est gentil c'est pour me tromper ;

  • Je dois rester en permanence sur mes gardes ;

  • Il n'est pas prudent de se confier aux autres ;

  • Les personnes prendront avantage sur moi si je leur laisse une chance ;

  • Les autres personnes essaieront de m'abaisser délibérément :

  • J'aurais de sacrés problèmes si je laisse les autres personnes penser qu'elle peuvent s'en tirer si elles me maltraitent ;

  • Si les autres personnes trouvent des choses sur moi, elles s'en serviront contre moi ;

Le DSM IV propose les critères diagnostics suivant pour circonscrire le trouble de la personnalité paranoïaque (DSM IV) :

A. Méfiance soupçonneuse envahissante envers les autres dont les intentions sont interprétées comme malveillantes, qui apparaît au début de l'âge adulte et est présente dans divers contextes, comme en témoignent au moins quatre des manifestations suivantes :
1. le sujet s'attend sans raison suffisante à ce que les autres l'exploitent, lui nuisent ou le trompent ;
2. est préoccupé par des doutes injustifiés concernant la loyauté ou la fidélité de ses amis ou associés
3. est réticent à se confier à autrui en raison d'une crainte injustifiée que l'information soit utilisée de manière perfide contre lui
4. discerne des significations cachées, humiliantes ou menaçantes dans des commentaires ou des événements anodins ;
5. garde rancune, c'est-à-dire ne pardonne pas d'être blessé, insulté ou dédaigné ;
6. perçoit des attaques contre sa personne ou sa réputation, alors que ce n'est pas apparent pour les autres, et est prompt à la contre-attaque ou réagit avec colère ;
7. met en doute de manière répétée et sans justification la fidélité de son conjoint ou de son partenaire sexuel.

B. Ne survient pas exclusivement pendant l'évolution d'une schiz0phrénie, d'un trouble de l'humeur avec caractéristiques psychotiques ou d'un autre trouble psychotique et n'est pas dû aux effets physiologiques directs d'une affection médicale générale.

Si je parle de paranoïa, c'est que je me suis rendu compte que, plus l'état irresponsable crèe des lois stigmatisant des catégories de citoyens, plus il oppose des groupes entre eux, en leur créant de faux droits qui n'ont rien à voir avec l'intérêt général, plus il encourage la sectorisation et l'atomisation de la société et favorise de ce fait l'émergence de graves comportements paranoïaques.

J'ai toujours beaucoup ri lorsque Philippe Muray, avec son inimitable style, se moquait de ce type de comportements en parlant d'envie de pénal. Je crains aussi que la légitimation de comportements qu'on peut objectivement définir comme étant totalement pathologiques, nous amène finalement à pleurer. La quérulence, qu'on le veuille ou non, cette propension à porter plainte pour un oui ou un non en vertu d'un délire de revendication, reste un symptôme paranoïaque angoissant.

Qu'on les compare à des nazis, des inquisiteurs ou des talibans, cette qualification a finalement un fond de vérité. Non que cette réalité soit historique, car il ne viendrait à l'idée de personne de songer que ces amateurs de faux droits (à l'air pur, au logement, etc.), qu'on qualifie souvent de droits-à en opposition aux droits-de, militent dans des groupuscules nazis ou islamistes.

Cette réalité est simplement liée au fait que les comportements qu'on observe ces chez ces personnes sont en tout point semblables à ceux qu'on observe dans les groupes suscités e sinistre mémoire ; seul l'enjeu du combat change mais la rage et la violence destinées à imposer leurs points de vue sont les mêmes. On vous convainc à grands coups de bottes !

De manière plus générale, il ne s'agit cependant pas de stigmatiser les combats menés, dont certains peuvent apparaître légitimes, que de dénoncer les dérives paranoïaques dont font parfois preuve certains groupuscules pour imposer leurs vues violemment.

En règle générale, méfions-nous toujours des personnes obsédées par toute forme de pureté ou d'angélisme, il y a souvent fort à parier qu'une structure de type paranoïaque se cache sous de tels idéaux. Je peux soutenir les gens qui veulent tenter d'améliorer les choses mais je me garde toujours de ceux qui ont pour ambition d'installer le paradis sur terre. Si la charité me séduit, le socialisme, qu'il soit de droite ou de gauche, me fait frémir.

La paranoïa n'est pas seulement une belle entité développée dans les manuels de psychopathologie, elle est là, au coeur du monde, parmi nous, et elle est terriblement dangereuse. Frottez-vous un jour à un paranoïaque, subissez son assaut et vous verrez que je ne parle pas à la légère.

Souvenons-nous que la paranoïa de Staline, Pol Pot ou de Hitler a finalement tué bien plus de personnes que les maladies cardiovasculaires et le cancer réunis. Ne troquons pas la peste pour le choléra.

Vive la liberté !

5 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Bravo.

Toju.

(nonobstant tout zurnisme)

29/12/07 2:47 PM  
Blogger Unknown said...

Merci pour votre article très instructif.

Le discours paranoïaque est en effet "sérieux, sermon (au sens de reproches sans fin avec invocation de règles morales contre l'interlocuteur), plainte".

Mais je me permets de proposer que le mobile de l'action est : "Montrer sa puissance." Si le mobile est "montrer sa puissance", dès lors est évacué le mobile rationnel de poursuite du bien. Cela désoriente l'entourage qui n'a plus de langage commun, puisque le langage commun de l'humanité est la raison. Dès lors, il n'y a plus de communication, il n'y a plus de société.

Je ne sais si c'est reconnu par les psychiatres, mais j'avais entendu une fois un magistrat parler d'un grand criminel qui ne voulait parler qu'à un certain magistrat et pas aux autres. La magistrat expliquait que par ce moyen, le criminel, probablement paranoïaque, voulait "montrer sa puissance", prouver à l'humanité l'étendue de son pouvoir.

Cela m'a frappé, comme quelque chose de frappant de vérité. Or on serait tenté de dire "- Il ne veut parler qu'à Untel, parce que Untel est plus gentil etc." En réalité, c'est probablement totalement arbitraire, du moins en grande partie, et le motif psychologique est caché "montrer sa puissance" est caché mais bien décrypté par le magistrat qui donnait l'interview.

Les mobiles du paranoïaque sont puérils, mais dissimulés sous de grands discours moraux et pseudo intellectuels. La paranoïa rend idiot, mais le discours paranoïaque est convaincant. Mais certains paranoïaques sont probablement conscients de leurs manipulations, ils sont consciemment indifférents au sort de l'humanité. Ce sont des calculateurs.

Contrairement à ce que j'ai pu lire il me semble que les femmes peuvent très bien se montrer de caractère paranoïaque.

14/6/11 7:24 AM  
Blogger AIMEDIEU said...

https://www.blogger.com/comment.g?blogID=20765117&postID=601515207320889693&isPopup=true


"Si la charité me séduit, le socialisme, qu'il soit de droite ou de gauche, me fait frémir."

Le socialisme n'est QUE de gauche (sauf quand il était accolé à "National").

La charité elle est de droite. Le contraire du droit.

Du droit à ne pas dépendre de la charité de ceux qui accaparent tout et n'en redistribue que le presque rien qu'ils veulent bien concéder à des exploités qu'ils maintiennent ainsi dans la dépendance ("à not' bon maître !"). Et qui, à force de l'être, sans aucune parano, finissent pas avoir des raisons tout ce qu'il y a d'objectives de croire que seule l'exercice de leur force contre les forts peut, sans angélisme aucun, rétablir un peu de justice entre les hommes.

Vous savez ce sentiment si étrangement partagé que depuis Caïn et Abel, les hommes ne cessent de s'entretuer pour lui.

24/3/14 11:25 PM  
Blogger Unknown said...

Bof, je me relis, mais je ne trouve pas mon commentaire particulièrement pertinent. J'étais influencé à l'époque par une phrase d'un procureur à propos d'un grand pervers. Il disait que son "client" voulait démontrer sa puissance par des exigences puériles. Je lui ai donc emboîté le pas au risque de confondre paranoïa et perversité (deux notions distinctes).

Pourriez-vous, s'il vous plaît, supprimer mon commentaire ?

En revanche, je trouve votre post très profond. Il m'a bien aidé et m'aide encore. C'est la marque des grands textes: plus on les lit, plus ils apportent et font réfléchir.

31/7/14 1:50 PM  
Blogger Unknown said...

Le clivage droite-gauche est d'autant plus artificiel, visant initialement à cliver la société pour mieux la dominer, qu'il tend progressivement à s'effacer devant l'uniformisation d'un Nouvel Ordre Mondial : un Macron en est le parfait exemple, qui confond de manière fort perturbante les deux concepts. Les vraies valeurs sont celles de la Morale, qu'on retrouve aussi bien dans le "socialisme" que dans la "charité" - chacune de ces acceptions tendant finalement au bien. Il convient donc de s'élever au-dessus de ce clivage droite-gauche, et finalement d'écouter son cœur et son intuition profonde qui, s'ils n'ont pas été trop pervertis par notre société déviante, sont encore capables de discerner le bien du mal, le bon du mauvais. Car ces vraies valeurs sont finalement inaliénables, inaltérables, inamovibles. Seules les âmes et leur capacité de les reconnaître et s'y conformer le sont.

25/5/16 1:23 PM  

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