23 décembre, 2007

Retour de soirée ! Ecclesiaste et stoïcisme !

La grande classe !

Il est six heures. Je rentre juste d'un diner chez Lorenzo. Il est tard mais j'avais envie de venir faire un petit tour ici. Le diner s'est bien passé, c'était très sympa. Lorenzo a beau être âgé, puisque né en 1959, il est rigolo. On prend l'apéro, puis on dine, et l'on fait ensuite notre petit tour, avant de revenir prendre le café. De vrais petits vieux, avec des habitudes réglées comme du papier à musique.

Moi j'adore les habitudes et Lorenzo aussi ; c'est normal nous sommes capricornes, alors il ne faut pas nous bousculer. D'ailleurs, j'ai tort de dire que c'est un petit vieux, puisque nous, les capricornes, nous sommes nés sous le signe du temps: Saturne, Chronos en grec, est notre maître astral. Comme le bon vin, on mature sans jamais vieillir en piquette.

On adore donc aller faire notre promenade digestive. Comme il vit dans un trou charmant, c'est sympa, surtout de ce temps très froid et sec. On sort, alors qu'il est 3h00 du matin, et on va se balader. On prend quelques sentes discrètes qui serpentent à travers le village, et on a tôt fait de quitter le village et de se retrouver en plein champs.

C'était joli ce soir, parce qu'il y avait la pleine lune, on y voyait presque comme en plein jour, les champs étaient blancs de givre, et les arbres déployaient leurs ramures noires au-dessus de nos têtes, le paysage aurait enchanté les gothiques. En plus, pour gagner du temps, on a coupé à travers un cimetière désaffecté depuis la fin du XIXème siècle, dont les grilles ne sont jamais fermées. Il n'y a rien à y voler de toute manière.

On a donc devisé gravement de choses et d'autres, en marchant d'un pas de sénateur entre de vieux tombeaux moussus aux inscriptions presqu'effacées. De temps en temps, j'approchais la flamme de mon briquet d'une dalle pour voir qui y était inhumé. Ca remet vite les choses en place ce genre de promenade. Penser que tous ces gens furent aimés et respectés et qu'à peine cent ans plus tard, nulle âme ne s'y intéresse, à part un vague gardien qui coupe l'herbe du cimétière, ça remet vite les choses en place.

Si je n'avais pas peur de vous assommer avec des concepts philosophiques hyper-puissants, j'affirmerais haut et fort qu'on n'est pas grand chose, tout de même ! Ca y est je l'ai dit, j'ai lâché cette phrase lourde de sens. A vous de méditer. C'est ma manière finalement de rééditer l'exploit de l'Ecclesiaste qui écrivait : "Car la destinée des enfants d'Adam et celle des animaux sont une seule et même chose. La mort des uns, c'est la mort des autres ; il n'y a qu'un même souffle en tout ; la supériorité de l'homme sur l'animal n'existe pas ; tout est vanité. Tout va vers un même lieu. Tout est venu de la poussière et tout retourne à la poussière.".

Vous noterez que cette promenade donne des idées gaies non ? Nous, avec Lorenzo, on ne trouve pas cela triste parce que le capricorne est justement grave et qu'il s'accommode depuis toujours de sa terrible lucidité. Ces morts parmi lesquels nous cheminions, c'était nous dans cent ans. Et puis, comme l'Ecclesiaste, ce roi aujourd'hui oublié qui avait du naitre entre le 21 décembre et le 21 janvier, un bon capricorne est nécessairement stoïque.

Bien sur, nous avons parlé politique. Lorenzo, bien qu'un peu plus âgé est encore en lice et trouve encore les capacités de s'émouvoir et de se mettre en colère. Je l'admire ! Moi non, j'ai sans doute acquis une forme de sagesse. Pourquoi s'indigner, pourquoi se batte et combattre ? Après tout, tout vient à point à qui sait attendre dit le proverbe. Un autre explique qu'il suffit de s'asseoir au bord de la rivière pour voir passer le cadavre de son ennemi.

Ces deux proverbes nous font comprendre que le temps est l'argument ultime qui vient à bout de tout. Comme je le disais à Lorenzo, certains comportements portent en eux les châtiments futurs, il suffit juste de le savoir, et de se le rappeler quand on désespère. C'est sans doute pour cela que contrairement au Grand Charles, dont j'apprécie le blog, je n'ai pas envie d'arrêter le mien.

Contrairement à lui, ou à d'autres écrivant aussi fort bien, je ne m'indigne plus de rien ou presque. Ici, je m'amuse la plupart du temps, sans rien commenter du monde réel, parce que cela ne sert à rien. Même mes deux articles concernant l'interdiction de fumer dans des lieux publics, qui ne le sont pas, n'ont pas réussi à être sérieux. Lassé de tout, je n'avais pas forcément envie de me résoudre à un doux désespoir, alors je me contente de m'amuser. C'est déjà bien. Comme je le répète souvent à mes chers patients : "Tout finit toujours par s'arranger même mal". Le temps est le remède à tout.

Alors oui, avec Lorenzo, on a un peu abordé les histoires de Villiers-le-Bel, et des grèves des fonctionnaires, en nous demandant ce qu'avait raqué Nicolas S. pour acheter la paix sociale. Parce que nous ne sommes pas idiots au point d'imaginer que tout cela s'est arrangé uniquement grâce à son talent politique puisqu'il en est dénué. Ce type, Nicolas S., est un bon boxeur mais comme tous les sportifs de talents, il devient pitoyable quand il s'agit de gérer l'après carrière sportive., Rappelez vous le pauvre Borg escroqué et tant d'autres !

On a aussi un peu parlé des salauds de grévistes d'Air France qui choisissent le moment des fêtes, alors que tout le monde a envie d'être en famille, pour faire leur odieuse prise d'otages. Mais, nous ne sommes pas allés très loin, parce qu'à vrai dire, je me fous de tout cela. Air France pourrait fermer demain, que cela ne me dérange pas. Je ne voyage jamais sur Air France que j'ai déjà suffisamment engraissé toute ma vie. Et pour les voyages en France, j'ai ma Saab polluante.

J'ai dit à Lorenzo que je m'en foutais de tout cela. Je lui ai juste dit que certains comportements amenaient forcément des conséquences évidentes. Qu'il fallait juste se souvenir de tout cela, que c'était de la logique, ce qu'avant on appelaient des antécédents et des conséquents. Et qu'une fois, qu'on s'était répété cela, mille fois, dix-mille fois, on était blindé, et prêts à faire face à tout. La septicémie s'installe dans une plaie que l'on ne soigne pas. Il faut que le coeur se brise ou se bronze, voilà tout.

En rentrant ce soir, sur l'autoroute, j'ai écouté France-Info. Vous savez sans doute que Valériée Bègue, notre dernière Miss France, risque de perdre son titre car Madame de Fontenay, lui reproche d'avoir posé pour des photos équivoques voire ambigües, et que le règlement l'interdit. Un journaliste de cette radio interviewait l'évêque de l'île de la Réunion, expliquant qu'il soutenait Valérie Bègue, au motif qu'il fallait pardonner les erreurs de jeunesse. Il a aussi dit d'autres choses que je n'ai pas écoutées.

Fut un temps, je crois que je me serais énervé en me disant que ce connard d'évêque avait décidemment rien d'autre à foutre pour s'occuper de cela. Ou du moins qu'il aurait pu s'en occuper d'une manière, plus élégante et cinglante, au lieu de sombrer dans le pathos ridicule. J'aurais rajouté tout un tas de choses, maudissant ce crétin. J'étais dans l'erreur, je le reconnais. Quel mal cela me fait-il qu'un évêque soit assez stupide pour jouer la carte ethno-politique réunionnaise au détriment des évangiles et de la morale ?

Après tout, si il lui apparaît que dans sa mission pastorale, il faille à tout prix qu'il s'indigne pour excuser la pauvre Valérie, parce qu'on lui fait un mauvais procès au motif qu'elle s'est fait prendre en photo en léchant du yaourt, ou prendre nue en photo sur une croix, pourquoi pas ? Il fait ce qu'il veut ce brave homme, c'est lui l'évêque et tant pis, si tandis qu'il perd son temps en s'occupant d'une manifestation commerciale et purement privée. Car rappelons que la société Miss France est une société privée dotée d'un règlement strict.

Ce soir, en rentrant chez moi, sur l'autoroute, je me suis contenté d'écouter France-Info, sans qu'aucun des commentaires ne m'arrache la moindré émotion. J'étais content de moi. J'ai furtivement repensé aux tombeaux parmi lesquels nous étions passés Lorenzo et moi. Je ne sais pas, si je suis vivant dans un monde presque mort, ou déjà mort dans un monde qui n'en finit pas de mourir. Dans tous les cas, c'est relaxant. Concluons avec l'Ecclésiaste :

"Et je me remis à observer, et je vis les actes d'oppression qui se passent sous le soleil. Partout des opprimés baignés de larmes, et personne pour les consoler ! Des gens suppliant qu'on les tire des mains de ceux qui les oppriment, et personne pour les délivrer Alors je félicitai les morts et je préférai le sort de ceux qui ont disparu avant nous au sort des vivants dont l'existence s'est prolongée jusqu'à présent. Plus heureux que les uns et que les autres me parurent ceux qui n'ont jamais existé, puisqu'ils n'ont pas «au les choses qui se passent sous le soleil. Je compris que tout effort, tout succès se résume en jalousie, en désir de surpasser son semblable. Encore une vanité, une pâture de vent ! L'insensé se croise les mains et vit de sa propre substance. Mieux vaut une poignée de bonheur calme que les deux mains pleines de labeur et de vains soucis."
L'Ecclésiaste, VII, traduction de l'hébreu par Ernest Renan. (Lien ici)