Ils sont revenus, ils sont tous là ! Ben non ! Même pas !
Le décret antifumeur avait trois ambitions :
- D'une part, grâce à lui, on sait que ce que l'on nommait auparavant un café, un troquet ou un rade est aujourd'hui un espace de convivialité. Avant, on pouvait déprimer au bar en fumant sa clope sans parler à personne. Aujourd'hui, ce n'est plus possible car le lieux est convivial. Ouste, du balai le dépressif chronique, le cyclothymique dérangeant. La novlangue a fait une conquête. Le rade trop connoté prolo avec ses accessoires inévitables comme la demi et la gitane maïs, a déserté le patrimoine culturel français. Aujourd'hui, vous irez en famille prendre un smoothie dans un lieux de convivialité. D'ailleurs sur ce site, on apprend entre autre que : "doux, onctueux, pleins de bonnes choses, les smoothies sont nos amis et allient santé et plaisir". Avouez que l'on est loin du petit jaune et du demi !
- On épargne notre santé mais aussi celle des salariés de ces "lieux de convivialité" en ne macérant plus dans la fumée de tabac. C'est un gage appréciable. Vous allez voir que l'on va finir immortel ! A moins qu'une fois le cancer du poumon éradiqué, on se réveille avec d'autres types de cancers ? Vous savez, cela risque de faire comme dans les fromageries industrielles. A force d'être trop propres, ces établissement ont permis à la listeria mille fois plus dangereuse de se développer. Mais bon, si l'Europe le dit, c'est que c'est bien pour nous. D'ailleurs sur les forums tout le monde le dit bien : l'Irlande, la Grande-Bretagne et l'Italie l'on fait donc on doit le faire ! C'est tout ! Manquerait plus qu'un gaulois ne vive pas comme un rosbif, un rital ou un bouffeur de patates ! Tss, c'est à croire qu'on exige une exception culturelle, qui comme chacun le sait, ne fonctionne que dans le domaines des arts !
- Enfin, et c'est là que le terme "lieu de convivialité" prend tout son sens, ce décret bannissant le tabac de nos estaminets va permettre de faire revenir tout un tas de chouettes clients, qui avaient justement déserté ces lieux du fait de la fumée. Ce sera un peu comme des sanatoriums mais en plus convivial ! Les grands malades pourront y venir boire un coup ! Et en plus, il y aura les mamans avec les enfants ! Je propose qu'un autre décret exige que chaque établissement dispose de prises d'oxygène comme les hostos, mais aussi d'un coin avec table à langer ! Et puis, au milieu de tout cela, il y aura les joyeux paranoïaques des associations de délation !
Tout ceci fonctionne bien sur le papier et aussi sur les forums des grands quotidiens. Tous les anti-fumeurs le disent bien : on n'attendait que cela pour investir en masse les lieux de convivialité que ces salauds de fumeurs gâchaient par la fumée résultant de la combustion de leurs odieuses cigarettes ! D'ailleurs tous le disent, en Italie, en Irlande, en Grande-Bretagne, les établissements se frottent les mains devant l'afflux de cette nouvelle clientèle !
Alors qu'en est-il sur le terrain ? Laurence et moi-même avons enquêté pour vous ! Tel un renard à l'affut, ou un militant non fumeur traquant la faute, je me suis promené dans les rues de Paris, regardant les estaminets.
J'ai pu constater, qu'à part au moment du déjeuner, ils sont presque vides. Tel bar dont le comptoir était pris d'assaut, est déserté, tel autre n'a qu'un ou deux consommateurs. C'est un constat d'ensemble que j'ai pu faire dans différents quartiers de Paris, au hasard de mes pérégrinations, qu'il s'agisse de l'Ecole militaire, de la Bastille ou du Luxembourg.
Jeudi 2 janvier, je ne me suis pas encore risqué dans un troquet. Ils sont vides et je fais comme tous les fumeurs, je les évite. Le soir même, une amie me propose de nous voir pour diner. Elle me dit aussitôt que comme les restaurants sont devenus non-fumeurs, on pourrait diner chez l'un de nous tranquillement. Ayant une grande maison, c'est chez moi que le diner aura lieu. Nous étions huit et tout s'est bien passé. Huit couverts en moins pour un restaurant.
Vendredi matin, un patient m'annonce qu'il aura malheureusement une demie-heure de retard. Que faire ? Attendre bovinement dans mon cabinet en consommant un excellent café de ma Nespresso ou bien tenter d'en prendre un à l'extérieur ?
Je me suis finalement risqué dans un établissement que je connaissais bien. Etant interdit en salle, j'ai demandé à ce qu'on me serve en terrasse. Le patron avenant m'a dit que j'allais prendre froid. Je lui ai répondu que chaudement vêtu, et né sous le signe du Capricorne, les frimas ne me faisaient pas peur. Et qu'au surplus depuis le 2 janvier, j'étais devenu tricard en salle. Le pauvre m'a regardé tristement tandis que son unique cliente m'expliquait que c'était à notre tour, à nous fumeurs, de connaître les joies de la relégation ! Ce à quoi je lui répondis que le pauvre cafetier n'allant pas gagner sa vie avec elle pour unique cliente, qui plus est consommant un misérable thé, il y avait fort à parier que d'ici quelques temps, elle et moi en seront réduits à prendre nos consommations chez nous ! Et toc !
Quelques minutes après, le patron m'apporta mon café et m'expliqua que c'était une catastrophe et que son chiffre d'affaires était pour le moment calamiteux. Le pauvre homme semblait soucieux. Je tentai de le rassurer en lui disant quelle chouette mission de santé publique il avait maintenant. Je n'obtins qu'un triste sourire ! Quoiqu'il en soit, je restai vingt minutes et ne vis que deux consommateurs rentrer dans ce bar. L'un d'eux me fit sourire, car ce vieux monsieur âgé d'environ soixante-dix ans, sortit une cigarette qu'il maintint non allumée dans sa bouche. Il vida son ballon de rouge en deux minutes montre en main avant de repartir. C'était vraiment un chouette lieu de convivialité !
Ce même jour, une ex-patiente fort sympathique m'avait proposé de m'inviter à déjeuner. Ayant eu mon rendez-vous de treize heures annulé, j'acceptai l'aubaine d'un repas chaud et gratuit ! C'est donc avec empressement que je me rendis accompagné de ma charmante ex-patiente dans un autre troquet où j'eus naguère mes habitudes, à l'époque où je pouvais prendre quatre ou cinq cafés par jour lors de mes petites pauses. Je précise que cette ex patiente n'a jamais fumé et qu'elle ne boit pas.
La salle était pleine. Pour le coup, le décret a bien marché. La patronne d'habitude assez morue désagréable, vint à ma rencontre en souriant de toutes ses vilaines dents. J'ai immédiatement trouvé cela louche. Observant la salle, j'enregistrai qu'il y avait plein de chouettes nouveaux clients venus avec des enfants ! Sagace comme je suis, je notai le peu de bouteilles de vin sur les tables car il est rare que les mères de famille s'arsouillent au gros rouge en compagnie de leur marmaille. A côté de nous, une chouette table de touristes, finissait leur tartine poilâne, en la faisant descendre avec du thé, tout en compulsant un plan de Paris.
Le brave Gérard, serveur que je connais bien, arriva bien vite pour me présenter ses voeux et me dire que cela lui faisait plaisir de me revoir. Au moment de passer la commande, je pris un tartare et la demoiselle en face de moi, une escalope de dinde. Lorsqu'il me proposa un excellent Saint-Nicolas de Bourgueil, parce qu'il connait mes goûts, je demandais poliment à la demoiselle si elle boirait. Elle me répondit qu'elle se contenterait d'une carafe d'eau.
J'expliquai à Gérard que dorénavant prenant soin de mes poumons, il était normal que je prisse soin de mon foie et que l'eau de la ville de Paris me satisfaisait. Il repartit dépité. Il revint nous proposer des desserts que nous refusâmes ! Je lui expliquai évidemment que le sucre n'était pas indiqué. Ce sacré Gérard, tentant de me prendre par les sentiments, me demanda tout-sourire si un bon café me ferait plaisir. Je déclinai son invitation au motif que les excitants n'étaient pas conseillés non plus et qu'au surplus ma Nespresso m'offrait de bonnes prestations dans le cadre de mon cabinet. Il nous raccompagna à la porte, non sans me dire que c'était un désastre, que le bar ne tournait pas, que tout le monde faisait comme moi lors du déjeuner, et qu'il avait noté une très nette propension à rester le moins de temps possible.
Aujourd'hui samedi, je me suis rendu à ma banque afin d'y déposer ma recette. Comme à mon habitude, je suis passé au petit rade situé juste à côté, dont j'avais déjà parlé ici même en l'appelant Chez Marcel. Philippe le nouveau patron semblait bien seul. Comme je le connais bien, je lui présentai mes voeux en même temps que je commandai un café. Nous n'étions que trois accoudés, alors que d'habitude, il y a au moins une vingtaine de consommateurs.
Bien entendu, je demandai à Philippe comment le décret avait été établi. Il m'expliqua qu'il avait reçu la visite de la police nationale trois jours de suite. La dernière fois, le matin même donc, c'était carrément deux inspecteurs en civil qui avait inspecté son café en faisant attention à ce qu'aucun mégot ne jonchât le sol devant le bar. Passablement énervé, Philippe leur avait demandé s'ils allaient venir tous les jours et s'ils n'avaient pas d'autres missions à mener. Ces deux hommes lui auraient répondu vertement qu'ils avaient des ordres et que faire respecter ce décret faisait intégralement partie de leur mission. L'un d'eux aurait même précisé que plus de cinq-mille amendes avaient été distribuées en région parisienne.
Je me rendis sur la terrasse en emmenant ma tasse de café afin de papoter avec l'un des consommateurs que je connaissais bien. J'observai le pauvre Philippe tout déconfit derrière son bar. Il ne lui restait qu'un consommateur. J'ai bien cru qu'il allait pleurer.
Après m'être adonné à mon plaisir coupable, je rentrai de nouveau dans l'établissement pour discuter avec le patron. Lui aussi m'annonça que son chiffre d'affaires était en baisse d'une manière dramatique. Les deux tiers des personnes ne venaient plus prendre de café le matin. Quant à ceux qui venaient encore, ils n'en prenaient qu'un, là où ils en auraient pris deux ou trois habituellement. Au moment de l'apéritif le soir, il m'expliqua aussi que certaines personnes que je connais bien, venaient et se contentaient d'un verre, alors qu'habituellement ils auraient "mis" une ou deux tournées. Il me cita par exemple le cas d'un de mes colistiers, directeur général de profession et grand amateur de Gewurztraminer, qui était passé la veille et n'avait pris qu'un verre en vitesse lui expliquant qu'il resterait plus longtemps au printemps quand la minuscule terrasse serait plus acceuillante.
Je demandai alors à Philippe ce qu'il en était de cette fabuleuse clientèle de non fumeurs tant vantée, qui allait à ce qu'en disaient les journaux et les associations anti-fumeurs, investir en masse les bars enfin devenus sains ? Il m'expliqua qu'à midi, profitant sans doute des vacances, il avait eu deux mères de famille qui étaient venues déjeuner accompagnées de leurs enfants. L'une d'elle lui avait même demandé si il pouvait lui faire chauffer un biberon pour son nourrisson. Mais elles avaient peu mangé et s'était contenté d'une bouteille d'eau minérale.
Le troisième consommateur, un homme âgé que je connais un peu, s'immisça alors dans le débat et m'expliqua que lui, avait arrêté de fumer voici près de vingt ans mais qu'il ne comprenait pas ce décret. Il m'expliqua que les copains qu'il avait l'habitude de fréquenter ce bar étaient pour les deux tiers environ des fumeurs. Et puisque tous ou presque avaient déserté le comptoir, il restait peu de temps, préférant retourner chez lui regarder la télévision, plutôt que d'être seul face à son verre de rouge parce que cela le déprimait. Se mettant en colère, il m'expliqua qu'il avait fait l'Indo, l'Algérie et servi son pays loyalement mais qu'il fallait que "ce putain de gouvernement lui gâche ses dernières années avec des lois à la con". J'opinai du chef, comprenant la détresse de pauvre homme qui préférait sans doute son bon vieux troquet, avant qu'il ne devienne un lieu de convivialité.
Comme les biturins et les amateurs de troquets sont aussi de savants philosophes, nous fumes bientôt d'accord pour considérer qu'il y avait deux groupes d'individus sur terre :
Chassés de nos chers bistros enfumés, il nous reste à boire seuls chez nous. Enfin, avec ce que j'économise en cafés pris dans les bistros, je me dis que je me finance mes clopes.
Fumer c'est très mal, tout le monde le sait, mais je ne crois pas qu'une seule personne, que l'on puisse aujourd'hui appeler gros fumeur, arrêtera du fait de ce décret imbécile. Au contraire, le fumeur, comme tout bon toxico, est un rebelle dans l'âme. Les imbéciles pondent des lois mais la psychopathologie observent d'autres choses.
Ce que j'observe aujourd'hui, c'est un énorme ressentiment vis à vis de l'état et des non-fumeurs intransigeants. Personne n'arrête la cigarette, on se contente généralement d'arrêter les troquets. Je me suis livré à un petit sondage parmi mes amis ou mes patients fumeurs. Tous sans exception ont eu la même réaction. Certains même qui auraient voulu arrêter ne veulent pas et m'expliquent qu'ils ne le feront que dans quelques mois pour "ne pas leur donner l'impression d'avoir gagné". Tout ceci peut sembler stupide et immature mais les gens sont ainsi faits et je ne déroge pas à cette règle.
La règle semble être "plutôt crever que de leur donner raison". C'est stupide mais c'est toujours ainsi que les guerres commencent et qu'elles durent. Je crois même que si je devais crever d'un cancer du poumon dans les mois qui viennent, je serais sans doute taraudé par une atroce culpabilité qui me ferait me dire que j'ai été le dernier des cons de persister à fumer parce que je savais que c'était dangereux. Mais en surface, face au mec en blouse blanche, je continuerais à affirmer que ça a été mon choix, ma vie, mon plaisir, fut-il nuisible. Et que tandis que ce crétin aura passé sa vie à soigner des corps, sans vraiment réussir parce qu'on continue à mourir, moi j'aurai passé la mienne à m'occuper des âmes et que dans mon métier, moins crétin que le sien, tout n'était que choix philosophique, que doutes, que tâtonnements, et que c'était autrement plus compliqué. Et que c'est justement pour cela que ma profession n'a jamais voulu devenir en profession paramédicale, parce que pour nous autres "psys" vivre signifie autre chose qu'être simplement en bonne santé. Parce qu'un vrai rebelle ne se rend jamais !
Vous ne voulez plus de nous dans les rades ? Nous n'irons plus dans vos lieux de convivialité. Peut-être que les cafetiers, qui n'étaient pas contre ce décret parce que cela les dispensait de vider nos cendriers et de refaire trop souvent les peintures, se souviendront que nous constituions l'essentiel de leur chiffre d'affaires !
Quand ils crèveront la bouche ouverte, gageons que le gouvernement fera machine arrière car quoiqu'on en dise, le fric reste roi. En attendant, il reste les municipales et les cantonales de 2008. Je ne pense pas que que les fumeurs se jetteront sur les listes UMP, du moins je l'espère.
Face aux réalités économiques et politiques, que restera-t-il du nouveau droit sacré des non-fumeurs ? Peut-être l'état maintiendra-t-il son diktat. Grand bien lui fasse. Privés de leurs rades favoris, bon nombre de paumés pourront utilement demander à leur médecin de leur prescrire des antidépresseurs et des anxiolitiques. Ca marche bien aussi.
Alors qu'en est-il sur le terrain ? Laurence et moi-même avons enquêté pour vous ! Tel un renard à l'affut, ou un militant non fumeur traquant la faute, je me suis promené dans les rues de Paris, regardant les estaminets.
J'ai pu constater, qu'à part au moment du déjeuner, ils sont presque vides. Tel bar dont le comptoir était pris d'assaut, est déserté, tel autre n'a qu'un ou deux consommateurs. C'est un constat d'ensemble que j'ai pu faire dans différents quartiers de Paris, au hasard de mes pérégrinations, qu'il s'agisse de l'Ecole militaire, de la Bastille ou du Luxembourg.
Jeudi 2 janvier, je ne me suis pas encore risqué dans un troquet. Ils sont vides et je fais comme tous les fumeurs, je les évite. Le soir même, une amie me propose de nous voir pour diner. Elle me dit aussitôt que comme les restaurants sont devenus non-fumeurs, on pourrait diner chez l'un de nous tranquillement. Ayant une grande maison, c'est chez moi que le diner aura lieu. Nous étions huit et tout s'est bien passé. Huit couverts en moins pour un restaurant.
Vendredi matin, un patient m'annonce qu'il aura malheureusement une demie-heure de retard. Que faire ? Attendre bovinement dans mon cabinet en consommant un excellent café de ma Nespresso ou bien tenter d'en prendre un à l'extérieur ?
Je me suis finalement risqué dans un établissement que je connaissais bien. Etant interdit en salle, j'ai demandé à ce qu'on me serve en terrasse. Le patron avenant m'a dit que j'allais prendre froid. Je lui ai répondu que chaudement vêtu, et né sous le signe du Capricorne, les frimas ne me faisaient pas peur. Et qu'au surplus depuis le 2 janvier, j'étais devenu tricard en salle. Le pauvre m'a regardé tristement tandis que son unique cliente m'expliquait que c'était à notre tour, à nous fumeurs, de connaître les joies de la relégation ! Ce à quoi je lui répondis que le pauvre cafetier n'allant pas gagner sa vie avec elle pour unique cliente, qui plus est consommant un misérable thé, il y avait fort à parier que d'ici quelques temps, elle et moi en seront réduits à prendre nos consommations chez nous ! Et toc !
Quelques minutes après, le patron m'apporta mon café et m'expliqua que c'était une catastrophe et que son chiffre d'affaires était pour le moment calamiteux. Le pauvre homme semblait soucieux. Je tentai de le rassurer en lui disant quelle chouette mission de santé publique il avait maintenant. Je n'obtins qu'un triste sourire ! Quoiqu'il en soit, je restai vingt minutes et ne vis que deux consommateurs rentrer dans ce bar. L'un d'eux me fit sourire, car ce vieux monsieur âgé d'environ soixante-dix ans, sortit une cigarette qu'il maintint non allumée dans sa bouche. Il vida son ballon de rouge en deux minutes montre en main avant de repartir. C'était vraiment un chouette lieu de convivialité !
Ce même jour, une ex-patiente fort sympathique m'avait proposé de m'inviter à déjeuner. Ayant eu mon rendez-vous de treize heures annulé, j'acceptai l'aubaine d'un repas chaud et gratuit ! C'est donc avec empressement que je me rendis accompagné de ma charmante ex-patiente dans un autre troquet où j'eus naguère mes habitudes, à l'époque où je pouvais prendre quatre ou cinq cafés par jour lors de mes petites pauses. Je précise que cette ex patiente n'a jamais fumé et qu'elle ne boit pas.
La salle était pleine. Pour le coup, le décret a bien marché. La patronne d'habitude assez morue désagréable, vint à ma rencontre en souriant de toutes ses vilaines dents. J'ai immédiatement trouvé cela louche. Observant la salle, j'enregistrai qu'il y avait plein de chouettes nouveaux clients venus avec des enfants ! Sagace comme je suis, je notai le peu de bouteilles de vin sur les tables car il est rare que les mères de famille s'arsouillent au gros rouge en compagnie de leur marmaille. A côté de nous, une chouette table de touristes, finissait leur tartine poilâne, en la faisant descendre avec du thé, tout en compulsant un plan de Paris.
Le brave Gérard, serveur que je connais bien, arriva bien vite pour me présenter ses voeux et me dire que cela lui faisait plaisir de me revoir. Au moment de passer la commande, je pris un tartare et la demoiselle en face de moi, une escalope de dinde. Lorsqu'il me proposa un excellent Saint-Nicolas de Bourgueil, parce qu'il connait mes goûts, je demandais poliment à la demoiselle si elle boirait. Elle me répondit qu'elle se contenterait d'une carafe d'eau.
J'expliquai à Gérard que dorénavant prenant soin de mes poumons, il était normal que je prisse soin de mon foie et que l'eau de la ville de Paris me satisfaisait. Il repartit dépité. Il revint nous proposer des desserts que nous refusâmes ! Je lui expliquai évidemment que le sucre n'était pas indiqué. Ce sacré Gérard, tentant de me prendre par les sentiments, me demanda tout-sourire si un bon café me ferait plaisir. Je déclinai son invitation au motif que les excitants n'étaient pas conseillés non plus et qu'au surplus ma Nespresso m'offrait de bonnes prestations dans le cadre de mon cabinet. Il nous raccompagna à la porte, non sans me dire que c'était un désastre, que le bar ne tournait pas, que tout le monde faisait comme moi lors du déjeuner, et qu'il avait noté une très nette propension à rester le moins de temps possible.
Aujourd'hui samedi, je me suis rendu à ma banque afin d'y déposer ma recette. Comme à mon habitude, je suis passé au petit rade situé juste à côté, dont j'avais déjà parlé ici même en l'appelant Chez Marcel. Philippe le nouveau patron semblait bien seul. Comme je le connais bien, je lui présentai mes voeux en même temps que je commandai un café. Nous n'étions que trois accoudés, alors que d'habitude, il y a au moins une vingtaine de consommateurs.
Bien entendu, je demandai à Philippe comment le décret avait été établi. Il m'expliqua qu'il avait reçu la visite de la police nationale trois jours de suite. La dernière fois, le matin même donc, c'était carrément deux inspecteurs en civil qui avait inspecté son café en faisant attention à ce qu'aucun mégot ne jonchât le sol devant le bar. Passablement énervé, Philippe leur avait demandé s'ils allaient venir tous les jours et s'ils n'avaient pas d'autres missions à mener. Ces deux hommes lui auraient répondu vertement qu'ils avaient des ordres et que faire respecter ce décret faisait intégralement partie de leur mission. L'un d'eux aurait même précisé que plus de cinq-mille amendes avaient été distribuées en région parisienne.
Je me rendis sur la terrasse en emmenant ma tasse de café afin de papoter avec l'un des consommateurs que je connaissais bien. J'observai le pauvre Philippe tout déconfit derrière son bar. Il ne lui restait qu'un consommateur. J'ai bien cru qu'il allait pleurer.
Après m'être adonné à mon plaisir coupable, je rentrai de nouveau dans l'établissement pour discuter avec le patron. Lui aussi m'annonça que son chiffre d'affaires était en baisse d'une manière dramatique. Les deux tiers des personnes ne venaient plus prendre de café le matin. Quant à ceux qui venaient encore, ils n'en prenaient qu'un, là où ils en auraient pris deux ou trois habituellement. Au moment de l'apéritif le soir, il m'expliqua aussi que certaines personnes que je connais bien, venaient et se contentaient d'un verre, alors qu'habituellement ils auraient "mis" une ou deux tournées. Il me cita par exemple le cas d'un de mes colistiers, directeur général de profession et grand amateur de Gewurztraminer, qui était passé la veille et n'avait pris qu'un verre en vitesse lui expliquant qu'il resterait plus longtemps au printemps quand la minuscule terrasse serait plus acceuillante.
Je demandai alors à Philippe ce qu'il en était de cette fabuleuse clientèle de non fumeurs tant vantée, qui allait à ce qu'en disaient les journaux et les associations anti-fumeurs, investir en masse les bars enfin devenus sains ? Il m'expliqua qu'à midi, profitant sans doute des vacances, il avait eu deux mères de famille qui étaient venues déjeuner accompagnées de leurs enfants. L'une d'elle lui avait même demandé si il pouvait lui faire chauffer un biberon pour son nourrisson. Mais elles avaient peu mangé et s'était contenté d'une bouteille d'eau minérale.
Le troisième consommateur, un homme âgé que je connais un peu, s'immisça alors dans le débat et m'expliqua que lui, avait arrêté de fumer voici près de vingt ans mais qu'il ne comprenait pas ce décret. Il m'expliqua que les copains qu'il avait l'habitude de fréquenter ce bar étaient pour les deux tiers environ des fumeurs. Et puisque tous ou presque avaient déserté le comptoir, il restait peu de temps, préférant retourner chez lui regarder la télévision, plutôt que d'être seul face à son verre de rouge parce que cela le déprimait. Se mettant en colère, il m'expliqua qu'il avait fait l'Indo, l'Algérie et servi son pays loyalement mais qu'il fallait que "ce putain de gouvernement lui gâche ses dernières années avec des lois à la con". J'opinai du chef, comprenant la détresse de pauvre homme qui préférait sans doute son bon vieux troquet, avant qu'il ne devienne un lieu de convivialité.
Comme les biturins et les amateurs de troquets sont aussi de savants philosophes, nous fumes bientôt d'accord pour considérer qu'il y avait deux groupes d'individus sur terre :
- Les amateurs de rades, qu'ils soient fumeurs ou non car là n'est pas le débat. Aimant la convivialité, la chaleur des rapports humains, les discussions de comptoirs, les rencontres fortuites, jouissant pleinement de maigres plaisirs à défaut d'avoir les moyens d'en consommer de plus grands. Et parmi ceux-là, une bonne partie souffrant de troubles plus ou mineurs de l'humeur, pour qui la fréquentation de types comme eux, sera toujours le seul remède au mal de vivre.
- Les non-fumeurs, non-buveurs, non-jouisseurs, perpétuellement dans le contrôle, qui savent d'office ce qui est bien pour eux et imaginent que ce serait aussi bien pour les autres. La modération est leur maître-mot et ils la pratiquent à outrance. Jamais en retard, toujours à l'heure, consommer quoi que ce soit dans un rade, serait vécu comme une perte de temps inacceptable voire comme un vice de pauvre type. Ces pisse-vinaigres ne venaient jamais dans les troquets et ils n'iront pas plus maintenant qu'ils sont devenus non-fumeurs.
Chassés de nos chers bistros enfumés, il nous reste à boire seuls chez nous. Enfin, avec ce que j'économise en cafés pris dans les bistros, je me dis que je me finance mes clopes.
Fumer c'est très mal, tout le monde le sait, mais je ne crois pas qu'une seule personne, que l'on puisse aujourd'hui appeler gros fumeur, arrêtera du fait de ce décret imbécile. Au contraire, le fumeur, comme tout bon toxico, est un rebelle dans l'âme. Les imbéciles pondent des lois mais la psychopathologie observent d'autres choses.
Ce que j'observe aujourd'hui, c'est un énorme ressentiment vis à vis de l'état et des non-fumeurs intransigeants. Personne n'arrête la cigarette, on se contente généralement d'arrêter les troquets. Je me suis livré à un petit sondage parmi mes amis ou mes patients fumeurs. Tous sans exception ont eu la même réaction. Certains même qui auraient voulu arrêter ne veulent pas et m'expliquent qu'ils ne le feront que dans quelques mois pour "ne pas leur donner l'impression d'avoir gagné". Tout ceci peut sembler stupide et immature mais les gens sont ainsi faits et je ne déroge pas à cette règle.
La règle semble être "plutôt crever que de leur donner raison". C'est stupide mais c'est toujours ainsi que les guerres commencent et qu'elles durent. Je crois même que si je devais crever d'un cancer du poumon dans les mois qui viennent, je serais sans doute taraudé par une atroce culpabilité qui me ferait me dire que j'ai été le dernier des cons de persister à fumer parce que je savais que c'était dangereux. Mais en surface, face au mec en blouse blanche, je continuerais à affirmer que ça a été mon choix, ma vie, mon plaisir, fut-il nuisible. Et que tandis que ce crétin aura passé sa vie à soigner des corps, sans vraiment réussir parce qu'on continue à mourir, moi j'aurai passé la mienne à m'occuper des âmes et que dans mon métier, moins crétin que le sien, tout n'était que choix philosophique, que doutes, que tâtonnements, et que c'était autrement plus compliqué. Et que c'est justement pour cela que ma profession n'a jamais voulu devenir en profession paramédicale, parce que pour nous autres "psys" vivre signifie autre chose qu'être simplement en bonne santé. Parce qu'un vrai rebelle ne se rend jamais !
Vous ne voulez plus de nous dans les rades ? Nous n'irons plus dans vos lieux de convivialité. Peut-être que les cafetiers, qui n'étaient pas contre ce décret parce que cela les dispensait de vider nos cendriers et de refaire trop souvent les peintures, se souviendront que nous constituions l'essentiel de leur chiffre d'affaires !
Quand ils crèveront la bouche ouverte, gageons que le gouvernement fera machine arrière car quoiqu'on en dise, le fric reste roi. En attendant, il reste les municipales et les cantonales de 2008. Je ne pense pas que que les fumeurs se jetteront sur les listes UMP, du moins je l'espère.
Face aux réalités économiques et politiques, que restera-t-il du nouveau droit sacré des non-fumeurs ? Peut-être l'état maintiendra-t-il son diktat. Grand bien lui fasse. Privés de leurs rades favoris, bon nombre de paumés pourront utilement demander à leur médecin de leur prescrire des antidépresseurs et des anxiolitiques. Ca marche bien aussi.
5 Comments:
Je connais un (ex) patron de bar, de mon (ex) bar favori, un patron de bar d'avant-guerre. Le genre de trocson où le comptoir est invisible mais magnétique, où le patron participe à toutes les conversations, où la parole est libre, où le dernier des poivrots peut être le roi de la soirée s'il s'y prend bien, où l'on ne compte plus les tournées, où le patron n'a pas de tiroir caisse, où il te dit qu'il est trop bourré pour se rappeler ce que tu lui dois et que 20€ ca fera l'affaire même si ca fait 8h que t'es là et que t'as bu la moitié du fonds, où l'on est pas un numéro, pas un type branchouille à pantalon ample ou une fille à robe indienne qui doit payer son café 4.50€ et se barrer fissa.
Eh bien ce brave type, il a fourgué le percolateur (et le J&B, et le cognac, et la tireuse et tout et tout...) il y a un an et demi à cause de cette loi. A l'époque, il m'avait dit quelque chose de ce genre: "les quatre cinquièmes de mes clients comprendraient pas... on a toujours tout fait ici, fermer à des heures très tardives, du bruit, accueilli tous ceux dont ne voulaient plus les autres rades... ils comprendraient pas que je les foute dehors pour une clope...".
J'étais décu et étonné à ce moment là. Maintenant je comprends. Il avait raison et en même temps il a un peu été précurseur de la politique de la terre brulée qui se met en place. C'est triste. Mais bon on peut espérer qu'après toutes ces restrictions idiotes, une sorte de mai 68 bis éclose et envoie ch**r tous ces gardiens du temple sanitaire. Et là on va vraiment se marrer. J'espère juste qu'on sera pas mort avant.
Rien que pour rire, lisez cela :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-996172,0.html
Merci! Que dire...
J'aime beaucoup leur façon d'informer. Leur style c'est un peu: "Vous devez connaître les risques mais si vous voulez les prendre quand même alors une dose de bourrage de crâne supplémentaire sera nécessaire."
Perso, je suis un adepte des rades et nous n'avons pas encore de stupides lois analogues en vigueur (mais, hygiènisme délirant oblige, ça ne tardera pas).
Ou, je ne suis pas aussi optimiste que vous, c'est dans le fait que les socialistes (ou la gauche en général) se montre en règle générale bien plus hygièniste et dictatoriale que la droite, puisque son mépris du respect de la propriété privée est son fond de commerce, voir sa raison d'être.
Excellent post qui résume bien la situation lamentable du moment. Merci Psychothérapeute !
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