12 mars, 2008

Gagner à tout prix ?


Mon maire que je connais bien, celui qui vient d'être réélu, m'avait mis en garde voici déjà longtemps contre la personne qui était à la tête de la liste. Au cours d'un déjeuner, voici quelques années, il m'avait expliqué que c'était un "rouge", un type mauvais, un individu vicieux passant l'essentiel de son temps à vouloir lui nuire.

Comme je suis un peu rebelle, j'ai voulu en avoir des preuves. Cela tombe bien puisque déçu par mon maire, je suis allé voir de l'autre côté comment cela se passait. J'ai donc rencontré le "rouge" dont on m'avait dit tant de mal.

J'ai parlé avec lui, mon radar n'a cessé de tourner, cherchant à enregistrer toute contradiction si minime soit-elle, entre son discours et ses actes ou même ses gestes. Je n'ai rien détecté. Bien au contraire, j'ai trouvé un "honnête homme", un type droit et loyal. J'ai même été conquis par son calme et sa manière d'être toujours égale, quelque soit son interlocuteur. Alors, je l'ai suivi.

Pour un combat politique, je le trouvais trop gentil. Avec deux de mes colistiers, on lui avait pourtant dit : "Ne change rien, tu es gentil, tu es droit et loyal et cela plaira. Mais en face, ils ne seront pas gentils, laisse-nous être tes porte-flingues et on se chargera du sale boulot".

Si vous montez sur un ring sans être déterminé à massacrer votre adversaire, vous ne gagnerez jamais. Pour autant cette rage ne doit pas vous aveugler. En boxe, comme en politique, ce sera finalement votre technique qui vous fera gagner. Encore faut-il qu'elle soit au service de votre rage. En bref canalisez votre rage, instrumentalisez-la et vous aurez des chances de réussir.

Notre tête de liste n'a pas cette rage. Il est honnête et droit. Il va sans dire que connaissant parfaitement notre adversaire, je n'aurais pas hésité à ressortir tous les dossiers crapoteux pour le tenir en échec. Notre "chef", lui, n'a jamais voulu. Il trouvait cela déloyal.

Comme tous les authentiques facilitants, tournés vers les autres et à leur écoute, il voulait gagner en leur prouvant qu'il était celui qui saurait les aider. Ce type est une infirmière ayant choisi un rôle de chef de guerre.

De l'autre côté, ils n'ont reculé devant rien. Un de mes colistiers et moi, on rêvait d'en découdre. Le maire, je l'aurais démonté en deux minutes. Je l'avais tellement bien profilé, que je connaissais tous les défauts de sa cuirasse. Par exemple, quelques jours avant les élections, en me serrant la main il m'avait dit d'un ton arrogant qu'il ne me félicitait pas pour mon choix tout en rajoutant une parole vacharde sur mes accointances socialistes.

Moi, je m'étais redressé de toute ma taille en écartant bien mes épaules, et face à l'avorton qu'il est, je lui avait juste dit : "c'est drôle comme les petits peuvent être méchants. Mettez des talonettes et vous verrez la vie en rose." Comme c'est un vieux renard de la politique, il avait semblé tenir le coup mais j'avais vu dans son regard, l'espace d'une fraction de seconde, la haine. Persuadé que si durant la campagne, je m'étais amusé à frapper sur les défauts de sa cuirrasse, je l'aurais poussé à la faute en le faisant décompenser.

Un autre jour, parlant d'un bâtiment public qu'il venait de faire ériger, je lui avais juste dit qu'il était laid et manquait d'inspiration. J'avais précisé que cela ne me dérangeait pas qu'il agisse en autocrate parce que je savais qu'il existait des despotes éclairés. J'avais rajouté que malheureusement, tel n'était pas son cas, que lui avait les ambitions du Duce avec l'inspiration et le goût d'un client But. Vous savez But, "choisissez bien, choisissez But" ! Le seul magasin où jusqu'à une date récente vous pouviez acquérir des canapés en cuir avec accoudoirs sculptés en forme de tête de chevaux ! Quoique, leur pub récente le prouve, même But a changé comme le dit leur pub, ce qui n'est pas le cas de mon maire.

Bref, je m'amusais beaucoup à le tâcler. Je ne crois pas avoir commencé cette gueguerre stupide. Je suis plutôt un gros ruminant placide, ou peut-être un ours. Il faut que je sois acculé pour que je m'emporte et me batte. Mais le combat ne me déplait pas. Et puis ensuite, même si c'est un peu bête mais parfois pour le plaisir d'un bon mot, je perds tout contrôle. Un jour je finirai déporté dans un camp de rééducation par la pensée, obligé de saluer chaque jour le logo de l'UMP. Ce jour-là, je dirai que j'ai eu tort. Et pourtant, je suis quelqu'un de réservé, dénué d'esprit de compétition. Mais tel un enfant n'ayant pas grandi, je n'aime pas l'injustice. Je dois être l'un des rares mecs de droite (ou apparenté) prenant fait et cause pour les humbles. J'ai raté ma vocation, j'aurais du être prêtre !

Enfin, bref le "chef" nous a remercié mais n'a pas voulu qu'on lui serve de porte-flingues. Pourtant chacun à notre manière, nous lui aurions fait du bon boulot. Moi, j'aurais fait de l'entrisme. Je serais allé parler aux gens de sa liste pour les démotiver. Ça aurait bien marché, j'en suis sûr. Il aurait juste fallu que je leur prouve que leur "chef" à eux était un crétin. Cela n'aurait pas été difficile. Et croyez-moi, personne n'aime suivre un crétin. Le jour des élections, je discutais avec l'autre assesseur du bureau de vote et en une heure, il s'était rangé à mon avis.

Aujourd'hui, nous avons perdu même si nous lui avons pris des voix. Notre résultat est honorable mais bon, ce serait de la boxe, nous aurions perdu. Certes perdus aux points et non par KO, mais nous avons perdu. C'est tout.

Tout ceci me rappelle ce qu'écrit Sylvain dans un commentaire sur mon précédent article. Il semble presque se désoler d'avoir "la vision sans l'ambition". Connaissant bien Sylvain, je pourrais lui répondre qu'il ressemble en tout point à notre "tête de liste". Ceci étant dit, je suis d'accord avec son excellent dernier texte. Moi, plus prosaïquement, je reste persuadé que "tout finit par se payer un jour". En petit comptable de la vie, je suis persuadé que tôt ou tard elle vous présente la facture.

Effectivement, ce ne sont jamais les meilleurs qui réussissent mais ceux qui osent. C'est triste mais c'est ainsi. Les justes, les droits, les loyaux ne peuvent pas réussir, du moins en politique. A moins de se cantonner dans des postes peu glorieux. Et même ainsi, à travailler contre ses valeurs, on souffre tant qu'on finit malade. On reste donc obligé de faire un arbitrage entre ses valeurs et ce qu'on serait amené à faire pour réussir. Ceux qui n'ont aucune valeurs, seront prêts à tout, tandis que les autres ne réussiront pas ou moins. La morale ou l'éthique, appelez cela comme vous voudrez, est parfois un frein. Et c'est un frein utile je trouve.

Je reste persuadé que les élections, pièges à cons, sont un dispositif qui sélectionne les individus nantis de traits paranoïaques et sociopathiques. Notre "chef" n'avait aucun trait pathologique, il ne pouvait pas réussir. Ou alors s'il réussit, ce sera à un âge avancé, parce qu'il aura l'apparence de sa sagesse. Aux électeurs, il ne faut pas dire la vérité mais ce qu'ils ont envie d'entendre. Tout le monde devrait lire le Manuel de campagne électorale de Quintus Cicéron, le frère du célèbre philosophe.

Je n'ai eu de cesse de lui répéter. Je lui disais qu'il était comme un chasseur maladroit, faisant du bruit et ne prenant pas garde de se mettre sous le vent. Lui, et c'est sans doute l'essence de ses idées sociales, faisait confiance au jugement des gens. Il était persuadé qu'ils préfèreraient un homme droit plutôt qu'un bonimenteur. Pour ma part, j'étais persuadé du contraire. L'électeur est un imbécile mû par des mouvements réflexes. C'est ce que m'auront appris ces élections, à me débarrasser de mes réflexes de pensée pour aller voir ailleurs.

Moi, je n'ai jamais cru aux masses. J'ai choisi mon métier parce que j'aime bien les gens. Mais je les aime un par un dans le calme de mon cabinet, quand ils se livrent sans fard. Laissez-les en groupes, et la biologie l'emporte : ils deviennent stupides. Je déteste les masses. Vous ne me verrez jamais à une fête de la musique ; même le cinéma m'ennuie.

Finalement, nous avons perdu parce que notre "chef" était trop gentil et loyal. Je ne le regrette pas. Je suis lucide, je sais comment cela marche. Mais finalement, si c'était à refaire, je le referais. Je suis trop lucide pour être socialiste, et finalement trop gentil pour être UMP. C'est sans doute pour cela que j'aime le libéralisme. C'est soft, ça n'embrigade pas, cela ne juge pas. Comme l'explique bien Laure dans un remarquable dernier article : "toute action qui n'agresse pas autrui est légitime, et toute personne qui s'y oppose par la force est esclavagiste".

Je ne suis pas prêt à tout pour réussir. Je suis prêt à tout pour conserver ma liberté. Alors, certes on a perdu, mais l'honneur est sauf. Ce fut peut-être notre Azincourt. On ne gagne contre ces gens là qu'en employant leurs moyens.

8 Comments:

Blogger Sylvain JUTTEAU said...

Un bonimenteur est plus détectable dans une élection locale, car il est plus visible de l'électeur. Lui ou son réseau de connaissances directes sont accessibles.

En revanche, dans une élection nationale, le risque d'élire un bonimenteur est beaucoup plus élevé si l'on est au suffrage universel. Le bonimenteur national a la capacité de multiplier les écrans de fumée.

C'est pourquoi à mes yeux la démocratie doit être aménagée par degrés.

Les maires, élus pour 5 ans, sont les "grands électeurs", qui élisent les parlementaires à la proportionnelle intégrale pour 5 ans, avec un droit de vote à proportion du nombre d'incrits sur les listes électorales. La proportionnelle évite les accords locaux : "tu votes pour moi, et je te fais avoir telle subvention".

Les parlementaires élisent un Président pour une durée de dix ans sans faculté de le destituer. Le Président incarne la permanence, est responsable des traités internationaux et de la défense.

Les parlementaires élisent à la majorité relative un chef de gouvernement pour une durée de cinq ans, sans faculté de le destituer. Le chef de gouvernement constitue à son choix son gouvernement, qui ne comprend pas les domaines réservés du président.

En outre, pour contrecarrer l'inflation législative, je propose que les lois soient adoptées à la majorité des deux tiers, et abrogées à la majorité relative.

D'autre part, pour contrecarrer l'inertie dans l'application des lois et leur déformation par le corps administratifs, je propose que les lois ne sont adoptables que si le parlement a eu connaissance préalable du texte définitif des décrets d'application.

12/3/08 4:53 PM  
Blogger philippe psy said...

vus parlez d'or, vous devriez ecrire un article sur votre blog à ce sujet

12/3/08 5:32 PM  
Blogger El Gringo said...

Un très beau texte, vraiment.
Finalement, il semblerait que ces élections t'aient remué, peut être plus que tu ne l'envisageais.

13/3/08 12:02 AM  
Blogger monoi said...

Je partage le sentiment du gringo.

Mon frere, qui est base a Papeete, vient de faire une experience similaire a la votre. Il s'est implique dans les elections territoriales recentes, et bien que sa liste ait gagne, ils se sont fait avoir comme des bleus par ce vieux brigand de Flosse, qui se retrouve president.

Parce qu'ils sont comme votre tete de liste, des gens qui sont foncierement honnetes. Pendant que leurs adversaires sont des brigands (dans tous les sens du terme) qui ont de l'argent, qui sont pret a tout et ne s'embarrasse pas trop de ce qui est legal ou pas.

Comme vous le soulignez, les politiciens ont rarement perdu en sous estimant l'ignorance et la betise des masses.

13/3/08 10:55 AM  
Anonymous Anonyme said...

"Toute action qui n'agresse pas autrui est légitime, et toute personne qui s'y oppose par la force est esclavagiste".

Oh là là! Ca fuit de partout, cette affirmation. Le problème est que personne n'est d'accord sur ce qui agresse autrui.

Les islamistes pensent qu'une caricature de Mahomet dans un journal danois les agresse. Les caricaturistes danois pensent que leur action n'agresse personne. Qui a raison?

François Hollande n'aime pas les riches. Il pense que quelqu'un qui roule en BMW l'agresse par le seul fait d'avoir du pognon qu'il n'a pas. Le conducteur de BMW qui fait consultant dans le ouèbe tou poïnte ziro pense qu'il a bien mérité sa BMW et qu'il n'agresse personne. Qui a raison?

Les droit-de-l'hommistes pensent qu'il est scandaleux d'affirmer qu'il y a trop d'immigrés en France et que Jean-Marie Le Pen les agresse en disant cela. Le Pen pense qu'il dit la vérité et qu'il n'agresse personne. Le Pen est condamné en justice pour incitation à la haine raciale. Qui a raison?

La justice française, qui s'est opposée par la force à l'action de Le Pen, est-elle esclavagiste?

13/3/08 9:10 PM  
Blogger Sylvain JUTTEAU said...

Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

13/3/08 11:27 PM  
Blogger Stéphanie said...

Je voudrais savoir ce que prend Sylvain Jutteau, et si c'est dangereux à long terme ?

14/3/08 9:31 AM  
Blogger philippe psy said...

Désolé Sylvain a supprimé son commentaire. Je pensais qu'il était public. Je crois, pour répondre à Stéphanie,qu'il consomme des livres. C'est parfois dangereux les livres, ça hausse le débat et ça fait se poser des questions.

14/3/08 8:56 PM  

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