08 mars, 2008

Match de boxe à Verdun , Nevada


Je déteste les cartes. Qu'il s'agisse de la belote, du tarot, du rami ou encore du poker, cela m'ennuie. Moi dans une soirée, j'aime bien discuter avec les gens et pas me concentrer sur des morceaux de cartons colorés. J'aime bien par contre observer le comportement des gens. Pas tout le temps heureusement. Par contre, quand ils sont confrontés à des situations complexes, je trouve amusant de voir quelle stratégie ils appliquent. On apprend bien plus sur les gens en les regardant résoudre un problème, fut-il simple, qu'en recueillant leurs confidences.

Comme à chacun de nos soirées dites du "1er vendredi du mois", une table de poker se forme vers 1h00 du matin. Sean, le slave fou, est maintenant le champion incontesté. Roué comme un maquignon, puissant, intelligent, il a explosé tous ses challengers. Les parties devenaient monotones. Même GCM pourtant excellent joueur, se demandait comment Sean pouvait gagner.

Je me souviens d'un soir où j'avais raccompagné GCM à sa Lotus totalement décontenancé. Il ne revenait pas que Sean ait encore pu gagner. Il ne cessait de me dire "que c'était impossible, qu'il n'aurait pas du gagner". Et c'est vrai que si GCM est un bon joueur, ces derniers temps il n'a pas fait un pli face à Sean. Terrassé, sorti à chaque partie, à croire que Sean a signé un pacte avec le diable pour s'assurer la victoire aux cartes.

Peut-être qu'il a sacrifié une poule noire un soir de pleine lune. Certains imaginent même qu'il aurait pu façonner des dagydes à l'image de ses adversaires et les piquer d'aiguilles, mais je n'y crois pas ; Sean n'est pas suffisamment adroit de ses mains pour façonner des poupées de cire avec ses gros doigts. Et pourtant Sean gagne toujours. Même Le Roux, un type alliant la prise de risque à la puissance de calcul, a fini par plier. J'attendais pourtant beaucoup de lui mais il régule. Il joue bien mais pas aussi bien que Sean.

Rien n'y fait, le Slave Fou les a tous humiliés. Orgueilleux comme mille paons, Sean ne cesse depuis de se vanter. Il me dit par exemple que ce serait bien que je lui amène de vrais joueurs et non des amateurs. Moi il me fait rire même s'il m'agace un peu. Alors puisqu'il me provoquait j'ai tenu parole. J'ai tenu parole, j'ai amené Le Gringeot (El Gringo), un type doté d'un physique à la Taras Boulba allié à une zénitude remarquable. De plus, pour qui se souvient de la nouvelle de Gogol, Taras Boulba est l'ennemi des polonais !

Le Gringeot, c'est un peu le même physique que Sean. Moyennement grand, bien bâti, on sent que ce n'est pas une couille molle. Il est plus athlétique que Sean. Sean, lui, c'est le type qui habitué à vaincre s'est un peu laissé aller. Face au ventre plat du Gringeot, Sean oppose une petite bedaine de bourgeois repu, sur de lui, installé dans le confort. C'est le vieil élu notable en poste depuis trente ans dont le profil de jeune loup famélique s'est empâté.

D'un point de vue sportif, ils boxent dans la même catégorie, ils sont aussi puissants l'un que l'autre. Mais là ou Sean sera super offensif, Le Gringeot est bon en défense. Il sait parfaitement tenir une garde. Le poing de Sean est solide et dévastateur, mais Le Gringeot oppose un mur de béton. Et allez défoncer un mur de béton à coups de poings !

La partie durera des heures. De temps à autre, je viens voir et je m'intéresse. Non au poker, puisque cela m'ennuie, mais aux comportements des joueurs. Tous les participants ont été explosés. De bons joueurs, mais pas suffisamment solides pour Sean. Ne reste que lui face au Gringeot.

C'est amusant, cela me rappelle Verdun. Non que j'aie fait Verdun, mais simplement que j'aie lu sur ce sujet. Sean, c'est Lundendorff. C'est la puissance industrielle, de gros moyens. C'est offensif, sa stratégie, c'est gagner. C'est le trommelfeuer qui s'abat. L'artillerie lourde qui matraque précisémment. Des canons de 210 qui pilonnent secteur par secteur.

En face de lui, il y a Le Gringeot. Du canon de 75 quand il en reste et de l'infanterie. Mais sans doute aussi un truc en plus : la certitude que le combat mené est juste. C'est la foi du charbonnier. Tout en défense, parce que la prise de risques insensés n'est pas son truc. On se terre dans un trou d'obus et on attend. Et quand le feu de l'artillerie lourde se tait et que les troupes adverses attaquent avec les strosstruppen à leur tête, on est toujours là.

Le Gringeot gagne cent-cinquante mètres et en reperd cent et il en reperd encore vingt-cinq. Mais au total, même si cela n'a rien d'héroïque, calculez et vous verrez qu'il en a gagné vingt-cinq. Et ça dure des heures. Sa pile de jetons fond comme les divisions dans l'enfer de Verdun, mais il en a toujours. Et puis parfois des coups d'éclats et hop les piles remontent. En face de lui, Sean pilonne toujours.

Et puis Sean se moque, Sean provoque inconsidérément. C'est toute l'arrogance de la grande surface face au petit commerçant. Mais vous l'aurez noté, les petits commerçants existent encore et Le Gringeot est pareil. Il reste seul en lice mais il tient bon. Comme à Verdun, "ils ne devaient pas passer et ils ne passeront pas". Sean a beau s'agacer, s'énerver et éructer mais rien n'y fait.

La garde du Gringeot tient bon. Il a beau être acculé dans les cordes, il ne se démonte pas. Sean tape comme un bourrin et l'autre encaisse sans broncher. Alors, arrive ce qui devait arriver, Sean habitué aux victoires faciles s'énerve. Depuis le temps qu'il tient la dragée haute à tout le monde, il a sombré dans l'orgueil.

Or chacun sait l'orgueil tout comme la colère, sont les pires des conseillers. Il ne se méfie pas suffisamment mais il aurait du. Excédé par l'opiniâtre résistance du Gringeot, Sean fait n'importe quoi. L'orgueilleux devient presque mauvais joueur. Il sent qu'on va lui voler sa couronne, lui ôter sa belle ceinture WBA. Et c'est la déroute.

Passe encore qu'il ait été compté aux points mais même pas. C'est KO que Sean se retrouve et il s'abat finalement de toute sa masse sur le ring, vaincu, sans un jeton devant lui. Pressé d'en finir face à ce joueur moyen qui lui conteste sa suprématie, il fait un tapis et se ramasse lamentablement. C'est cuit, il est ratissé. Il se lève morose et part se vautrer dans le canapé.

C'est un vieux roi déchu qui s'endort au petit matin dans le canapé d'un sommeil lourd que ne vient troubler qu'un peu d'apnée du sommeil. La messe est dite. Tout est consommé. L'artillerie lourde n'a pas eu raison du valeureux poilu.

« Ils ne passeront pas ! » Cet appel historique
Fut l'immortel flambeau d'un bataille épique.
Verdun, nom glorieux, résonne dans nos cœurs.
De cet horrible enfer nous sortîmes vainqueurs.[...]
Ainsi, couverts de boue et remplis de vermine,
Stoïques, les poilus luttèrent sur ces ruines
Et tinrent jusqu'au bout au mépris du trépas.
Verdun ! Verdun ! Verdun ! « Ils ne passèrent pas ! »

3 Comments:

Blogger El Gringo said...

Difficile pour moi de faire un commentaire sur cet article mais je crois qu'effectivement nous étions deux contre Sean, son arrogance et moi…

9/3/08 10:42 AM  
Blogger philippe psy said...

Oui, ça rappelle un match de boxe à Kinshasa en 74 ... Y'avait un gros arrogant dans le coup aussi !

9/3/08 1:16 PM  
Blogger Sylvain JUTTEAU said...

Grinjo a niké le slave ???

9/3/08 4:31 PM  

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