12 juillet, 2008

Voyage 4 - Devoir de mémoire !


Aujourd'hui, douze juillet, c'est l'anniversaire de Laurence. L'un de ses souhaits était de retourner visiter le champ de bataille de Verdun. Cela tombe bien, puisque mon épouse en avait aussi envie.

Nous partons vers dix heures du matin, prenons un bout de N4 avant de sortir à Void-Vacon, commune au nom étrange qui vit naître Cugnot l'inventeur de la première voiture. Ensuite, la D964 nous emmène à Verdun après avoir traversé deux cités célèbres. Commercy pour ses madeleines, et Saint-Mihiel, pour son saillant auquel les allemands s'accrochèrent comme la vérole sur le bas-clergé durant la première guerre mondiale.

Nous arrivons enfin à Verdun. L'Est de la France a mauvaise réputation et la ville de Verdun plus encore, parce qu'on pense forcément à la terrible bataille qui s'y est déroulée. Pourtant Verdun, préfecture de la Meuse, est une très jolie ville offrant ses quais, transformés en port de plaisance. Avec un peu plus de soleil, on se croirait presque en bord de mer.

Le champ de bataille est situé à quelques kilomètres au nord. Rappelons-nous que cette bataille qui dura trois-cents jours durant l'année 1916, fit environ 500 000 morts dont 300 000 disparus. Le site est parfaitement entretenu et fléché est lugubre. Classé en zone rouge du fait des munitions non explosées et des corps de soldats encore enterrés, le champ de bataille d'une superficie de vingt-mille hectares, offre un paysage planté de pins noirs et de mélèzes interdit à toute activité.

Nous nous arrêtons d'abord à Fleury-devant-Douaumont, l'un des neuf villages martyrs du département que l'on dit "morts pour la France". Entièrement rasés durant le conflit, aucun de ces villages n'a pu être reconstruit. Afin qu'ils ne meurent pas une seconde fois, les communes sont restées bien que personne n'y vive plus.

Fleury n'est qu'une succession de bosses et de creux, entrecoupés de reliefs de tranchées, le tout étant planté d'une herbe grasse et entretenue. On s'y promène par des sentiers bucoliques qui sont en fait les anciennes rues du village. A intervalle régulier, des bornes nous apprennent, qu'à tel ou tel endroit, s'élevait un café, une ferme ou encore la forge du maréchal-ferrant. Il ne reste plus rien.

Plus loin, la route mène à Douaumont. Ce village martyr est plus connu car c'est ici qu'on a élevé le célèbre ossuaire. Imaginez-vous, un vaisseau de pierres grises d'une longueur de 137m, divisé en 46 quartiers représentant chacun des secteurs du champ de bataille et couronné d'une tour de 46m. Au rez de chaussée, un chemin de ronde permet d'admirer par de petites fenêtres, les ossements de 130 000 morts français ou allemands non identifiés. Le chiffre semble énorme mais on sait que jusque dans les années trente, on découvrait environ 500 corps par mois sur le champ de bataille.

A l'étage, un déambulatoire permet de visiter les 45 alvéoles, formant comme des chapelles, à l'intérieur desquels sont fixés des catafalques de marbre noir ayant servi d'ouverture à l'ossuaire situé dessous. Sur les murs et la voute, sont gravés les noms et dates de naissance et de mort, de quelques milliers de soldats. Nous quittons ce lieu poignant pour monter dans la tour. Oui, parce que l'ossuaire étant une œuvre purement privée, prendre des billets pour monter dans la tour permet à l'association qui le gère, de l'entretenir.

Juste derrière moi, tandis que je lis les noms gravés dans la pierre, une petite conne grommelle parce que son téléphone n'a presque plus de batterie. Les parents ne la reprennent pas, semblant considérer comme normal de se passionner pour son portable tandis qu'elle marche sur 130 000 morts. En discutant avec l'un des gardiens, j'apprendrai que la fréquentation de l'ossuaire décroit chaque année. Selon lui, les événements s'étant passé voici presque un siècle, les gens s'en moquent de plus en plus.

Au premier niveau est situé un tout petit musée offrant des armes et équipements divers, ainsi que de jolies photos montrant des cadavres à tous les stades de la décomposition. Ayant le vertige, je m'arrêterai là, tandis que mon épouse et Laurence montent jusqu'au sommet de la tour.

A l'extérieur, la nécropole nationale offre quinze mille tombes françaises parfaitement alignées et entretenues. Si les poilus ne mangeaient pas toujours à leur faim, sans doute seront-ils satisfait de savoir que le gazon est tondu régulièrement sur leur sépulture. Par la suite, nous ferons un petit crochet vers le fort de Douaumont, bel ouvrage défensif avant de rentrer à Foug.

Nous ferons toutefois un détour afin d'aller voir la sépulture d'Alain Fournier, auteur du Grand Meaulnes, mort à la bataille des Eparges en 1914 et inhumé à Saint-Rémy-la-Calonne. L'endroit est magnifique mais on déconseille d'y creuser trop profondément compte-tenu du nombre de corps encore enterrés dans les bois et les champs.

Après avoir vu ces tristes témoignages, on ne peut que remercier les américains d'être venus à notre rescousse. Car sans eux, nos brillants polytechniciens auraient perdu la guerre, comme aujourd'hui nos brillants énarques ont définitivement perdu la guerre économique. Des capacités d'ingénieur ou de statisticien ne font pas forcément un meneur d'hommes brillant ; plus d'une fois les résultats auront démenti de savantes études qui pourtant prouvaient que cela aurait du marcher. On peut être à la fois un brillant officier de génie et un stratège déplorable.

Je ne serai pas suffisamment stupide pour dire que la guerre, c'est idiot et très laid ; je laisse ce genre de pensées profondes aux chanteurs engagés. En revanche, après avoir vu ces lieux de massacre, on ne peut que toujours et encore se défier de nos élites. La voie du concours, que l'on affectionne en France, sélectionne sans doute les plus sérieux mais jamais les plus capables.

Verdun, et de manière générale la Grande guerre, c'est le produit de ce savant mélange d'amateurisme lumineux, d'orgueil insensé, de certitudes absolues et d'avidité terrible, auquel nous sommes encore habitués de la part de nos élites.

Pour conclure, laissons la parole à un poilu :

"Si nous souffrions ainsi stoïquement sans plaintes inutiles, qu'on ne vienne pas raconter que c'était par patriotisme pour défendre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes pour que ce soit la dernière guerre et autres balivernes, c'était tout simplement par force, parce que victimes d'une implacable fatalité on devait subir son sort, chacun sachant bien que pris dans les dents terribles d'un formidable engrenage, il serait broyé à la moindre tentative de velléité de révolte. Et perdant notre dignité, notre conscience humaine, nous n'étions plus que des bêtes de somme avec comme elles leur passivité, leur indifférence, leur hébétude."

Louis Barthas "Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914, 1918" La découverte/Poche


1 Comments:

Blogger Marino said...

Petite précision concernant l'ossuaire de Douaumont : sa forme allongée avec la tour en son milieu représente une poignée d'épée plantée dans le sol en souvenir des nombreuses victimes de cette guerre.

30/8/08 10:01 AM  

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