08 mars, 2008

C'est le grand jour !


Vendredi j'avais une journée chargée. Beaucoup de rendez-vous et une visite à faire à l'hôpital pour visiter une patiente admise dans un centre d'oncologie. Elle tient le coup mais la visite est déprimante. Je comprends que le personnel de cette unité de soins soit déshumanisé. Si vous montrez le moindre bout d'humanité, vous êtes terrassé par le malheur d'autrui.

Partout ce ne sont que gens maigres poussant devant eux leur perfusion montée sur roulettes. Les familles qui viennent et repartent les yeux rougis, la noria des ambulances amenant leur chargement de candidats à la chimiothérapie ou radiothérapie sont la seule animation du lieu.

Pourtant tout a été fait pour rendre le lieux humain. Les couleurs de l'endroit sont claires et gaies. La cafette est agréable et le personnel aimable. La boutique propose tout un tas de choses amusantes. L'effort est louable mais bien vain. On sent qu'on est dans le temple du crabe et que malgré les belles promesses ou annonces des chercheurs, la maladie est terrible.

Pour survivre dans un tel lieu, quand on y travaille, il n'y a plus que deux stratégies de défense. Soit on se déshumanise et on bosse comme si l'on était véto, soit on la foi chevillée au corps. Cette foi est religieuse et c'est la plus belle défense. Mais ça peut-être aussi la foi du scientifique qui sait qu'au bout d'on ne sait combien de ratages et de morts, il va réussir et que le cancer sera vaincu.

Je sais que certains de mes confrères bossent dans ce genre de structures et je me suis toujours demandé ce qu'ils pouvaient faire. Bon, il y a l'aide purement technique sans doute pour contrer la dépression et l'anxiété, faire le lien entre le patient et les soignants. C'est sûr que c'est déjà cela. Moi, je ne sais pas si je pourrais le faire. Peut-être que oui. Mais bon, j'aime bien réussir alors expliquer à quelqu'un qu'il ne doit pas angoisser en attendant la mort, ce n'est pas mon truc.

Ma position est immature et pleine d'orgueil. C'est idiot et je le sais. Apporter du réconfort, même si ce n'est que cela est déjà bien. Je pense simplement que je ne pourrais pas me faire payer pour cela. C'est tout. J'aurais l'impression d'être le garagiste qui rend sa voiture non réparée au client et qui lui demande toutefois d'acquitter une facture. C'est idiot mais c'est ainsi. Et puis, j'aurais aussi l'impression de faire un boulot de prêtre et ce n'est pas mon métier.

Je me faisais ces réflexions en arrivant à l'hôpital. C'est stupide et je sais que je pourrais pousser plus loin mon analyse du truc. Mais bon, dans ces cas là, on fait ce que l'on peut. J'étais un peu tendu. J'étais en avance sur l'horaire alors j'ai décidé de prendre un café à la cafétéria. Je me suis assis. Il y avait beaucoup de monde aussi me suis-je mis à côté d'un type seul. J'ai sorti un livre.

Le type à mes côtés m'a regardé. J'ai immédiatement su qu'il avait envie de parler. Ca n'allait pas fort. Je ne sais pas s'il a lu en moi que j'étais l'homme de la situation, ou si c'est parce que j'avais une bonne tête ou simplement, si c'est parce qu'il n'y avait que moi mais il m'a parlé. Il m'a expliqué son cas. Il venait de l'Oise, pas la porte à côté donc, rechercher sa gamine à qui on venait d'installer un dispositif destiné à recevoir la chimio quotidienne.

Il avait les yeux rouges à force d'avoir pleuré mais se contrôlait. Je l'ai écouté patiemment durant quinze, vingt minutes. Je ne savais vraiment pas quoi répondre. En vrai catho, j'aurais pu lui répondre qu'il fallait se réjouir que Dieu rappelle sa fille à lui, que c'était un grand honneur ! Evidemment, je n'ai rien dit de tel, je ne suis pas con à ce point et puis je ne le crois pas . Ce n'est pas un honneur, ce n'est qu'un grand malheur associé à notre finitude humaine. Je pense qu'un discours stoïcien n'aurait pas été bienvenu non plus à ce stade. Et pourtant, il faudrait toujours avoir lu Les consolations de Sénèque, c'est une merveille quand on est dans l'affliction. Je me suis tu, j'ai juste fait preuve d'empathie et de sincérité.

Et puis les vingt minutes étant passées, je suis allé voir ma patiente qui elle, se portait bien. J'en étais ravi. On a papoté, elle m'a parlé un peu et c'était plutôt sympa. Une demie-heure après, je suis redescendu et suis repassé par le hall d'entrée. Et là, j'ai recroisé le type à qui j'avais parlé. Il était avec sa fille. Le visage blanc et ravagé, plus de cheveux, une démarche de petite vieille, le tableau n'avait rien de réjouissant. Pourtant son regard n'avait pas changé et malgré les souffrances, c'était bien celui d'une jeune ; elle souriait même. Il lui a du lui demander de l'attendre deux minutes et il est venu vers moi pour me serrer la main et me remercier d'avoir bien voulu papoter avec lui.

Je lui ai dit que ce n'était rien. Et je ne sais pas pourquoi, sans doute parce que j'avais envie de dire quelque chose. Je lui ai dit qu'il fallait garder espoir et que je pensais qu'elle s'en sortirait. Il a été content. Alors il m'a dit qu'il ne demandait qu'à me croire en m'expliquant qu'il avait aussi peur que je me trompe. Je lui ai rétorqué que je n'étais pas devin et que si je me trompais alors il pourrait commencer à être triste mais qu'en attendant cela ne servait à rien. Il m'a resserré la pogne et on s'est quittés. Moi, je me sentais un peu "juste". Mais bon, je n'allais pas jouer Sénèque à ce moment là. Dans une séance, j'aurais pu aller plus loin mais là, dans un hall, entre deux portes, je n'avais pas le temps de pontifier en montant en chaire.

***
Ce soir, samedi, je suis passé au "local" rendre visite à mes colistiers. Comme demain, ce sont les élections, je voulais savoir à quel bureau de vote je devais me rendre en tant que titulaire. Je démarre à neuf heures et je suis en équipe avec un type que j'apprécie beaucoup. On permutera toutes les heures et demie. Les quelques colistiers présents semblaient tendus et un peu anxieux. Ils parlaient de ce qu'ils feraient en cas de victoire. Une élection, fut-elle aussi petite, est un gros travail et je comprends qu'ils aient eu envie de gagner. Moi je n'ai jamais eu le sens de la compétition très poussé.

J'ai demandé ce qu'ils comptaient faire en cas de défaite parce que cela m'intéressait. L'un d'eux m'a regardé bizzarement et m'a demandé si moi je ne pensais pas qu'on allait gagner. Très sincèrement, je lui ai dit que ce serait bien que l'on gagne, mais qu'à partir de quarante pour cent, je serais heureux aussi. Le message n'est pas bien passé. Pourtant, je leur ai expliqué qu'ayant vécu quarante ans sans être conseiller municipal, je pourrais vivre le reste de mon existence sans l'être. C'est drôle j'ai soudainement eu l'impression d'être dans une salle de sport où j'aurais été le seul à m'entrainer pour mon plaisir tandis que les autres songeaient aux JO.

J'ai eu le droit à un bla-bla assez inconsistant de la part de l'un d'eux sur la nécessité de gagner mais je ne l'ai écouté d'une oreille. Je lui ai juste dit que j'étais heureux pour lui, heureux qu'il n'ait d'autre souci dans son existence que de remporter des élections dans un patelin. Et là, je suis sincère. Tant que les gens auront ce genre de problèmes, ce sera bien. Je crois que mon contradicteur m'a regardé d'un drôle d'air. Comme je suis quelqu'un de réservé, je n'ai rien rajouté. Avec un colistier que j'apprécie, nous sommes partis boire un coup au rade à côté.

Moi, je pensais à ce pauvre type aux yeux rougis avec qui j'avais discuté la veille à l'hôpital. Je me disais qu'il aurait été heureux de n'avoir que des soucis électoraux. Comme j'aime bien théoriser, j'en ai déduit que demain dimanche 9 mars 2008, jour des élections municipales, il y aurait au moins trois catégories de personnes :
  • Ceux qui sont soucieux parce que leur enfant risque de mourir jeune, auxquels va toute ma sympathie (au sens étymologique).

  • Ceux qui sont soucieux parce qu'ils risquent de perdre les élections et qui me feraient plutôt sourire.

  • Ceux qui comme moi, Dieu merci, ne vivent pas l'enfer que vivent les premiers, et restent suffisamment loin de toute l'agitation du monde, pour se risquer à devenir aussi ridicules que les seconds.
J'en profite donc pour remercier Dieu ou la Providence ou encore le Fatum (destin) de m'avoir épargné mais aussi, Epictète Marc-Aurèle et Sénèque pour leurs écrits, qui me permettent de me tenir suffisamment loin du monde pour ne plus être agressé par ses petitesses. Il y a l'essentiel et l'accessoire et la sagesse nous commande d'en faire la différence.

Pour le reste, perdant ou gagnant, demain je boirai un coup de Champagne. Etant entendu que je boirai avec modération ! D'ailleurs, bien qu'il ne soit pas très alcool, j'ai convié Le Gringeot à venir fêter cela avec moi. Comme il n'habite pas ma commune, on sera au moins deux moyennement concernés. Quittant les terres arides du stoïcisme, demain en compagnie du Gringeot, j'aborderai celles plus riantes de l'épicurisme.

7 Comments:

Blogger Laure Allibert said...

Vous faites cet article au moment où j'en prépare un sur l'euthanasie... Les grands esprits se rencontrent !

9/3/08 9:20 AM  
Blogger philippe psy said...

Eh oui! En tout cas merci d'être passé me lire !

9/3/08 1:16 PM  
Blogger Sylvain JUTTEAU said...

Monsieur Phiphi,

Nouvel article sur mon blog "Philosophia perennis."

Je continue à accumuler le matériau en vue d'une publication.

9/3/08 4:34 PM  
Blogger monoi said...

Alors ? Elu ou pazelu ?

10/3/08 9:11 AM  
Blogger dsl said...

Ah, vous présentez dans ce billet une vision un peu mécaniste de l'esprit humain. C'est intéressant parce que c'est un peu le genre de limitation que j'objecte à des thérapies comme la TCC.
Cela dit, je ne pense pas que cela corresponde à votre vision de la vie, ni avec votre pratique réelle.
Au delà, la question de la déshumanisation de l'hôpital est posée, je n'ai pas la réponse.

Tiens vous avez supprimé les commentaires anonymes...

10/3/08 10:28 AM  
Blogger monoi said...

Moi ce que je veux savoir c'est si vous etes devenu calife a la place de l'autre calife !!

10/3/08 5:27 PM  
Blogger monoi said...

Ignorez le commentaire precedent...question de timing...

10/3/08 5:28 PM  

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